Perspective

La politique d’infection massive des compagnies aériennes fait des ravages dans le secteur aérien international

Avec le début de la période de pointe des voyages d’été, le secteur du transport aérien dans le monde est mis à rude épreuve jusqu’au point de rupture totale. Les équipages et employés des aéroports en sous-effectif sont épuisés ; les compagnies aériennes sont face à une pénurie de main-d’œuvre, d’avions et d’équipements; les passagers bloqués et les bagages perdus s’accumulent dans les aéroports.

Plus de 4.500  vols liés aux États-Unis ont été annulés pendant le week-end de la fête des Pères et du dix juin. Les analystes s’attendent à ce que le week-end du 4  juillet, l’une des dates les plus chargées pour les voyages aériens, soit pire encore. Le chaos pourrait selon eux persister pendant des mois, voire des années.

On peut comprendre que les pilotes et le personnel navigant soient réticents à reprendre un travail où on les entasse dans des avions et des aéroports avec des centaines des passagers sans qu’aucune mesure ne soit prise pour arrêter la propagation de la COVID-19, à qui on ne demande même pas de porter un masque. Ces travailleurs sont régulièrement contraints de travailler des heures inhumaines avec des conséquences mortelles s’ils commettent des erreurs dues à la fatigue.

Mardi, plus de 1.300  pilotes de Southwest Airlines ont défilé à Dallas, au Texas, pour protester contre la fatigue, le stress, le manque de personnel et les mauvaises programmations. Les pilotes de Delta affirment avoir effectué plus d’heures supplémentaires en 2022 que pendant les années  2018 et 2019 réunies, leurs années les plus chargées à ce jour.

La fatigue des pilotes est un danger mortel dans le transport aérien. Sachant qu’ils tiennent la sécurité de leurs passagers entre leurs mains, le nombre de pilotes qui s’absentent du travail pour cause de fatigue a atteint des chiffres records.

Des pilotes français ont déclaré que les efforts déployés par la compagnie britannique à bas prix EasyJet pour assurer un programme complet de vols d’été «avec moins d’équipages de vol, de personnel de cabine ou d’agents de planification de vol» avaient «laissé des centaines d’employés dans la détresse».

La crise est due à la réaction criminelle et axée sur le profit des compagnies aériennes et des gouvernements dans le monde face à la pandémie de COVID-19. Des dizaines de milliers de travailleurs des compagnies aériennes ont été malades ou affaiblis par la COVID-19, et un nombre inconnu en est mort. Avant que la vaccination obligatoire pour les travailleurs des compagnies aériennes ne commence à l’été  2021, un employé de United Airlines mourait chaque semaine.

Lors d’une réunion à Doha, au Qatar lundi, les dirigeants des compagnies aériennes ont dénoncé les travailleurs qui refusaient de risquer leur vie. «Les gens ont pris la mauvaise habitude de travailler à domicile» pendant la pandémie, a déclaré à la presse Akbar Al  Baker, le patron de la compagnie aérienne hôte Qatar Airways. «Ils estiment qu’ils n’ont pas besoin d’aller dans un secteur qui a vraiment besoin de personnes pratiques», ajoutant que la pénurie de personnel dans les aéroports pourrait «nuire à la croissance», selon Reuters.

Un grand nombre de pilotes américains devant prendre leur retraite dans les prochaines années, les lobbyistes du secteur font pression pour que l’âge de la retraite passe de 65 à 67  ans. Chose incroyable, ils demandent qu’on arrête d’exiger que les nouveaux pilotes aient obligatoirement 1.500  heures de vol avant d’être qualifiés comme pilotes de transport et de voler comme co-pilotes. Une réduction de 99,8 pour cent des décès a eu lieu dans les compagnies aériennes depuis qu’on a porté cette exigence, de 250  heures en 2013, au niveau actuel.

Ces conditions provoquent un mouvement des pilotes, du personnel de cabine et d’autres employés des compagnies aériennes en Europe, aux États-Unis et dans le monde:

  • Le syndicat des pilotes d’Air France-KLM a appelé à une grève d’une journée pour le samedi  25  juin.
  • Le personnel de cabine de Ryanair en Belgique, en France, en Italie, au Portugal et en Espagne a appelé à la grève le week-end prochain, tandis que qu’EasyJet en Espagne est confronté à une grève de neuf jours à compter du 1er  juillet, pour l’obtention d’une augmentation de 40  pour cent.
  • Les travailleurs des aéroports parisiens Charles de Gaulle et Orly sont appelés à faire grève le 2  juillet pour réclamer des augmentations de salaire, un débrayage d’un jour du personnel au sol et des pompiers a déjà eu lieu la semaine dernière.
  • Plus de 50  départs ont été annulés dans les aéroports de Norvège mardi et mercredi en raison d’une grève des techniciens aéronautiques.
  • Aux États-Unis, 6.100  employés du service clientèle de Southwest viennent de rejeter une deuxième proposition de contrat soutenue par l’Association internationale des machinistes, car elle prévoyait des augmentations inférieures au taux d’inflation. Les pilotes d’Alaska Airline ont voté la grève, et les pilotes et autres travailleurs de Southwest, Delta, United, American et d’autres transporteurs américains se trouvent dans des luttes contractuelles.

Au début de la pandémie, les dirigeants des compagnies aériennes américaines ont fait pression pour obtenir, et ont obtenus, quelque 63  milliards de dollars de relance. On voulait prétendument éviter les licenciements si le trafic aérien s’effondrait. Mais ils ont rapidement licencié 80.000  travailleurs par le biais de «rachats volontaires» et de retraites anticipées. Après leur renflouement gouvernemental, Lufthansa, KLM et d’autres transporteurs européens et internationaux ont fait de même.

Selon les recherches du cabinet de conseil Oxford Economics, citées par le Financial Timesla semaine dernière, l’industrie aéronautique avait en septembre 2021, comparé au nombre d’emplois d’avant la loi COVID, éliminé 2,3  millions d’emplois. «Ces chiffres incluent une baisse de 29  pour cent du personnel sous contrat dans les aéroports, comme les manutentionnaires au sol, où 1,7  million d’emplois ont été perdus», écrit le FT.

Ayant en main l’argent du renflouement gouvernemental, les dirigeants des compagnies aériennes ont fait pression de manière agressive pour lever les restrictions de voyage et toute autre mesure visant à protéger travailleurs et passagers, qu’il considéraient comme nuisible à leurs profits.

Le 21  décembre 2021, Ed Bastian, PDG de Delta Airlines, écrivait aux CDC (Centres de contrôle et prévention des maladies) qu’une réduction de la période de quarantaine pour les travailleurs contaminés aurait «un impact significatif sur notre personnel et nos opérations». Moins d’une semaine plus tard Rochelle Walensky, directrice des CDC de Biden, réduisait la période de quarantaines de 10 à 5  jours, obligeant les travailleurs malades à reprendre le travail.

En avril 2022, Nicholas Calio, président d’Airlines for America, le plus grand lobby des compagnies aériennes américaines a écrit une lettre demandant instamment au gouvernement américain de lever le port du masque obligatoire pour tous les voyageurs aériens et le test COVID-19 pour les voyages internationaux.«Aucune de ces restrictions n’est actuellement soutenue par les données et la science dans l’environnement sanitaire actuel» écrit-il.

En mai, le gouvernement Biden a autorisé la fin du port obligatoire du masque dans les trains et les avions. Puis, le 10  juin, le CDC a supprimé les exigences de test pour les voyageurs aériens entrant aux États-Unis.

Le gouvernement Biden a adopté une politique de «laisser le virus sévir » alors même que de nouveaux sous-variants de ce virus mortel et débilitant se répandent dans le pays.

Les travailleurs des compagnies aériennes, comme les cheminots britanniques et d’autres sections de la classe ouvrière, disent que cela suffit. Cette opposition croissante a cependant besoin d’une organisation et d’une stratégie politique.

La politique nationaliste et pro-capitaliste des syndicats, qui dressent les travailleurs les uns contre les autres dans une course fratricide vers le bas, ont conduit les travailleurs des compagnies aériennes dans une impasse. De nouvelles organisations contrôlées par la base sont nécessaires pour coordonner au-delà des frontières nationales leurs luttes contre ces entreprises mondiales. C’est pourquoi a été fondée l’année dernière l’Alliance internationale ouvrière des comités de base (IWA-RFC).

Une contre-offensive sociale de la classe ouvrière doit être associée à une lutte politique consciente contre le capitalisme.

La crise du transport aérien est le produit de décennies de promotion du «marché libre» par les gouvernements capitalistes du monde entier. La déréglementation de l’industrie aérienne aux États-Unis et l’écrasement de la grève des contrôleurs aériens par Reagan en 1981 ont été les premiers coups de feu d’une guerre contre les travailleurs du secteur aérien. Suivirent la privatisation des compagnies aériennes publiques de nombreux pays, une vague de faillites, fusions et licenciements massifs, l’apparition de «compagnies aériennes à bas prix» qui ont créé une concurrence féroce, et une détérioration de la sécurité et des conditions de travail.

La crise et l’échec du capitalisme sont désormais apparents pour tous le monde : dans la poussée record de l’inflation, la pénurie des produits de base, la pandémie qui continue et le gaspillage des ressources de la société pour l’enrichissement des trusts et de l’oligarchie financière, et dans leurs plans fous de troisième guerre mondiale. Le secteur mondial du transport aérien doit être transformé en service public, contrôlé démocratiquement et détenu collectivement par la classe ouvrière dans le cadre de la réorganisation socialiste de l’économie mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 22 juin 2022)

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