Les leçons des grèves des cheminots britanniques

Après une semaine d'action déterminée par des dizaines de milliers de cheminots, le Syndicat des cheminots, de la mer et des transports (RMT) a repris lundi les pourparlers avec Network Rail et les compagnies ferroviaires.

Des grévistes sur le piquet de grève à la gare de Leeds [Photo : WSWS]

Mardi, le secrétaire général du RMT, Mick Lynch, a confirmé que toutes les coupes sociales restaient sur la table, y compris le travail obligatoire de 7 jours, les nouvelles structures de classement, de salaires et profil de postes, de contrats à salaires réduits et heures de travail augmentées, ainsi que les attaques massives contre le régime de retraite des chemins de fer. Il a publié une déclaration expliquant que les employeurs «ont adopté une ligne extrêmement dure, nous pensons que c'est à la demande du gouvernement, afin de faire passer leur programme de 2 milliards de livres sterling de réductions de coûts et ce qu'ils appellent la «réforme de la main-d'œuvre».

Pourtant, les responsables de RMT poursuivent leurs négociations infructueuses avec Network Rail et les sociétés d'exploitation ferroviaire, se plaignant que les ministres du gouvernement devraient «être eux aussi présents».

Le programme brutal du gouvernement Johnson pour une réforme du lieu de travail à tout prix est limpide, le Premier ministre Boris Johnson ayant déclaré dimanche qu'il n'y aura pas de retour aux «affaires comme avant» et que les fermetures massives des billetteries se poursuivront. Le secrétaire aux Transports, Grant Shapps, dénonce les grévistes pour avoir maintenu les «pratiques de travail de l'âge de pierre», insistant sur le fait que projet thatchérien pour les Great British Railways sera imposé.

Le RMT a déjà signalé sa volonté de trouver un terrain d'entente avec le gouvernement. Ses seules revendications visent un accord salarial inférieur à l'inflation de 7 pour cent et un engagement contre des licenciements collectifs. Mais plus de 2 900 emplois dans les chemins de fer ont déjà été détruits ces derniers mois via un «plan de départ volontaire» approuvé par les syndicats.

Il faut faire le bilan des grèves nationales de la semaine dernière et des leçons politiques à en tirer pour la classe ouvrière.

Fer de lance d'une offensive ouvrière

La grève de trois jours des cheminots de la semaine dernière a suscité une sympathie massive du public, marquant le début d'une riposte des millions de travailleurs touchés par la même crise du coût de la vie et qui veulent vaincre l'offensive de guerre de classe du gouvernement Johnson et des employeurs.

Des votes pour faire grève sont en cours cette semaine pour 40.000 travailleurs des télécommunications de BT, 115.000 postiers et des milliers de conducteurs de train. Le personnel au sol de British Airways fera grève cet été, rejoignant les cheminots, les éboueurs, les chauffeurs de bus et les avocats. Infirmières, médecins internes, enseignants et fonctionnaires appellent à la grève. S'ils étaient tous réunis, ces mouvements sociaux représenteraient trois millions de travailleurs et jetteraient les bases d'une grève générale pour faire tomber le gouvernement Johnson.

Les travailleurs entrent en bataille dans le cadre d'une résurgence internationale de la lutte des classes. Des grèves générales ont eu lieu en Belgique, en Italie et en Grèce. Des grèves de masse ont éclaté en Turquie et en Espagne, tandis que des pilotes et d'autres travailleurs des compagnies aériennes ont fait grève dans toute l'Europe. Sur tous les continents, la classe ouvrière lance une action collective contre la flambée de l'inflation et l'impact d'une pandémie qui continue de faire des victimes. Les gouvernements versent des milliards dans les budgets militaires alors qu'ils préparent une agression militaire directe contre la Russie et la Chine qui menace de déclencher la Troisième Guerre mondiale.

Attaques impitoyables de l'État

Dans son discours d'hier aux chefs militaires, le chef de l’armée britannique Sir Patrick Sanders a déclaré que la guerre de l'OTAN en Ukraine était le «moment de 1937» de la Grande-Bretagne et qu'une guerre totale contre la Russie devait être préparée. L'effort de guerre signifierait travailler maintenant avec des «partenaires de l'industrie» pour «rendre l'armée plus létale et plus efficace, avec un meilleur équipement entre les mains de nos soldats au meilleur rythme. Nous ne pouvons pas allumer les fours des usines à travers le pays à la veille de la guerre; cet effort doit commencer maintenant».

La guerre contre la Russie et la Chine exige une guerre de classe à l'intérieur. La détermination du gouvernement Johnson à écraser la grève des cheminots prépare un assaut total contre la classe ouvrière. Sur fond d'une crise économique qui fait rage, la classe dirigeante est déterminée non seulement à faire payer la guerre en Ukraine aux travailleurs, mais aussi l'impact d'une pandémie persistante, les travailleurs devant payer la facture des renflouements de plusieurs milliards d’euros remis à la grande entreprise et aux super-riches.

Il a déposé un projet de loi qui créera une agence de briseurs de grève. Des lois anti-grève pour les «industries essentielles» sont en cours d'élaboration qui interdiront les débrayages revendicatifs à moins que les niveaux de service minimum ne soient respectés, mettant ainsi fin au droit de grève dans les transports et autres services essentiels. Une législation similaire a été utilisée cette semaine en Espagne pour interdire les grèves des pilotes de Ryanair, la compagnie se vantant qu'aucun service n'a été interrompu.

La répression étatique ne s'arrêtera pas là. Un aperçu des discussions dans les cercles dirigeants a été fourni par la députée libérale démocrate Munira Wilson qui a exigé pendant une émission télévisée dimanche que Johnson «travaille avec l'armée et d'autres pour mettre en place des plans d'urgence si les grèves devaient se poursuivre», insistant sur «des temps exceptionnels appellent à des mesures exceptionnelles».

La police, à droite, éloigne les grévistes d'un engin à vapeur remorquant des rouleaux de papier, à Londres, le 3 mai 1926, pendant la grève générale. [AP Photo] [AP Photo]

Lors de la grève générale de 1926, le gouvernement de Stanley Baldwin mobilisa toute l'armée britannique contre les grévistes insurgés. Des bataillons de soldats appuyés par la cavalerie et des camions blindés occupaient les quais portuaires. Les troupes occupèrent les dépôts de bus et de transport. Des cuirassés furent déployés par la Royal Navy à Liverpool, Portsmouth, Hull, Cardiff et d'autres villes, prêts à tirer sur des barricades. Une force de réserve policière de 50.000 hommes composée de réservistes de l'armée et d'anciens soldats était dirigée par le War Office, aux côtés d'une force de police de réserve de 200.000 hommes, soutenant une armée de briseurs de grève préparés longtemps à l'avance.

Pendant les grèves des mineurs qui ont secoué le gouvernement Heath en 1972 et 1974, des sections de l'armée soutenues par la famille royale ont planifié un coup d'État militaire, l'armée étant placée en état d'alerte maximale. En 1977, plus de 10.000 membres du personnel de l'armée, de la marine et de la RAF ont été mobilisés pour briser la grève nationale des pompiers.

Une grève générale et la lutte contre la Confédération syndicale (TUC) et le Parti travailliste

Au cours des grèves de la semaine dernière, la nécessité d'une action unifiée a été soulevée lors des piquets de grève, y compris des appels à une grève générale. Les principaux obstacles auxquels sont confrontés les travailleurs ne sont pas les conservateurs détestés et leur législation anti-grève, mais la TUC et le Parti travailliste. Les dirigeants syndicaux sont assis sur une poudrière. Leurs attaques contre les «employeurs avides» et les menaces de grèves futures visent à apaiser la colère croissante des travailleurs. Mais dans la pratique, ils répriment et retardent l'action, organisant des scrutins de grève à intervalles échelonnés pendant qu'ils cherchent un modus vivendi avec le gouvernement.

A la veille des grèves du rail, la TUC a coordonné une lettre des 14 plus grands syndicats du Royaume-Uni, dont Unite, le GMB, Unison et le CWU, suppliant le gouvernement de «s’assoir autour de la table avec les syndicats et les employeurs». La présidente de la TUC, Frances O'Grady, a insisté lundi sur le fait que Shapps [le secrétaire d'État aux Transports] «doit cesser d'attiser les tensions» et négocier avec les syndicats une «résolution équitable» – une résolution que les conservateurs n'ont pas l'intention de proposer.

Sur fond de ce que la classe dirigeante a qualifié «d’été de mécontentement», aucune grève majeure n'a eu lieu cette semaine. Les grèves du rail ont été suspendues, y compris dans le métro de Londres où des décisions pour faire grève sont ignorées, alors même que le maire travailliste Sadiq Khan poursuit un programme de terre brûlée contre l'ensemble du système de transport en commun.

Les grèves des cheminots ont révélé le caractère de droite malveillant du Parti travailliste, incarné par la menace de son chef, Sir Keir Starmer, selon laquelle tout député travailliste se rendant aux piquets de grève serait sanctionné – un décret que même Tony Blair n'aurait pas osé lancer.

David Lammy, le porte-parole travailliste des Affaires étrangères, a résumé cette attaque sur les grévistes lorsqu'on lui a demandé s'il soutiendrait la grève des travailleurs au sol de l’aéroport d'Heathrow exigeant le rétablissement d'une réduction de salaire de 10 pour cent imposée pendant la pandémie. Lammy a répondu «Non, non, non!» Il s'est opposé aux grèves, «parce que je suis sérieux quant à la gestion des affaires de gouvernement».

Le rôle du RMT

Le large soutien aux cheminots a produit une vague de soutien populaire au RMT, considéré comme un syndicat militant, et au secrétaire général Mick Lynch. Sa remise à leur place de personnalités médiatiques de droite, dont Piers Morgan, Kay Burley et Richard Madeley, et de politiciens conservateurs, a été applaudie.

Le secrétaire général du RMT, Mick Lynch, s'exprimant lors du rassemblement de la grève des rails à Londres devant la gare de King's Cross, le 25 juin 2022 [Photo : WSWS]

Mais l'appel politique de Lynch, comme celui de la TUC, est adressé au gouvernement conservateur et aux employeurs. Leur argument est que les efforts de Johnson pour reproduire l'assaut frontal de Thatcher contre le Syndicat national des mineurs pendant la grève de 1984-85 sont socialement explosifs et inutiles. L'appel de Lynch est que «toute modification des structures, des conditions de travail doit être convenue avec notre syndicat, et non imposée». Comme ses homologues de la TUC, le RMT veut conserver son partenariat pro grand patronat, avec les patrons du rail et du gouvernement.

Le syndicat a donné au gouvernement Johnson plus d'un an pour préparer son offensive contre les cheminots, en participant au groupe de relance de l'industrie ferroviaire initié par Shapps avec les patrons du rail depuis mai 2021. Il a signé son accord-cadre prévoyant des économies massives centrées sur les licenciements et l'éviscération des conditions d'emploi, de la sécurité et des pensions de retraites.

Lors du rassemblement(article en anglais) du RMT samedi, Lynch a déclaré son soutien à Sir Keir Starmer, «C'est ce que nous avons. Il doit gagner. Nous devons le pousser et le persuader de se placer dans une position où il occupera le premier rang avec vous, vous tous.» Il essaie de canaliser le mécontentement social derrière un parti pro-guerre non moins hostile à la classe ouvrière que les conservateurs. Le Times de Rupert Murdoch s'est joint aux éloges de Lynch pour cette raison, attribuant sa popularité à son «choix d’être raisonnable à la place de la révolution».

La classe ouvrière doit intervenir de manière indépendante pour affirmer son contrôle sur le conflit.

Cela signifie former des comités de base dans chaque gare et lieu de travail, s'opposer à toutes les tentatives de restreindre la grève et de l’étendre pour englober tous les travailleurs du rail et des transports en commun et chaque section de la classe ouvrière.

Les conditions sont en train d'émerger pour qu'une grève générale fasse tomber le gouvernement Johnson et mette fin aux réductions de salaire et à l'aggravation des inégalités sociales. Mais cela signifie une lutte politique contre le sabotage de la TUC et du parti travailliste qui sont de fait partenaires des conservateurs.

Une grève générale en Grande-Bretagne gagnera rapidement le soutien actif des travailleurs de toute l'Europe et du monde entier. La réponse de la classe ouvrière à la guerre, aux inégalités sociales et aux attaques croissantes contre les droits démocratiques doit être la lutte pour le socialisme mondial.

(Article paru en anglais le 29 juin 2022)

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