L’Australian Broadcasting Corporation diffuse Ithaka: un combat pour libérer Julian Assange cette semaine

Le réseau national de radiodiffusion australien, financé par l’État, présente «Ithaka: un combat pour libérer Julian Assange» à 20h30 (AEST) ce soir, le 7 juin, et à la même heure le jeudi 9 juin. Le documentaire, initialement sorti dans certains cinémas sous la forme d’un long métrage de deux heures, sera projeté sur ABC-TV en deux épisodes de 60 minutes. Les deux épisodes seront disponibles en streaming sur ABC iview.

Ithaka a été filmé pendant deux ans au Royaume-Uni, en Europe et aux États-Unis et retrace la lutte déterminée menée par John Shipton, 76 ans, le père d’Assange, pour obtenir la liberté de son fils. Gabriel Shipton, le frère d’Assange, a produit le film. Ben Lawrence l’a écrit et a réalisé. Brian Eno a composé et joué la musique originale.

Le producteur Gabriel Shipton s’est entretenu avec le World Socialist Web Site en octobre 2021 au sujet du documentaire et de la lutte harassante que lui, son père et Stella Moris, la femme d’Assange, ont menée pour obtenir la libération du fondateur de WikiLeaks. Cette interview est republiée ci-dessous.

Le World Socialist Web Sites’est entretenu cette semaine avec Gabriel Shipton, producteur de films et frère de Julian Assange. Le fondateur de WikiLeaks est à nouveau devant un tribunal britannique qui décidera s’il sera expédié aux États-Unis pour le «crime» d’avoir démasqué les guerres illégales des États-Unis, les violations des droits de l’homme, les opérations d’espionnage de masse et les conspirations diplomatiques mondiales qui affectent la vie de millions de personnes.

Gabriel Shipton

Gabriel Shipton a récemment terminé un long métrage documentaire intitulé Ithaka, qui sera présenté en première mondiale au Festival du film de Sydney le mois prochain et sortira en salle en janvier 2022. Réalisé par Ben Lawrence, le film retrace les efforts déployés par le père d’Assange, John Shipton. Il se bat pour faire connaître la situation critique de son fils, obtenir le soutien du public et faire pression pour mettre fin aux poursuites américaines et obtenir sa liberté.

Le film dresse un portrait émouvant de l’immense tribut que la persécution d’Assange, qui dure depuis dix ans, a fait payer au fondateur de WikiLeaks lui-même et à ses proches. Notamment, sa fiancée Stella Moris, ses deux jeunes enfants et John Shipton. Ils s’expriment avec force sur le caractère illégal de l’accusation américaine et sur ses conséquences désastreuses pour la liberté de la presse et les droits démocratiques.

La discussion a été éditée dans un souci de brièveté. Le WSWS a commencé par demander à Gabriel Shipton quand il avait pu rendre visite pour la dernière fois à son frère, qui est toujours incarcéré à la prison de Belmarsh à Londres, non pas parce qu’il a été condamné pour un quelconque crime, mais pour faciliter l’effort d’extradition américain.

Gabriel Shipton:La dernière fois que j’ai vu Julian, c’était en octobre 2020. Après cela, la prison est entrée en confinement COVID, pendant dix mois au final, où ils n’avaient pas de visiteurs. En plus des protocoles COVID, c’est la prison de sécurité maximale de Belmarsh.

Il y a trois ou quatre portes que vous devez franchir pour entrer, vous êtes fouillé, même votre bouche, vos empreintes de pouce sont scannées à chaque point. Les visites étaient très courtes à cause du COVID, ils les avaient réduites à 45 minutes. Il n’y avait pas de contact. Julian est un peu du genre à vous prendre dans les bras, alors il y a eu ce moment gênant à la fin de la visite où le gardien a dit: «Pas de contact». D’habitude, on s'embrasse pour se dire au revoir, mais à ce moment-là, nous n’avons pas pu.

Ithaka

Cela s’est amélioré maintenant, mais je crois qu’il n’a pu toucher personne pendant 12 mois, y compris Stella et les autres visiteurs. Depuis quelques mois, ses enfants peuvent lui rendre visite, il peut les prendre dans ses bras, donc ça va mieux.

Mais c’est une prison de haute sécurité. Je crois que Julian est l’un des deux prévenus qui s’y trouvent, donc ce n’est pas une maison d’arrêt. Je crois que 30 pour cent des gens qui y sont sont condamnés pour des crimes violents. C’est avec eux que Julian se trouve, et c’est pour eux qu’on a conçu cette prison, pour les criminels les plus violents du Royaume-Uni. C’est un homme innocent, non condamné. C’est juste une autre des nombreuses irrégularités dans le cas de Julian.

WSWS:Quel a été l’impact de la persécution d’Assange sur vous?

GS:Je me suis rendu à la prison en 2019 lorsque Julian a été emmené pour la première fois de l’ambassade de l’Équateur à Londres et envoyé à Belmarsh. Je n’avais pas vraiment participé à la défense de Julian ou à quoi que ce soit en rapport avec WikiLeaks jusque-là. Mais quand je suis allée le voir en 2019, je ne l’avais jamais vu dans cet état. On l’avait placé sous surveillance de suicide, ce que je ne savais pas à l’époque. Mais je suis parti en pensant que je pourrais potentiellement ne jamais le revoir. C’est ce que j’ai ressenti. Que ça pouvait être la fin. Ce jour-là, en rentrant à la maison, j’ai envoyé un message à Daniel, son fils adulte, et j’ai écrit: «Tu ferais mieux d’aller voir papa. Ça pourrait être ta dernière chance».

C’est alors que j’ai décidé que je devais faire quelque chose et j’ai rejoint la campagne, j’ai commencé à faire du plaidoyer, des discours et des interviews, et c’est la genèse de ce documentaire. Je suis producteur de films et nous nous sommes demandés comment raconter cette histoire sous un angle différent. Comment raconter un aspect personnel qui suscitera l’émotion du public, plutôt que la façon habituelle dont les gens s’intéressent à Julian et à son travail. Finalement, nous sommes tombés sur l’idée de suivre le parcours de John et son combat pour défendre son fils.

Trois suicides ont eu lieu à Belmarsh au cours de l’année dernière, et nous vivons dans la crainte que Julian ne rejoigne ce nombre. John McAfee, [programmeur informatique et homme d’affaires], allait être extradé d’Espagne vers les États-Unis, et lorsqu’on a approuvé son extradition, il s’est suicidé. C’est quelque chose qui est toujours présent dans votre esprit. C’est une peur constante.

Stella Moris [Photo source : Ithaka] [Photo: Ithaka]

Stella, John et moi faisons cela à plein temps maintenant, donc en termes de nos vies, c’est essentiellement notre travail à plein temps. C’est donc une autre chose à laquelle nous devons faire face. Mais c’est la réalité. On fait ce qu’on peut. J’ai vu un vide aux États-Unis dans la défense des intérêts de Julian, alors j’ai commencé à le remplir. On voit ces petites choses, ces occasions de défendre Julian et sa liberté, et on se lance et on les fait. Et John et Stella sont pareils, c’est comme ça que nous travaillons.

WSWS:Votre film est l’un des rares documentaires ou films objectifs et sympathiques qui ont été réalisés sur Julian, y compris en Australie. Pouvez-vous nous parler des défis que vous avez dû relever, et nous expliquer pourquoi on a produit si peu de films sur cette histoire extraordinaire?

GS:Nous avons rencontré des problèmes avec ce film. Nous nous trouvâmes totalement isolés pendant une longue période du processus. La propagande négative et la diffamation sont si répandues que beaucoup de gens dans le secteur et les points de distribution traditionnels ne veulent pas être considérés comme des défenseurs de Julian.

Nous avons maintenant les organismes locaux de projection à bord, mais ils ne veulent pas s’engager avant d’avoir vu un premier montage du film. C’est très difficile de faire décoller quelque chose.

Si vous regardez une plateforme comme Netflix, Susan Rice [la principale représentante du Parti démocrate] faisait partie de son conseil d’administration jusqu’à tout récemment. Une fois Biden élu, elle a quitté Netflix et est allée à la Maison-Blanche. Obama a obtenu un contrat de 400 millions de dollars de Netflix. Ces entreprises, les grandes entreprises, ce sont des portes tournantes. C’est pareil en Australie avec les médias d’entreprise.

Vous savez qui sont les ennemis de Julian, ce contre quoi on se bat, c’est l’État sécuritaire américain, qui a ses tentacules partout. Lorsque vous allez à l’encontre de leur discours, vous devez chercher des méthodes alternatives pour diffuser votre produit.

WSWS:Quelle a été la réaction en Australie? Avez-vous eu des contacts avec les festivals de cinéma?

John Shipton à Londres [Photo source : Ithaka] [Photo: Ithaka]

GS:L’Australie est un terrain favorable dans ce sens. Une grande partie de la population est derrière Julian. Nous devions présenter le film au Festival international du film de Melbourne, avant qu’il ne soit mis en ligne du fait du COVID, ainsi qu’au Festival du film de Sydney. Les autres ici étaient intéressés et nous travaillons à le présenter dans un festival international.

WSWS:Pouvez-vous commenter le rôle du gouvernement australien et son refus de défendre Assange, bien qu’il soit citoyen et journaliste australien?

GS:Ils traitent Julian comme un routard qui a perdu son passeport. Ils lui fournissent l’assistance minimale qu’ils peuvent se permettre. Ils subissent de plus en plus de pression maintenant pour faire quelque chose. Cela suffirait que le Premier ministre prenne le téléphone, appelle Biden et soulève le fait que nous sommes censés être les meilleurs amis des États-Unis, pourquoi ne peuvent-ils pas simplement ramener Julian chez lui?

Mais l’Australie est redevable aux États-Unis. On est moins indépendant qu’on veut le croire quand il s’agit de ce genre de choses. Je pense que le gouvernement australien ne fait que suivre l’exemple des États-Unis en ce qui concerne la persécution de Julian.

WSWS:Le film présente la visite que vous et John Shipton avez effectuée aux États-Unis au début de l’année, au moment de l’investiture de Biden. Quelles ont été vos expériences dans vos tentatives de lobbying auprès de la nouvelle administration?

GS:Dans le film, nous étions là-bas pendant la période de janvier, c'est une période entre l'ancienne et la nouvelle administration où le nouveau gouvernement élabore sa politique et planifie ce qu’il va faire. Nous avons essayé de profiter de cette période avant que la nouvelle administration ne prenne officiellement le pouvoir.

Nous avons eu quelques contacts avec les services des droits de l’homme du gouvernement Biden. Nous leur avons adressé une lettre, et la réaction que nous avons reçue a été la suivante: «Veuillez attendre la fin de l’inauguration. Il y a la possibilité d’une rencontre, mais elle aurait lieu après». Nous n’avons jamais reçu d’autre réponse de ces personnes.

Nous sommes retournés aux États-Unis en juin et avons fait une tournée de 15 villes à travers les États-Unis, une vingtaine d’événements en personne, des rassemblements, des actions. La réaction sur le terrain a été excellente, nous avons parlé à des milliers de personnes, nous les avons sensibilisées, nous avons activé les groupes de supporters et nous avons rassemblé les gens. Nous avons généré des retombées médiatiques, ce qui nous a permis de ramener la question de Julian dans le courant dominant des médias à l’époque. Et cela s’est poursuivi. Nous avons vu l’enquête menée récemment par les journalistes de Yahoo News, avec plus de 30 sources au sein de la communauté du renseignement. Ils ont confirmé ce que nous savions déjà, à savoir que des complots existaient pour enlever et assassiner Julian.

John Shipton s’adressant aux médias devant la prison de Belmarsh [Photo source : Ithaka]. [Photo: Ithaka]

Sous Trump, il y avait des gens comme Mike Pompeo qui disait: «La CIA va viser WikiLeaks, c’est un service de renseignement hostile non étatique», et d’autres, tous heureux d’annoncer publiquement leurs plans pour la poursuite de Julian, comment ils allaient essentiellement tout lancer contre WikiLeaks.

Depuis l’arrivée de Biden, c’est très différent. Chaque fois qu’on demande à un membre de du gouvernement ce qui se passe dans le dossier de Julian, il le refile à quelqu’un d’autre. Quand on a interrogé le secrétaire d’État sur Julian en France, il a dit: «Nous avons un ministère de la Justice indépendante, c’est sa responsabilité». Le porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a fait de même.

Ce qu’on voit maintenant, c’est un mode de fonctionnement différent du gouvernement. Ils n’aiment pas le brouhaha, ils ne veulent pas d’une grande frénésie médiatique autour de ça. Mais l’accusation continue. On ne l’a pas retirée. Vous pouvez revenir sur la révélation de la CIA, ils avaient un plan pour kidnapper et assassiner Julian en 2017. On l’a mis en place. Sous un voile de légalité, il a été judiciairement enlevé de l’ambassade d’Équateur, où il avait l’asile politique.

Ils ont effectivement trouvé un moyen où ils pouvaient encore le kidnapper et le prendre en otage mais le faire avec ce voile de légalité. Le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, appelle cela un meurtre au ralenti sous nos yeux. Ce n’est pas différent des plans de la CIA. Cela continue, mais d’une manière différente, sous le gouvernement Biden.

WSWS:Biden ne souhaite peut-être pas parler d’Assange maintenant, mais en 2010, lorsqu’il était vice-président du gouvernement Obama, il a dénoncé Julian comme un «terroriste high-tech» parce qu’il avait démasqué les crimes du gouvernement américain en tant que journaliste.

GS:C’est exact. Biden et [le chef de la minorité républicaine au Sénat] Mitch McConnell ont tous deux qualifié Julian de terroriste high-tech. Ils ont dit exactement la même chose, comme s’ils se répétaient l’un l’autre. Et il y avait des discussions pour placer Julian dans le cadre du Patriot Act, comme un terroriste, pour qu’il puisse être bombardé ou abattu sur place. Les grands médias ont lancés des appels pour qu’on fasse assassiner Julian. Tout cela se nourrit de soi-même.

C’est exactement la même chose que Pompeo qui qualifie WikiLeaks de «service de renseignement hostile non étatique». J’ai parlé à Julian à ce sujet en 2017, et il m’a dit: «C’est la première fois qu’une équipe de la CIA à temps plein nous suit». C’est cette définition qui signifiait que la CIA pouvait mettre une équipe entière sur Julian sans aucune surveillance du Congrès. La CIA pouvait utiliser les mêmes mesures sur WikiLeaks qu’elle utilisait contre les services de renseignement iraniens ou russes.

Le consensus de Washington DC pour tuer Julian ou s’en prendre à WikiLeaks n’est pas nouveau, ils essaient de le faire depuis longtemps.

WSWS:L’un des moments forts du film est le blocage de l’extradition d’Assange par un tribunal britannique en janvier, mais pour des raisons de santé. Le soulagement et même la surprise sont évidents au sein de sa famille. Mais quelques jours plus tard, le même juge britannique a rejeté une demande de libération sous caution, et maintenant il y a les appels des États-Unis, avec tous les risques d’extradition. Pouvez-vous nous parler de cela et des audiences qui se déroulent cette semaine?

GS:Ce sont des «Montagnes russes» émotionnelles. Vous voyez dans le film, il y a ce moment où nous sommes décontenancés, dépassés et n’arrivons pas à croire que l’extradition a été rejetée. Et puis, quelques jours plus tard, on revient à la même routine, puis à cette nouvelle audience.

Les États-Unis avaient initialement présenté cinq points d’appel, mais le tribunal ne leur a permis d’en présenter que trois. Ils ont fait appel de cette décision et sont maintenant autorisés à contester également les deux autres.

L’un de ces deux points est leur tentative de saper le témoignage du professeur Kopelman, le psychiatre qui a conclu que Julian se suiciderait s’il se fait extrader vers les États-Unis. Cette audience sera donc centrée sur Julian, son bien-être mental et sa personne. Clare Dobbin, l’un des procureurs, a qualifié Julian de «malfaiteur» lors d’une des audiences précédentes. Nous nous attendons à ce qu’il en soit ainsi, à ce que l’accent soit mis sur Julian, sur sa personne, et à ce que l’attention ne soit pas portée sur les crimes contre l’humanité et la corruption qu’il a démasqués. C’est la tactique depuis 2010. Ils ont joué l’homme et non la balle.

WSWS:C’est extraordinaire que l’affaire se poursuive tout court. On a révélé que le gouvernement américain, qui demande l’extradition, a comploté le meurtre d’Assange. L’un des témoins clés de son inculpation, l’escroc islandais et pédophile condamné Siggi Thordarson, a admis avoir menti en échange de l’immunité contre les poursuites américaines. Selon vous, pourquoi la justice britannique poursuit-elle cette affaire, alors que l’ensemble du dossier américain aurait dû être rejeté?

GS:C’est un peu la même chose que la question de savoir pourquoi le gouvernement australien n’a pas fait plus. Le problème, c’est que c’est presque comme une autre révélation de WikiLeaks, comment Julian a été poursuivi sans relâche et que toutes ces institutions ont été montrées comme étant corrompues.

Cela a commencé par le ministère public suédois, puis le ministère public de la Couronne, la justice britannique, le ministère de la Justice des États-Unis et le FBI, qui ont offert l’immunité à Thordarson en échange de son témoignage. Pour moi, c’est une autre révélation, jusqu’où ils sont prêts à aller.

J’aime la métaphore de David et Goliath. Il y a ce géant aveugle qui se bat contre un petit homme enfermé dans une cellule de prison, et ce géant ne fait que renverser toutes ces institutions. Il finira par s’autodétruire. Il montre que toutes ces institutions sont corrompues. Plus cela se produit, plus les gens perdront confiance dans le système démocratique dans lequel nous vivons.

Si, vous vous reportez à l’affaire Daniel Ellsberg dans les années 1970, quand on a découvert que ses psychiatres se faisaient espionner par le gouvernement américain et qu’ils envoyaient des agents déguisés en plombiers pour cambrioler sa maison. Tout cela a contribué à la mise en accusation de Richard Nixon. Je ne serais pas surpris que l’on assiste à quelque chose de similaire dans le cas de Julian, que l’on finisse par demander des comptes à quelqu’un au plus haut niveau.

(Article paru d’abord en anglais le 7 juin 2022)

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