Royaume-Uni: Johnson présente son programme de guerre de classe alors que prend forme la vague de grèves de l’«été de la colère»

Boris Johnson a lancé une offensive de guerre de classe contre des millions de travailleurs qui subissent une baisse sans précédent de leur niveau de vie. La classe ouvrière doit répondre à l’offensive des conservateurs par une contre-offensive et transformer les grèves et conflits sociaux, déjà annoncés comme un «été de la colère», en un défi politique conscient lancé au gouvernement conservateur.

Le premier ministre Boris Johnson s’exprimant à Blackpool, au Royaume-Uni. 9/06/2022. Blackpool, Royaume-Uni. [Photo par Andrew Parsons/No 10 Downing Street/CC BY 4.0] [Photo by Andrew Parsons/No 10 Downing Street / CC BY 4.0]

Depuis plus de six mois, le Parti travailliste et les médias insistent pour que les travailleurs concentrent leur attention sur une éventuelle révocation de Johnson en tant que premier ministre, comme moyen d’entamer une nouvelle période de gouvernement «responsable». Pendant ce temps, les syndicats ont fait tout leur possible pour réprimer les demandes croissantes de grève et pour promouvoir des appels du même type à la clémence du gouvernement.

Le point culminant de tout cela viendra le 18  juin où la fédération syndicale TUC (Trades Union Congress) organise une manifestation nationale sur le mot d’ordre ‘Nous exigeons mieux’. Le TUC réclame des mesures vagues comme «une vraie augmentation de salaire pour chaque travailleur et un vrai salaire de subsistance pour tous» que mettrait en œuvre «un gouvernement qui écoute et agit pour soutenir la population travailleuse». Cela est censé indiquer la perspective future d’un gouvernement travailliste. Mais le leader travailliste Sir Keir Starmer a clairement montré son accord avec le Parti conservateur sur toutes les questions clés, et s’est limité à demander aux députés conservateurs de «faire preuve de leadership» et de déposer Johnson.

Le 6  juin, une motion de censure venant du Parti conservateur a finalement été proposée contre Johnson, qui l’a remporté de justesse, 41  pour cent des députés conservateurs ayant voté contre lui. Sans surprise, cela a suscité une nouvelle vague de spéculations des médias sur une modification des règles du Parti conservateur pour permettre une deuxième motion de censure.

Pendant ce temps, Johnson continue de diriger un gouvernement de psychopathes politiques qui veulent soit qu’il intensifie son offensive contre les travailleurs et le rôle-clé joué par le Royaume-Uni dans la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, soit qu’il laisse la place à quelqu’un de mieux qualifié pour le faire.

Johnson fait tout ce qu’il peut pour convaincre ses députés qu’il est toujours l’homme de la situation. Dans un discours-programme prononcé le 9  juin à Blackpool, il a jeté de la barbaque aux loups conservateurs qui lui mordent les jambes. Il s’est engagé à faire la guerre en Ukraine à n’importe quel prix et à affronter et vaincre le mouvement de grève qui se développe dans la classe ouvrière. Et à réaliser le nirvana thatchérien d’une économie entièrement déréglementée et d’exploitation brutale que le Brexit était censé amener.

Johnson a accumulé les mensonges. Il a affirmé que sa politique consistant à «laisser les cadavres s’empiler par milliers» avait protégé le peuple britannique et qu’il avait «réussi à relever le défi bien plus important de Covid» avant que «ces progrès n’aient été brutalement interrompus le 24  février, lorsque Poutine avait lancé sa guerre désastreuse et non provoquée en Ukraine».

Il a prévenu que les hausses de prix allaient continuer pour le pétrole, le gaz, les céréales, les aliments pour animaux et les engrais. Mais il n’y avait pas de prix trop haut pour gagner une guerre contre la Russie. Il ne devait pas y avoir de cessez-le-feu, pas de «mauvaise paix» – «nous devons continuer à soutenir les Ukrainiens… aussi longtemps qu’il le faudra».

Le prix de la guerre et de la récession devait être payé par la classe ouvrière: «Si les salaires suivent continuellement la hausse des prix, alors nous risquons une spirale salaires-prix…» Il fallait au contraire des réductions d’impôts pour inverser «la météorite fiscale de Covid», combinées à des «réformes de l’offre» pour réduire les dépenses publiques et les «coûts pour les entreprises». L’«ère de l’aide phénoménale aux entreprises» devait être remplacée par une déréglementation économique avec «l’ouverture de ports francs dans tout le pays» et des mesures visant à «dynamiser» la place financière de Londres.

Ce programme de dévastation, a-t-il souligné, exigeait le licenciement de 91.000  fonctionnaires et des attaques impitoyables contre les travailleurs du rail, comme la fermeture totale des «guichets à personnel…sur tout le réseau transport».

La seule mesure «populiste» de Johnson était un projet dément visant à étendre la politique du «droit d’acheter» de Thatcher pour les locataires de logements sociaux et d’associations de logement bénéficiaires de l’aide sociale. Ces derniers pourraient utiliser l’aide au logement pour payer les hypothèques et «transformer les prestations en briques». Si cette mesure était mise en œuvre, elle anéantirait tout ce qui reste du logement social. Lindsay Judge, directeur de recherche à la Resolution Foundation, a noté à propos de ce fantasme que «plus de quatre familles sur cinq bénéficiant de prestations sous condition de ressources n’ont aucune épargne et subissent des fortes pressions liées au coût de la vie». Elles seraient incapables de profiter d’un quelconque accès à des versements hypothécaires plus faibles.

Le ragoût toxique de mesures proposé par Johnson n’a pas satisfait les appétits vénaux de ses critiques conservateurs. Le lendemain, l’ancien ministre du Brexit Lord David Frost a insisté dans le Daily Telegraphque pour sauver son poste de premier ministre Johnson devait annuler les augmentations d’impôts, imposer plus de coupes, annoncer un «projet de loi sur les opportunités du Brexit qui mette fin à de larges pans de la législation européenne», éliminer «immédiatement la plupart des droits de douane britanniques» et élaborer un «plan conservateur sur 10  ans pour restaurer la viabilité de l’État britannique, basé sur la liberté individuelle et non sur le collectivisme».

La lutte contre Johnson et le gouvernement conservateur ne peut se mener par des manœuvres parlementaires, mais uniquement par la lutte des classes. La principale cible de la haine des députés conservateurs est la grève prévue de plus de 40.000  membres du syndicat RMT (Rail, Mer Transport) les 21, 23 et 25  juin. Le syndicat ASLEF des conducteurs de train s’est refusé à réagir aux demandes d’action nationale de ses membres et les a incité cette semaine à abandonner un conflit de longue date avec ScotRail, en échange d’une maigre augmentation de salaire de 5  pour cent. Mais il a été forcé d’annoncer des grèves sur les trains de Greater Anglia le 23  juin, de Hull Trains le 26  juin, et de Croydon Tramlink le 28 et 29  juin, et le 13 et 14  juillet. Le syndicat ferroviaire des cols blancs TSSA va voter pour une action de grève chez Avanti West Coast, tandis que le syndicat Unite a annoncé que 1.000 de ses membres feraient grève dans le métro de Londres le 21  juin.

De plus, 115.000  membres du CWU (Communication Workers Union) travaillant pour la poste (Royal Mail) seront appelés à voter pour une grève le 15  juin, tout comme 40.000  membres du CWU chez BT. Le personnel des 114  bureaux de poste publics du Royaume-Uni a fait grève le 4  juin pour des raisons salariales. Des centaines de membres du personnel d’enregistrement et du personnel au sol de l’aéroport d’Heathrow sont en train de voter en faveur de la grève. Ils veulent l’annulation d’une réduction de salaire de 10  pour cent pendant la pandémie. Les soignants menacent de faire grève en Écosse. Et à l’automne, 1,4  million de travailleurs des collectivités locales pourraient également faire grève sur leurs salaires de misère.

L’accumulation des conflits montre que les travailleurs sont au bord de la catastrophe sociale. Des millions de gens n’ont pas les moyens de se chauffer, de payer l’essence de leur voiture ou même de nourrir leur famille.

Le fait que tant de gens se battent est la responsabilité politique du Parti travailliste, qui fonctionne comme partenaire de fait dans une coalition avec le Parti conservateur, et des syndicats qui ont présidé à l’affaiblissement systématique du niveau de vie des travailleurs pendant des décennies.

Aujourd’hui, le TUC ne peut se référer qu’indirectement au Parti travailliste, car il sait que ce dernier se déclarera de plus en plus ouvertement adversaire de toute lutte contre le gouvernement et les employeurs. Cette semaine, Lisa Nandy, la ministre ‘fantôme’ droitière à l’Égalité des chances, a exprimé une sympathie peu sincère pour les travailleurs du rail, qui avaient « vraiment du mal à joindre les deux bouts». Mais même ça, c’était trop pour Starmer dont le porte-parole a rassuré le grand patronat: «Nous avons été clairs sur le fait que les grèves ne devaient pas avoir lieu. Personne ne veut voir un conflit social perturbateur».

Les travailleurs doivent également comprendre qu’avec la bureaucratie syndicale ils ont affaire à une force de police sociale cherchant désespérément à empêcher les grèves limitées qu’elle a été contrainte d’accepter et qui les trahira à la première occasion au moindre coût pour la classe dirigeante. Si elle n’y parvient pas, les ministres, les compagnies ferroviaires et Network Rail lanceront une opération pour briser la grève, qu’il faudra combattre et vaincre. Le gouvernement a réitéré son intention d’introduire des normes de service minimum dans les chemins de fer dès que possible pour empêcher qu’une grève efficace n’ait un impact sur les industries et services jugés essentiels au fonctionnement de l’économie nationale.

La préparation d’une lutte contre le gouvernement conservateur doit donc passer par la formation de comités de la base indépendants des syndicats pro-patronat, qui peuvent unifier et organiser les luttes émergentes des travailleurs ; et par la construction du Parti de l’égalité socialiste pour remplacer le carcasse politique en décomposition du Parti travailliste.

(Article paru d’abord en anglais le 11 juin 2022)

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