Alors que les États-Unis et l’OTAN poursuivent leur guerre contre la Russie en Ukraine, les tensions augmentent dangereusement entre la Turquie et la Grèce, pays membres de l’OTAN, dans la mer Égée. Les deux pays organisent des exercices de guerre dirigés l’un contre l’autre, s’accusant mutuellement de ne pas respecter les traités internationaux et de violer leurs frontières respectives avec des avions de chasse et des navires de guerre.
L’exercice Ephesus-2022 des forces armées turques (TSK), qui s’est déroulé en mer Égée et auquel ont participé plus de 10.000 militaires, a pris fin la semaine dernière. Trente-sept pays, dont les États-Unis et l’Italie, ont participé aux manoeuvres aériennes, maritimes et terrestres. Organisé à Seferihisar, à seulement 1,5 kilomètre de l’île grecque de Samos, située dans la mer Égée, l’exercice était basé sur le scénario d’un «débarquement militaire sur une île». Il a été largement traité dans les médias capitalistes turcs comme une menace contre la Grèce.
Les médias grecs ont rapporté qu’au cours de l’exercice naval grec Storm 2022, qui s’est achevé le 27 mai, la Turquie a envoyé «deux avions de chasse F-16 qui ont violé l’espace aérien grec, se rendant à seulement 2,5 miles nautiques de la ville portuaire d’Alexandroúpoli au nord du pays».
Pendant l’exercice Ephesus-2022, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a accusé la Grèce d’armer les îles de la mer Égée en violation des accords internationaux. Il a mis en garde Athènes «une dernière fois» à ce sujet: «Nous invitons la Grèce à cesser d’armer les îles qui ont un statut non militaire et à agir conformément aux accords internationaux. Je ne plaisante pas, je parle sérieusement».
Menaçant de militariser les îles turques si nécessaire pour menacer la Grèce, Erdoğan a déclaré: «Nous avertissons à nouveau la Grèce d’éviter les rêves, les déclarations et les actions qui pourraient être regrettables, tout comme il y a un siècle», une référence à la guerre d’indépendance turque contre l’invasion grecque soutenue par les Britanniques en 1919-1922.
Il y a une semaine, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Çavuşoğlu a accusé la Grèce de violer ses traités de paix avec la Turquie: «Mais y a-t-il une autre raison pour que la Grèce soit agressive? La violation par la Grèce du statut des îles qu’on lui a donné dans le traité de Lausanne de 1923 et le traité de Paris de 1947 sous la condition de ne pas les armer [les îles grecques de la mer Égée], et nous qui mentionnons cette violation dans le cadre du droit international».
Cavusoglu a ajouté: «La souveraineté des îles sera remise en question si la Grèce ne met pas fin à sa violation». Cette menace de «remettre en question» la souveraineté de la Grèce sur les îles qu’elle contrôle équivaut à une menace de les envahir et de partir en guerre.
Le ministère grec des Affaires étrangères a réagi à l’exercice Ephesus-2022 et aux déclarations des responsables turcs sur Twitter. Il a écrit: «Ankara constitue une menace pour la paix et la sécurité régionales.» Jeudi, le porte-parole du gouvernement grec, Giannis Oikonomou, a rejeté les affirmations turques, les qualifiant de «revendications anhistoriques et de mythes sans fondement qui ne peuvent ni contester ni, a fortiori, se substituer au droit international et aux traités internationaux».
Accusant Erdoğan de provocation, Oikonomou a menacé: «C’est clair pour tout le monde que notre pays a amélioré son empreinte géostratégique et géopolitique ainsi que sa capacité de dissuasion pour être capable à tout moment de défendre sa souveraineté nationale et ses droits souverains».
Un siècle après le début de la Première Guerre mondiale dans les Balkans, l’OTAN et les gouvernements bourgeois de la région risquent à nouveau de plonger le monde dans une guerre catastrophique. En 2020, les tensions entre la Turquie et la Grèce au sujet du gaz naturel et des frontières maritimes en Méditerranée orientale ont été désamorcées par la médiation de l’UE et surtout de l’Allemagne. Les pourparlers gréco-turcs ont repris. Cependant, comme l’a prévenu le World Socialist Web Site, «l’histoire montre que de tels conflits ne peuvent être résolus pacifiquement sous le capitalisme, qu’un accord de paix temporaire entre la Grèce et la Turquie soit ou non conclu».
La guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine a maintenant enflammé le conflit gréco-turc, transformant ainsi la mer d’Égée en un second front non déclaré dans la guerre OTAN-Russie.
Le gouvernement de droite du premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis s’est aligné sans complexe sur les mesures prises par Washington contre la Russie. Le port grec d’Alexandroúpoli, dans le nord de la mer Égée, a été transformé en une importante base militaire américaine. Alexandroúpoli est également utilisé pour livrer des armes à l’Ukraine et aux forces de l’OTAN le long de la frontière avec l’Ukraine en Roumanie.
La bourgeoisie turque mène une politique cynique et hypocrite dans la guerre de l’OTAN contre la Russie. D’un côté, elle appuie la politique ukrainienne de l’OTAN, y compris le coup d’État d’extrême droite que l’OTAN a soutenu à Kiev en 2014, et a armé Kiev avec des drones Bayraktar TB2 armés. D’autre part, elle maintient les canaux diplomatiques avec la Russie, ayant accueilli le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov à Ankara, et a posé certains obstacles aux actions les plus agressives de l’OTAN qui visent la Russie.
Ankara a fermé les détroits de la mer Noire qui relient la mer Méditerranée aux côtes ukrainiennes et russes de la mer Noire aux navires de guerre de l’OTAN et de la Russie, bloquant ainsi une attaque navale de l’OTAN contre la Russie. Elle a également menacé d’opposer son veto aux projets de l’OTAN qui visent à absorber la Suède et la Finlande et à déployer des troupes de l’OTAN à la frontière nord de la Russie avec la Scandinavie. Le gouvernement turc ne s’opposait toutefois pas à la guerre, mais poursuivait sa politique de longue date dirigée contre le peuple kurde: il a dénoncé la Suède et la Finlande pour leurs liens avec des organisations nationalistes kurdes.
Washington répond à cette menace de veto en invitant Mitsotakis à prononcer un discours dénonçant la Turquie devant le Congrès américain. Au cours de son discours, accueilli avec enthousiasme, Mitsotakis a rendu la Turquie responsable de la division de l’île méditerranéenne de Chypre et a demandé l’arrêt des ventes de F-16 américains à la Turquie. Le président américain Joe Biden a également apporté son soutien à Mitsotakis.
Erdoğan a condamné la visite de Mitsotakis, déclarant que Mitsotakis «n’existe plus» pour lui. Erdoğan a ajouté qu’il considérait les bases américaines et de l’OTAN en Grèce, qui visent la Russie et l’influence économique croissante de la Chine dans la région, comme une menace pour son gouvernement. Il a déclaré: «Et, plus important encore, il y a près d’une douzaine de bases en Grèce. Qui la Grèce menace-t-elle avec ces bases?»
Les travailleurs en Grèce, en Turquie et au niveau international doivent être avertis: le danger que les conflits en mer Noire et dans les Balkans dégénèrent de manière incontrôlée en une guerre mondiale est bien réel. Au cours de la troisième année de la pandémie de COVID-19, les prix s’envolent et l’aristocratie financière augmente massivement sa richesse. Cela provoque des grèves et des protestations au niveau international, et les gouvernements capitalistes sont tous terrifiés par l’éruption internationale de la lutte des classes.
En Grèce, des manifestations ont eu lieu contre l’arrivée des forces de l’OTAN, dont le porte-avions français Charles de Gaulle, qui menacent la Russie. Des grèves ont également éclaté parmi les travailleurs du rail qui protestent contre l’obligation de transporter des chars américains vers les frontières ukrainiennes et russes. Cette situation fait suite à une décennie d’austérité sauvage imposée par l’Union européenne et les gouvernements de la Nouvelle démocratie de Mitsotakis et de la pseudogauche SYRIZA (Coalition de la gauche radicale).
En Turquie, des grèves des soins de santé contre la mauvaise gestion officielle de la pandémie de COVID-19 et plusieurs grèves sauvages dans les secteurs de l’automobile, de l’acier, des mines, de la construction navale et d’autres industries contre la flambée dévastatrice des prix ont éclaté au cours de l’année écoulée. Une grève nationale d’une journée, menée par plus de 100.000 médecins en Turquie, devait avoir lieu mardi.
Erdoğan et Mitsotakis sont presque en guerre l’un contre l’autre, mais ils sont unis dans leur tentative d’utiliser le militarisme et le nationalisme pour diviser la classe ouvrière et réprimer les luttes croissantes sur les deux rives de la mer Égée. Il est impossible de dire où se termine leur aventurisme militaire insouciant et où commence la promotion du chauvinisme anti-ouvrier. La question décisive que cela pose est d’unifier les luttes ouvrières au niveau international dans un mouvement socialiste et antiguerre pour faire tomber ces gouvernements et transférer le pouvoir à la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 14 juin 2022)
