Les syndicats proposent de travailler avec Ford et ses conservateurs après la débâcle des élections en Ontario

Les résultats de l’élection provinciale du 2 juin en Ontario sont une condamnation dévastatrice de la politique des syndicats. Au cours des quatre dernières années, la Fédération du travail de l’Ontario (FTO), ses divers affiliés – y compris les Métallurgistes unis, le SCFP, le SEFPO et les syndicats d’enseignants – et Unifor ont systématiquement étouffé toute opposition des travailleurs aux attaques brutales lancées par le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford. Ils ont prétendu que tout devait être subordonné à l’élection d’un «gouvernement progressiste», c’est-à-dire un régime pro-austérité dirigé par les néo-démocrates ou les libéraux, en juin 2022.

Andrea Horwath a démissionné de son poste de chef du NPD de l’Ontario après que le parti soutenu par les syndicats a perdu neuf sièges et plus de 800.000 voix lors des élections ontariennes du 2 juin. Ci-dessus, Horwath s’adresse au congrès 2017 de la Fédération du travail de l’Ontario. [Source: OFL]

Les travailleurs ont montré ce qu’ils pensaient de l’affirmation mensongère des syndicats selon laquelle le NPD et les libéraux de droite, pro-guerre et pro-austérité sont des amis du progrès en votant avec leurs pieds. Ils sont restés loin des bureaux de vote en masse, produisant un plongeon du taux de participation électorale de 57 % en 2018 à un minimum historique en Ontario de 43,5 % en 2022. Le NPD a perdu plus de 800.000 voix, soit environ 40 % de son total de 2018. Même le «vainqueur» Ford et ses progressistes-conservateurs ont perdu des centaines de milliers de voix, se retrouvant avec moins de voix que le NPD n’en avait obtenu en 2018, alors qu’ils étaient arrivés loin derrière. Le parti du premier ministre a reçu le soutien de seulement 17,75 % de l’électorat ontarien.

L’effondrement pathétique de la campagne bidon des syndicats pour un «gouvernement progressiste» est le résultat mérité de leurs efforts répétés pour saboter chaque lutte importante menée par les travailleurs au cours des quatre dernières années. Lorsque Ford est arrivé au pouvoir en 2018, il a provoqué une colère généralisée parmi les travailleurs. La détermination à se battre n’a fait que s’intensifier lorsque Ford a réduit radicalement les budgets de l’éducation, notamment en supprimant 10.000 postes d’enseignants, et a imposé un plafond salarial de 1 % par an sur trois ans à plus d’un million de travailleurs du secteur public avec sa loi 124. Alors qu’un nombre croissant de travailleurs réclamaient des grèves et d’autres formes de protestation, les conditions étaient extrêmement favorables au développement d’une lutte politique menée par les travailleurs contre Ford et l’ensemble du programme d’austérité de la classe dirigeante.

Mais c’est précisément un tel développement que les syndicats voulaient éviter à tout prix. De la grève de 200.000 enseignants en février 2020 à la lutte contractuelle dans les usines automobiles des trois constructeurs de Détroit plus tard la même année, en passant par les tentatives de centaines de milliers de travailleurs au cours des deux dernières années pour obtenir des conditions de travail sûres pendant la pandémie, les syndicats ont veillé à ce que toutes les luttes soient isolées, étouffées et trahies. Leur point de vue a été résumé par le compte à rebours sur la page d’accueil de la FTO, qui indiquait les jours, les heures, les minutes et même les secondes que les travailleurs ontariens devaient attendre avant d’avoir le privilège de voter pour un gouvernement «progressiste».

Le soutien des syndicats à un gouvernement «progressiste» était fondé sur leurs expériences au cours des 15 années de règne libéral en Ontario, lorsque les libéraux, avec le soutien parlementaire explicite du NPD pendant près de trois ans, de 2011 à 2014, ont coopéré étroitement avec les syndicats pour imposer l’austérité et un régime fiscal «compétitif» à l’échelle mondiale pour les grandes entreprises.

Il se basait également sur les liens toujours plus étroits des syndicats avec les libéraux fédéraux, illustrés par des campagnes de «vote stratégique» remontant à 2004 et la tentative avortée de former un gouvernement de coalition libéral-néo-démocrate en 2008, qui s’était engagé à réduire massivement l’impôt sur les sociétés, à faire preuve de «responsabilité fiscale» et à faire la guerre en Afghanistan. Depuis l’élection du gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau en 2015, les syndicats ont encore approfondi leur alliance avec les libéraux. Ils ont été de fidèles alliés du gouvernement dans la renégociation de l’ALENA, ont soutenu le sauvetage massif des marchés financiers et des grandes entreprises par Trudeau lorsque la pandémie a frappé pour la première fois, et ont fait en sorte que les travailleurs soient contraints de retourner sur des lieux de travail dangereux au milieu des vagues successives d’infection et de décès massifs en étant le fer de lance de la campagne de retour au travail et à l’école de l’élite dirigeante. Un allié clé de Trudeau dans la campagne de réouverture n’était autre que Doug Ford.

Le point culminant de l’alliance entre les syndicats, les libéraux et les néo-démocrates a été la conclusion en mars d’un accord de «confiance et d’approvisionnement» entre les libéraux et les néo-démocrates fédéraux. Avec le soutien inconditionnel de leurs alliés syndicaux, les sociaux-démocrates se sont engagés, au nom de la «stabilité» et du «progrès», à maintenir Trudeau au pouvoir jusqu’en juin 2025. L’accord repose sur la guerre avec la Russie, l’augmentation des dépenses militaires de plusieurs dizaines de milliards et l’application d’une austérité «post-pandémique» pour maintenir la «compétitivité» du capitalisme canadien. Le fait que toutes les parties impliquées dans l’accord de mars – les syndicats, le NPD et les libéraux, qui n’ont même pas réussi à obtenir un statut officiel au sein de l’Assemblée législative – aient subi une débâcle aux élections ontariennes illustre l’hostilité de larges pans de la population envers l’ensemble de l’establishment politique.

Les syndicats tendent la main à Ford

Des sections de la bureaucratie syndicale semblent avoir été prises au dépourvu par l’ampleur de la désaffection de la base et par le fossé que les résultats des élections ont révélé entre les aspirations des bureaucrates bien rémunérés à des sinécures lucratives au sein de comités et de groupes de travail patronaux-syndicaux-gouvernementaux, et celles des travailleurs qu’ils prétendent représenter. Une semaine après le jour du scrutin, la Fédération du travail de l’Ontario continue désespérément d’afficher sur sa page d’accueil son compte à rebours pour l’élection d’un «gouvernement progressiste». Seulement maintenant, le compte à rebours indique des heures en moins!

Page d’accueil de l’OFL avec un compte à rebours (en bas à droite) qui indique maintenant les «jours négatifs» depuis qu’il n’a pas réussi à remplacer Ford et ses conservateurs par un «gouvernement progressiste»: c’est-à-dire un autre régime de droite, pro-austérité et pro-guerre.

Mais un phénomène beaucoup plus significatif sur le plan politique est la ruée des bureaucrates syndicaux déclarant plus ou moins ouvertement qu’ils sont prêts à collaborer avec Ford et ses députés pour imposer l’austérité.

Dans une déclaration publiée le 3 juin, la présidente de la FTO, Patty Coates, a déclaré que «Ford a passé sa campagne électorale à vanter son soutien aux travailleurs. Si les conservateurs de Ford veulent vraiment travailler pour les travailleurs, leur première action sera l’abrogation immédiate de la loi 124.»

Ce que Coates veut dire, c’est la frustration de la bureaucratie syndicale d’être exclue du processus qui détermine comment imposer les attaques aux travailleurs du secteur public. La loi 124 décrète que les augmentations salariales annuelles doivent être limitées à 1 %. Coates dit que si Ford abroge cette mesure – qui a déjà largement atteint son objectif d’imposer des années de réductions salariales réelles – les syndicats seront plus que disposés à négocier les réductions exigées par les grandes entreprises et à les imposer aux travailleurs dans un processus portant le titre orwellien de «négociation collective». Ainsi, Ford ne va pas «travailler pour les travailleurs», mais travailler avec les bureaucrates syndicaux.

Pour preuve, la déclaration de Coates suppliant Ford d’accepter les services des syndicats est intervenue le jour même où le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a lancé un appel à Ford, réélu, pour qu’il conclue rapidement un contrat pour les 55.000 travailleurs de soutien à l’éducation représentés par le syndicat, afin d’éviter toute «perturbation» lorsque le contrat actuel expirera à la fin de l’été. Par «perturbation», les bureaucrates du SCFP entendent ce qui serait pour eux la perspective terrifiante de voir les travailleurs de soutien à l’éducation et plus de 200.000 enseignants lutter ensemble pour de meilleurs salaires et conditions. Au lieu de cela, le SCFP propose que chaque section de travailleurs, soigneusement divisée et isolée par les syndicats, se mette à genoux devant Ford et supplie son gouvernement de lui accorder un contrat. C’est ainsi que le SCFP s’est comporté en 2019, en négociant à la dernière minute un contrat au rabais pour bloquer une grève des travailleurs de soutien à l’éducation. L’accord comprenait le plafond salarial de 1 %, que le SCFP a accepté sans broncher, même si le projet de loi 124 n’était pas officiellement en place à l’époque.

Des sentiments similaires ont été exprimés par les dirigeants d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada. Commentant l’élection de Ford, la directrice régionale d’Unifor Ontario, Naureen Rizvi, a déclaré: «J’espère qu’avec ce nouveau mandat, Ford saisira l’occasion de revenir sur ses anciennes attaques contre les travailleurs, d’abroger la loi 124, d’investir dans les soins de santé publics et de s’attaquer à l’augmentation du coût de la vie pour les travailleurs de l’Ontario.»

En d’autres termes, après avoir fanfaronné pendant quatre ans sur la nécessité de «se battre» pour un gouvernement «progressiste» tout en réprimant toutes les luttes des travailleurs, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada dit aux travailleurs de prier pour une conversion moderne de Saul en Paul afin que les bureaucrates syndicaux et les ministres thatchériens du gouvernement puissent se retrouver autour de la «table des négociations».

Unifor a déjà préparé le terrain pour coopérer étroitement avec Ford. En novembre dernier, avant d’être disgracié par un scandale de corruption, le président d’Unifor, Jerry Dias, s’est présenté aux côtés du premier ministre PC et du président du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO), Warren «Smoky» Thomas, pour vanter l’augmentation du salaire minimum provincial de Ford à un maigre 15 $ l’heure. Ignorant le fait qu’un salaire de subsistance dans les plus grands centres urbains de la province est d’au moins 20 $ et qu’il augmente rapidement en raison de la montée en flèche du coût de la vie, les bureaucrates d’Unifor ont fourni la toile de fond des bureaux des sections locales 414 et 462 d’Unifor à Ford, au ministre du Travail, Monte McNaughton, et au ministre des Finances, Peter Bethlenfalvy, pour qu’ils puissent se faire passer pour des amis des travailleurs. Dias a déclaré à quel point il était «heureux» que le gouvernement ait «inversé le cours des choses» – Ford avait fait reculer le salaire minimum en arrivant au pouvoir en 2018 – et ait décidé «d’augmenter les salaires des travailleurs.»

Ford a renvoyé l’ascenseur un mois plus tard, en nommant Dias à la présidence du Conseil du premier ministre sur la compétitivité du commerce et de l’industrie américains. Cet organisme est chargé de faire pression sur les législateurs américains pour garantir l’accès des produits fabriqués au Canada au marché américain, et d’offrir des réductions d’impôts et d’autres subventions pro-entreprises pour attirer les investissements dans les secteurs de l’automobile, des ressources et de la fabrication de la province sur la base d’une exploitation accrue des travailleurs. Dans un profil du gouvernement de l’Ontario, on peut lire avec enthousiasme: «Dias a joué un rôle actif dans l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (CUSMA) en tant que consultant auprès du gouvernement canadien et de l’équipe de négociation, où il a constamment fait pression pour relever les normes du travail au niveau national et international, maintenir la souveraineté canadienne et protéger les principales industries nationales. [...] Lors des négociations des Trois de Détroit en 2020, il a réussi à obtenir le retour de l’assemblage de camions à Oshawa, GM investissant plus de 1,3 milliard de dollars pour construire les modèles Silverado et Sierra. Lors des négociations de 2020 avec Ford, Fiat Chrysler Automobiles et General Motors, M. Dias a contribué à obtenir un investissement total de près de 6 milliards de dollars pour les installations automobiles à travers le Canada.»

La capitulation des syndicats devant les conservateurs, comme tous leurs efforts pour étouffer l’opposition des travailleurs, découle de l’intensification de la lutte des classes. Alors que des millions de travailleurs sont poussés à lutter pour de meilleurs salaires et conditions de travail, que le coût de la vie augmente, que la pandémie fait rage et que la menace d’une guerre mondiale est de plus en plus grande, la plus grande crainte de la bureaucratie syndicale est le développement d’un mouvement de masse de la classe ouvrière qui remettrait directement en cause le système de profit capitaliste sur lequel reposent leurs relations confortables avec les grandes entreprises et l’ensemble de l’establishment politique.

Les travailleurs doivent tirer des leçons politiques de grande portée des expériences récentes en Ontario. L’affirmation selon laquelle les travailleurs doivent subordonner leurs luttes à l’élection d’un gouvernement «progressiste» n’a fait que renforcer la main de Ford et des conservateurs, et a facilité l’approfondissement des liens entre la bureaucratie syndicale et les forces de droite auxquelles elle a prétendu s’opposer pendant des années. La seule perspective viable pour les travailleurs qui cherchent à résister aux attaques sauvages que le gouvernement Ford, profondément impopulaire, tentera de mettre en œuvre au cours de son second mandat, passe par une rupture politique irréconciliable avec les syndicats et par la création de comités de la base dans chaque lieu de travail afin d’organiser une lutte unifiée de la classe ouvrière, indépendamment des syndicats OFL, Unifor et des syndicats de la construction ouvertement pro-Ford. Dans cette lutte, les travailleurs doivent affronter de front la domination de la vie sociale et politique par l’oligarchie financière en luttant pour la redistribution des vastes richesses de la société afin de répondre aux besoins sociaux urgents et pour l’établissement d’un gouvernement ouvrier qui mettra en oeuvre des politiques socialistes.

(Article paru en anglais le 9 juin 2022)

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