Québec: la CAQ intensifie sa campagne anti-immigration en vue des prochaines élections provinciales

Lors de son récent congrès national, la Coalition Avenir Québec (CAQ), le parti nationaliste de droite qui dirige la province du Québec, a signifié son intention de faire campagne pour que les pouvoirs en matière d’immigration actuellement détenus par le gouvernement fédéral soient transférés à la province.

«Je demande, aux prochaines élections [de cet automne], un mandat fort pour aller négocier ça avec le gouvernement fédéral», a tonné François Legault, chef de la CAQ et actuel premier ministre du Québec, sous les applaudissements nourris de quelque 1500 dirigeants et membres du parti. «C’est une question de survie pour notre nation», a ajouté Legault avec emphase. Des militants de la base sont allés jusqu’à proposer la tenue d’un référendum sur la question, ce que la direction du parti a refusé à ce point-ci.

La demande que les pouvoirs d’immigration soient «rapatriés» au Québec remet en question le fragile équilibre des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, source de vives tensions internes depuis la fondation du Canada.

En inventant de toutes pièces un «danger» de l’immigration pour «notre nation», Legault poursuit un double objectif: détourner l’attention de sa gestion désastreuse de la pandémie de COVID-19, de l’état déplorable des services publics et des effets économiques dévastateurs de l’inflation galopante; et provoquer un conflit avec Ottawa afin d’attiser le virulent nationalisme québécois qui forme la base idéologique de son gouvernement ultra-réactionnaire.

Le premier ministre du Québec, François Legault

Le congrès de la CAQ a été dominé par un discours anti-immigration. Cherchant à présenter les immigrants et leurs familles comme une menace à la «culture québécoise», Legault s’est plaint que «la moitié» des nouveaux arrivants issus du programme de réunification familiale – soit une infime partie de la population – ne parle pas le français.

Le premier ministre a ajouté de manière absurde que si le gouvernement du Québec n’obtient pas les pouvoirs qu’il revendique en matière d’immigration, «ça peut devenir une question de temps avant qu’on devienne une Louisiane». La Louisiane est un état américain autrefois sous le contrôle de la France où à peine 2% de la population parle français, alors que 90% de la population québécoise parle cette langue, dont 78% comme langue maternelle.

Le congrès s’est tenu quelques jours après que le gouvernement Legault a fait adopter son projet de loi 96 sur la langue française. En restreignant encore plus les droits linguistiques des minorités (notamment celles issues de l’immigration), cette nouvelle loi renforce les éléments anti-démocratiques de la loi 101 adoptée en 1977 par le Parti québécois.

Sans surprise, le projet de loi 96 chauvin de la CAQ a reçu le soutien enthousiaste du parti supposément «de gauche» Québec Solidaire, fervent promoteur de l’indépendance du Québec – le projet réactionnaire d’une république capitaliste du Québec en tant que troisième État impérialiste en Amérique du Nord.

La CAQ, à l’instar des gouvernements américain et européens qui normalisent de plus en plus les idéologies et les forces d’extrême-droite, veut faire des immigrants les boucs émissaires de tous les maux sociaux créés par le système de profit. Le mois dernier, Legault a exhorté le gouvernement Trudeau à fermer le chemin Roxham, entre le Québec et l’état de New York, par lequel des centaines de migrants entrent au Canada chaque année pour fuir la chasse aux sorcières que mène Washington contre les réfugiés.

Le nationalisme québécois – comme son frère jumeau le nationalisme canadien et toute forme de nationalisme – est un outil idéologique utilisé pour étouffer la lutte de classes, subordonner les travailleurs à «leur» classe dirigeante nationale, et empêcher ainsi un mouvement unifié de la classe ouvrière contre le capitalisme. Ce n’est pas un hasard si Legault justifie sa politique nationaliste de droite en invoquant la nécessité de maintenir la «cohésion sociale».

L’idéologie nationaliste sert aussi d’écran de fumée à la classe dirigeante pour attaquer les emplois et les services publics et accélérer le transfert du bas vers le haut des richesses sociales produites par les travailleurs – notamment grâce à des baisses massives d’impôts au profit des riches et de la grande entreprise. Les grands journaux publient ainsi régulièrement des avertissements au gouvernement Legault qu’il devra «mettre de l’ordre» dans les finances publiques après les élections, c’est-à-dire intensifier l’assaut frontal qu’il a mené contre la classe ouvrière tout au long de son premier mandat.

Du point de vue de l’élite dirigeante québécoise, le nationalisme sert également à renforcer sa position dans ses luttes de pouvoirs avec Ottawa et les autres factions provinciales de la bourgeoisie canadienne. Quant aux lois linguistiques chauvines (comme la loi 101 et sa dernière mouture depuis l’adoption du projet de loi 96), elles sont particulièrement appréciées des classes moyennes aisées francophones du Québec en tant que tremplins pour avoir accès – au détriment de leurs rivales anglophones – à des positions de pouvoir et à des carrières lucratives dans l’administration et les comités de direction des grandes sociétés.

La croisade nationaliste de la CAQ représente le point culminant, à ce jour, de la campagne contre les immigrants que mène tout l’establishment politique québécois depuis 15 ans. Notons parmi les points forts de cette campagne:

* le scandale fabriqué autour des accommodements «déraisonnables» supposément accordés aux minorités religieuses;

* la «Charte des valeurs» du Parti québécois qui voulait empêcher tous les employés de l’État de porter des signes religieux «ostentatoires», hormis les signes catholiques;

* le projet de loi 62 du Parti libéral qui, sous le prétexte de la «laïcité», prescrivait que les services publics soient donnés et reçus «à visage découvert» dans une attaque explicite contre l’infime minorité de femmes musulmanes portant le voile intégral au Québec;

* la loi 21 de la CAQ qui, s’inspirant à la fois de la Charte péquiste et de la loi des libéraux sur la «laïcité», interdit le port des signes religieux aux enseignants et autres employés de l’État dits en «position d’autorité» et bloque l’accès des musulmanes pleinement voilées aux soins de santé et autres services publics.

Cette campagne réactionnaire a été soutenue dès le début par le parti de la pseudo-gauche Québec Solidaire sous prétexte qu’il s’agissait d’un «débat légitime». Plus récemment, QS a timidement critiqué les propos de Legault sur l’immigration et qualifié de «grossière exagération» sa référence à la «Louisianisation» du Québec. Mais c’est une opération de camouflage, considérant qu’à peine quelques jours plus tôt, le même QS votait en faveur du projet de loi 96 chauvin de la CAQ.

Parmi la série de mesures anti-démocratiques introduites par cette loi, notons la communication exclusivement en français du gouvernement avec les immigrants et réfugiés 6 mois après leur arrivée dans la province; et l’interdiction aux travailleurs du secteur public (à l’exception de certaines institutions désignées bilingues) de communiquer avec les nouveaux arrivants en anglais ou toute autre langue que le français.

En plus de QS, le gouvernement Legault a reçu l’appui crucial de la bureaucratie syndicale qui travaille depuis des décennies à diviser la classe ouvrière québécoise de ses frères et sœurs de classe dans le reste du Canada et à subordonner les travailleurs aux patrons québécois sous prétexte qu’ils parlent la même langue. Les syndicats pro-capitalistes ont salué le projet de loi 96, et dans la mesure où ils l’ont critiqué, c’était du point de vue de leurs alliés péquistes traditionnels qui jugent que la loi ne va pas assez loin dans ses mesures discriminatoires contre les non-francophones.

Le parti libéral du Québec et certains représentants du patronat ont émis quelques critiques limitées du chauvinisme de la CAQ, mais d’un point de vue purement pragmatique. Par exemple, Charles Millard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec, a dit craindre que de telles politiques ternissent l’«image de marque» du Québec à l’étranger, c’est-à-dire la capacité des entreprises à attirer les investissements étrangers ainsi que la main-d’oeuvre immigrante bon marché.

Quant au gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, sa posture d’opposition aux politiques de la CAQ est frauduleuse sur toute la ligne, tout comme son image «pro-immigration» entretenue de longue date par l’establishment et les grands médias.

Trudeau a maintenu le régime d’immigration pro-employeurs du Canada, largement basé sur les besoins du marché de l’emploi, que des fascistes comme l’ex-président américain Donald Trump ou des dirigeants de l’AfD en Allemagne ont vanté comme un modèle à suivre. Des dizaines de milliers de travailleurs temporaires – dont plus de 50.000 travailleurs agricoles au statut précaire, sous-payés et privés de leurs droits de base – arrivent au Canada chaque année pour enrichir les gros joueurs de l’industrie agro-alimentaire.

En violation flagrante du droit international, le gouvernement Trudeau collabore aussi étroitement avec Washington – d’abord sous Trump puis maintenant sous Joe Biden – pour rendre de plus en plus hermétique la frontière entre les deux pays et empêcher l’arrivée des demandeurs d’asile qui fuient les États-Unis.

Au même moment, le Canada profite de la sauvage politique de refoulement des réfugiés que pratique Washington à sa frontière sud avec le Mexique pour se laver les mains du sort des masses opprimées d’Amérique latine, qui cherchent à fuir les conditions infernales de pauvreté et d’insécurité causées par des décennies d’oppression impérialiste – pas juste aux mains de Washington, mais aussi d’Ottawa.

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