Les États-Unis aggravent le conflit avec la Chine au forum de Shangri-la

Les événements qui se sont déroulés lors du forum de sécurité Shangri-la Dialogue à Singapour ce week-end témoignent jusqu’à quel point le gouvernement des États-Unis pousse la Chine au bord de la guerre, sans se soucier d’un possible conflit nucléaire catastrophique, alors même que les États-Unis intensifient la guerre contre la Russie en Ukraine.

Le ministre de la Défense de Singapour, Ng Eng Hen, prend la parole lors d’une session plénière pendant le 19e Dialogue Shangri-la de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), le forum annuel de défense et de sécurité de l’Asie, à Singapour, le dimanche 12 juin 2022 (AP Photo/Danial Hakim) [AP Photo/Danial Hakim]

S’exprimant au nom du gouvernement Biden, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin a prononcé un discours incendiaire d’une heure dans lequel il a accusé la Chine d’«intimidation», de «provocations», de «déstabilisation», d’«agression» et de «coercition» autour de Taïwan et dans les mers de Chine orientale et méridionale.

En réaction, l’homologue chinois d’Austin, le général Wei Fenghe, a dénoncé «l’hégémonie et la politique de puissance» des États-Unis. Il a déclaré que la Chine était prête à la guerre, si nécessaire, pour défendre sa souveraineté, y compris sur Taïwan.

La diatribe d’Austin avait pour thème «Les prochaines étapes de la stratégie indopacifique des États-Unis». L’ancien général de l’armée américaine a souligné l’importance de la confrontation des États-Unis avec la Chine, que la Maison-Blanche a explicitement désignée cette année comme la principale menace existentielle pour l’hégémonie mondiale des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.

Austin a qualifié cette stratégie de «notre théâtre d’opérations prioritaire» et «au cœur de la grande stratégie américaine». Il a spécifiquement désigné Taïwan, qui est internationalement reconnu comme faisant partie de la Chine, comme une poudrière. «Les enjeux sont particulièrement importants dans le détroit de Taïwan», a-t-il déclaré.

Le secrétaire américain à la Défense a insisté sur le fait que les États-Unis et leurs alliés continueraient à naviguer et à survoler ce qu’ils prétendent être des eaux internationales qui entourent la Chine – y compris l’étroit détroit de Taïwan – large de 160 kilomètres, entre l’île et le continent.

«Nous allons voler, naviguer et opérer partout où le droit international le permet», a déclaré Austin. «Et nous le ferons aux côtés de nos partenaires».

Austin a établi un parallèle direct avec la guerre d’Ukraine, dans laquelle les États-Unis et les puissances de l’OTAN ont provoqué le gouvernement russe de Vladimir Poutine à déclencher une invasion réactionnaire en étendant l’alliance militaire de l’OTAN, dotée d’armes nucléaires, aux frontières de la Russie et en organisant un coup d’État en 2014 pour installer un régime soutenu par des fascistes à Kiev.

L’«assaut indéfendable contre un voisin pacifique a galvanisé le monde», a affirmé Austin, «et nous a rappelés à tous les dangers de saper un ordre international ancré dans les règles et le respect.» Il a affirmé: «Nous avons assisté à une augmentation constante des activités militaires provocatrices et déstabilisantes près de Taïwan. Cela inclut des avions [chinois] de l’APL qui volent près de Taïwan en nombre record ces derniers mois – et de façon quasi quotidienne».

Un éditorial du China Daily, la plateforme médiatique la plus fiable de Pékin, a placé ces accusations dans le contexte de la multiplication des provocations américaines, affirmant que les États-Unis ont effectué l’année dernière plus de 100 exercices militaires en mer de Chine méridionale et dans les eaux voisines, seuls ou avec leurs alliés.

Pour souligner le prétendu parallèle avec l’Ukraine, l’Institut international d’études stratégiques basé à Londres, un groupe de réflexion militaire impérialiste, a invité le président ukrainien Volodymyr Zelensky à prononcer un discours virtuel au forum. Il a lancé un appel provocateur en faveur d’une plus grande intervention internationale dans le détroit de Taïwan. Il a demandé un soutien militaire au gouvernement de Taipei, faisant écho à des appels similaires lancés par certains États membres de l’OTAN pour militariser davantage le détroit et garantir la séparation continue de Taïwan du continent.

Réagissant aux discours d’Austin et de Zelensky, Wei a déclaré: «Soyons clairs: si quelqu’un ose séparer Taïwan de la Chine, nous n’hésiterons pas à nous battre. Nous nous battrons à tout prix. Nous nous battrons jusqu’au bout. C’est le seul choix possible pour la Chine».

Wei a averti que les États-Unis avaient violé leur engagement envers le principe d’«une seule Chine» tel qu’il s’applique à Taïwan. Il a souligné la nécessité d’une réunification pacifique à terme, ajoutant que la division était le résultat de la guerre civile chinoise de 1945-1949.

Dimanche, Bloomberg a rapporté que «ces derniers mois, les responsables militaires chinois ont affirmé à plusieurs reprises que le détroit de Taïwan n’était pas une zone d’eaux internationales lors de réunions avec leurs homologues américains».

Mais des personnalités du parti au pouvoir à Taipei, le Parti démocrate progressiste, encouragées par les démarches américaines, indiquent qu’une sécession officielle de la Chine pour déclarer une «République de Taïwan» pourrait être envisagée et cela pourrait déclencher une intervention militaire de la Chine, dont les États-Unis et leurs alliés pourraient exploiter comme prétexte à une guerre contre la Chine.

Austin a souligné le soutien de Washington aux opérations militaires incendiaires du Canada et de l’Australie, deux proches alliés des États-Unis, qui ont tous deux accusé la Chine de réagir dangereusement à leurs récents vols de surveillance près de Taïwan et des îles revendiquées par la Chine.

La dénonciation par Austin des «interceptions fréquentes et non professionnelles» de la Chine ne fait que souligner le fait que Washington orchestre une multiplication d’incursions militaires intrusives autour de la Chine.

Austin a vanté le «pouvoir des partenariats» et le «réseau inégalé d’alliances» des États-Unis dans la région. Il a déclaré que ces alliances s’étaient approfondies, notant le récent sommet de Washington avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), l’importance croissante du groupe de dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad) composé des États-Unis, de l’Inde, du Japon et de l’Australie, ainsi que du partenariat militaire trilatéral AUKUS avec l’Australie et le Royaume-Uni.

En réaction, Wei a déclaré que les commentaires d’Austin sur la stratégie de Washington dans le Pacifique réaffirmaient les soupçons de la Chine selon lesquels les États-Unis étaient engagés dans une tentative de «construire un petit groupe exclusif au nom d’un Pacifique libre et ouvert, de s’emparer de pays de notre région et de viser un pays en particulier».

Wei a mis en garde contre le danger d’une guerre nucléaire. Il a déclaré que la Chine avait fait des «progrès impressionnants» dans le développement de nouvelles armes nucléaires, mais qu’elle ne les utiliserait qu’en cas d’autodéfense, et jamais en premier.

La gravité de l’escalade de la confrontation a été soulignée par l’éditorial du China Dailydu 11 juin. Selon cet éditorial, Wei a profité d’une réunion parallèle avec Austin pour dire à «son homologue américain qu’il n’ait aucun doute que l’Armée populaire de libération n’aura d’autre choix que de défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine et elle se battra pour écraser tout acte de sécession de Taïwan, quel qu’en soit le prix, même la guerre».

Selon l’éditorial, «l’avertissement le plus fort jamais lancé par la Chine» démontre «son indignation face aux fréquentes tentatives des États-Unis de violer le principe d’une seule Chine… Washington se trompe clairement de situation s’il pense que la Chine ne peut pas se permettre ou n’osera pas s’engager dans une guerre avec les États-Unis et leurs alliés».

Lors du sommet de la Quadrilatérale à Tokyo le mois dernier, le président américain Joe Biden – pour la troisième fois depuis son entrée en fonction – a déclaré avec insistance que les États-Unis s’étaient «engagés» à soutenir militairement Taïwan en cas de conflit avec la Chine, bouleversant ainsi cinq décennies de politique américaine.

Lorsque les États-Unis ont établi des relations diplomatiques avec la Chine en 1979, et ont mis fin à tous les liens officiels avec Taïwan, ils ont adopté la politique de la Chine unique, reconnaissant de fait Pékin comme le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan. Cette politique était accompagnée de la doctrine de l’«ambiguïté stratégique» qui consiste à refuser de s’engager catégoriquement à prendre le parti de Taïwan en cas de guerre avec la Chine.

Alors qu’Austin a insisté une nouvelle fois sur le fait qu’il n’y avait pas eu de changement de la politique américaine, une série de visites de haut niveau à Taïwan, la présence ouverte de formateurs militaires américains sur l’île, l’intensification des ventes d’armes et l’augmentation des transits par le détroit de Taïwan constituent des affronts calculés à la Chine.

Parallèlement à l’intensification du conflit militaire contre la Russie au sujet de l’Ukraine, l’objectif central de la politique étrangère américaine est de paralyser, d’isoler et de contenir la Chine, a déclaré le secrétaire d’État américain Antony Blinken dans un important discours politique le mois dernier.

Sous l’impulsion de l’impérialisme américain, le capitalisme se dirige vers une nouvelle guerre mondiale, encore plus désastreuse.

La crise alimentaire et énergétique déjà déclenchée par la guerre en Ukraine pousse cependant les travailleurs à lutter partout dans le monde contre la hausse vertigineuse du coût de la vie et l’explosion des dépenses militaires au détriment des programmes sociaux essentiels. Ce soulèvement mondial fournit la base pour une lutte de la classe ouvrière qui vise à empêcher une nouvelle conflagration mondiale et à renverser les classes dirigeantes responsables du danger auquel l’humanité est confrontée.

(Article paru en anglais le 13 juin 2022)

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