Métallos et travailleurs de la santé font grève et manifestent en Russie et en Géorgie

Tous les ouvriers de l'Usine de compression de l'Oural (UKZ) à Ekaterinbourg, en Russie, ont débrayé mardi pour protester contre le refus des propriétaires de l'entreprise de leur verser les arriérés de plusieurs mois de salaire. On doit aux 316 salariés de l'usine, qui fabriquent des pièces pour de l'équipement médical et militaire, au total 13,4 millions de roubles, soit environ 221 000 euros, de salaires impayés.

Cette grève n'est que la dernière des actions des travailleurs des sections assemblage, fonderie, traitement thermique, outillage et mécanique de cette entreprise qui depuis octobre 2021 a refusé à maintes reprises de leur payer les salaires. En mars 2022, les travailleurs ont débrayé, puis à nouveau en mai 2022, reprenant le travail seulement après que l'UKZ eut promis de leur verser leur salaire, comme l'a ordonné le procureur local. Ils n'ont pourtant rien reçu depuis deux mois, à part 1 000 roubles la semaine dernière sur les 100 000 qu'ils étaient censés recevoir.

« Nous n'avons même pas assez d'argent pour nous rendre au travail », a déclaré un travailleur à la presse. « Vous ne pouvez même pas prendre le bus pour un rouble. »

L'usine, qui a des trous dans le toit, est manifestement en train de s'effondrer. Dans une vidéo publiée sur la chaîne de réseaux sociaux Telegram Ural Mash, on peut voir des tas de gravats sur le sol de l'usine. « On est rafraîchi par les gouttes de pluie qui nous tombent sur la tête », a déclaré un travailleur.

La société affirme que ses clients lui doivent des millions et qu'elle est aux prises avec des dettes massives, n'ayant pas payé ses impôts et ses fournitures. Les travailleurs signalent une forte baisse de la production, la production quotidienne ayant récemment chuté à seulement deux unités par jour contre 60 précédemment.

Mais l'insistance d'UKZ à dire qu'elle n'a soudain plus les moyens de payer ses employés juste à cause des mauvaises conditions du marché et des taxes gouvernementales n'est pas convaincante. « J'ai travaillé là-bas », écrit une personne sur Telegram. « Les gens en costumes l'ont pillé et voilà le triste résultat. » « Laissez les épaulettes [ici, une personne de haut rang] piocher un peu chez eux. Ils trouveront les salaires, [l'argent pour] payer les charges et tout le reste », dit un autre. Se référant au vol à grande échelle de l'industrie publique par les nouveaux riches émergents dans les années 1990, un travailleur déclare: « Il est temps de reprendre les usines. »

La grève à Ekaterinbourg fait suite à des débrayages et des grèves du zèle en avril et mai par les travailleurs de l'assainissement à Novossibirsk, les médecins, les soignants et les techniciens médicaux d'urgence en Bachkirie, les chauffeurs de taxi et de livraisons à Tver et Moscou, et les ouvriers avicoles de Sakhaline.

Dans l'ancien pays soviétique de Géorgie, qui borde la Russie au sud-ouest, les travailleurs d'une entreprise d'embouteillage d'eau minérale sont également en grève. Eux non plus n'ont pas été payés depuis deux mois. L'ensemble de la main-d'œuvre de 800 personnes des deux usines de Bojomi a débrayé le 31 mai, exigeant le paiement des arriérés de salaire, une augmentation de salaire de 25 pour cent, une convention collective, la fin de ce que les travailleurs décrivent comme « du chantage et des menaces de licenciement » pour ceux qui critiquent l'entreprise, et la réintégration de 50 salariés précédemment licenciés pour avoir protesté contre leurs conditions.

Mardi dernier, des ouvriers ont jeté des œufs sur des voitures de police qui cherchaient à faire entrer des briseurs de grève dans l'usine. Les travailleurs disent que l'entreprise offre leurs emplois aux Géorgiens d'autres régions du pays, ainsi qu'aux Ukrainiens et aux Russes, essayant de les attirer avec la promesse d'un salaire trois à quatre fois supérieur à ce qu'ils paient actuellement afin de briser la grève.

La veille du conflit avec la police aux portes de l'usine de Bojomi, le Premier ministre géorgien Irakli Garibashvili a annoncé que le gouvernement achèterait une participation majoritaire dans l'entreprise, reprenant la propriété de l'entreprise au groupe Alfa basé en Russie, dont le chef, Mikhail Fridman, est sujet aux sanctions anti-russes, cause immédiate de la crise financière de l'entreprise.

Le chef de l'État géorgien a insisté pour dire qu'il ferait en sorte que « la souffrance et l'oppression » cessent à Bojomi. Promesse douteuse étant donné que le salaire mensuel moyen de la Géorgie est de 346 euros par mois, que plus de 20 pour cent de sa population vit dans la pauvreté et que ses principales industries, comme l'exploitation minière, sont bien connus pour être des pièges mortels.

Mardi encore, dans la capitale du pays, des travailleurs médicaux ont manifesté contre les conditions de travail épouvantables et les bas salaires. Le personnel d'urgence avec le plus d’ancienneté gagne environ 58 euros par quart de travail, le personnel subalterne environ 45 euros et les chauffeurs seulement 34 euros. Les médecins, les soignants et les ambulanciers exigent une augmentation de salaire de 100 pour cent et le rétablissement d'une prime mensuelle d'environ 171 euros. Celle-ci leur avait été retirée parce que le gouvernement de Tbilissi a récemment déclaré que la crise de la COVID-19 était terminée, mis fin à toutes les mesures sanitaires et à tous les paiements supplémentaires pour les employés de la santé. Mais les travailleurs insistent sur le fait que le nombre d'appels d'urgence n'a pas diminué.

Refusant d'augmenter les salaires, le ministère géorgien de la Santé propose bien plutôt que les horaires des employés des services de santé d'urgence soient modifiés de manière à ce qu'ils travaillent 12 heures par jour, par opposition à des journées de 24 heures espacées de 3 jours – autrement dit qu'ils changent de misère.

Le mécontentement des travailleurs est répandu dans toute l'ancienne sphère soviétique. Au cours des sept derniers mois, des milliers d'employés de la santé, chauffeurs de taxi, cheminots, ouvriers des usines d'engrais, du pétrole et des travailleurs agricoles ont manifesté et se sont mis en grève dans des pays comme la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan.

Les conditions ne font qu'empirer en raison de la guerre des États-Unis et de OTAN contre la Russie en Ukraine. Quelles que soient les affirmations des gouvernements de ces États, en particulier des pays baltes, sur la volonté de leur peuple de se sacrifier pour faire la guerre à Moscou, des millions de travailleurs ne peuvent pas et n'accepteront pas la ruine de leurs moyens de subsistance pour que la Russie puisse être dépecée comme une dinde de Noël et livrée aux riches.

La Russie elle aussi est confrontée à une crise croissante de l'emploi, malgré l'insistance du Kremlin pour dire que le taux de chômage est le plus bas jamais enregistré. La Banque centrale du pays vient de reconnaître mercredi dernier que les postes vacants avaient diminué au cours des derniers mois, le mois de mars affichant 17 pour cent de postes disponibles en moins par rapport au mois précédent. HeadHunter, une société d'analyse du marché du travail, a rapporté le lendemain qu'un tiers des travailleurs russes craignaient de perdre leur emploi.

Des licenciements continuent d'être annoncés dans des entreprises industrielles dans toute la Russie. Volkswagen tente de licencier des centaines d'employés de son usine de Nizhni Novgorod en leur offrant six versements de salaire s'ils partent volontairement. À Tikhvin, dans l'oblast de Leningrad, une usine automobile et une usine IKEA employant 7 000 ouvriers fermeront leurs portes. L'usine de machines-outils de Barnaul dans l'Altaï va licencier 500 travailleurs, plus que prévu. Dans la région autonome de Khanty-Mansi, 1 200 travailleurs de l'entreprise de construction de logements Sibpromstroi vont perdre leur emploi.

(Article paru en anglais le 10 juin 2022)

Loading