Le Parti de gauche allemand déclare son soutien à la guerre avec la Russie à son congrès d’Erfurt

« L’engouement ‘général’ pour les perspectives de l'impérialisme, défense acharnée de celui-ci, tendance à le farder de toutes les manières – n'est-ce pas un signe des temps », a écrit Lénine dans son ouvrage L’Impérialisme, analysant les forces motrices de la Première Guerre mondiale.

Janine Wissler, candidate du Parti de gauche et présidente du parti

La suprématie du capital financier sur la société et la lutte des grandes puissances pour le partage du monde pendant la Première Guerre mondiale avaient, comme le soulignait le leader de la Révolution d'Octobre, « fait que les classes possédantes passent en bloc dans le camp de l’impérialisme ».

Il serait difficile de caractériser plus justement le congrès du Parti de gauche allemand (Die Linke) à Erfurt le week-end dernier. Au milieu de l'escalade de la guerre par procuration de l'OTAN en Ukraine, qui menace de plus en plus directement d’aboutir à une troisième guerre mondiale, le Parti de gauche a abandonné sa critique rhétorique de l'OTAN et s'est présenté comme parti de la guerre. Le congrès du parti a été dominé par une atmosphère hystérique dans laquelle un orateur après l'autre a exigé, sous les applaudissements des délégués, une ligne plus dure envers la Russie.

En voici seulement quelques exemples :

Gerhard Trabert, candidat du Parti de gauche à l’élection du Président [par le parlement]au début de cette année, a déclaré: « Une chose est importante pour moi. S'il vous plaît, ne condamnez pas ceux qui sont en faveur des livraisons d'armes. J'ai personnellement été médecin dans tant d'opérations de secours où j'ai eu l'expérience que la population civile, en particulier, ne peut être protégée contre l'agressivité d'un despote qu'en étant capable d’y opposer quelque chose sur le plan militaire. »

Le ministre-président du Land de Thuringe, Bodo Ramelow, qui a été célébré en bonne place au congrès du parti en tant que seul ministre-président « de gauche » dans les 16 Länder allemands, a clairement indiqué que le Parti de gauche, en tant que parti de gouvernement, est déjà impliqué dans la fourniture d'armes.

Personne ne devait penser que « nous pouvons décider librement à ce niveau au bout du compte », a-t-il déclaré. « Si la question est de savoir si les armes sont commandées – et les armes viennent de Thuringe – alors la question est de savoir si je peux me permettre de refuser. »

La réponse de Ramelow fut un « Non » catégorique. Poutine et la Russie devaient être stoppés. A la manière d'un militariste de droite anti-russe de l'Otan, il a déclaré : « Je suis favorable à la recherche de solutions aux côtés de l'Ukraine, mais aussi aux côtés de la Moldavie. Pour que la Russie ne prenne pas la Transnistrie, personne ne devrait préconiser que la Crimée, Donetsk et Lougansk deviennent un territoire russe. »

Son discours culmina dans cette déclaration que le monde avait définitivement besoin « d'une puissance allemande qui dirige » s'il voulait à nouveau se référer à l'ex-chancelier social-démocrate Willy Brandt et faire des promesses de « paix », de « désarmement » ou de « pacte de non-agression ».

Cette déclaration pourrait difficilement être plus claire. Sur l'essentiel, le Parti de gauche soutient la politique étrangère du gouvernement allemand, qui utilise l'invasion réactionnaire de l'Ukraine par Poutine, provoquée par une offensive de l'OTAN contre la Russie durant depuis des décennies, pour revenir à une politique guerrière agressive de grande puissance.

Quelques jours seulement avant le congrès du Parti de gauche, le chef du SPD, Lars Klingbeil avait souligné dans un discours de politique étrangère que l'Allemagne devait « avoir l'ambition d'être à nouveau une puissance de premier plan après près de 80 ans de retenue ». Klingbeil a également fait référence à Willy Brandt. Il « savait déjà que les fondements d'une politique de paix puissante sont aussi la force et la capacité militaires ».

Un groupe de jeunes du Parti de gauche, membres de son organisation de Jeunesse, a été particulièrement agressif dans sa propagation de l'hystérie guerrière et des allégations « #MeToo » lors du congrès. Par exemple, Sofia Fellinger, 19 ans, a décrit dans un discours enragé toutes les contributions précédentes ne s'étant pas explicitement prononcées en faveur des livraisons d'armes comme « intolérables ».

Tout le monde parle de « paix », dit-elle. La paix vient, « mais pas si vous laissez les gens mourir. La paix ne vient pas de ce qu’on embrasse les chars. S'adressant à tous ceux « qui sont si éloignés de la réalité », elle leur a conseillé « d'aller à la rencontre de leurs camarades ukrainiens qui se battent et meurent actuellement ».

On ne sait pas si et combien de délégués ont accepté l'invitation de Fellinger, mais la direction du parti n'était que trop disposée à donner une plate-forme à ces « camarades combattants ».

Dans une salutation au congrès, Olena Slobbodian, une représentante du parti de « gauche » ukrainien Sozialny Rukh, s'est vantée ainsi: « Nos camarades défendent maintenant l'Ukraine en faisant partie des forces armées et de la défense territoriale. » En d'autres termes, ils combattent main dans la main avec des milices d'extrême droite comme le bataillon Azov et agissent comme mandataires de l'OTAN contre la Russie.

De manière provocante, Slobbodian a affirmé : « Les femmes ukrainiennes sont très déçues par l'attitude des cercles dirigeants allemands, qui évitent à tous égards un soutien pratique à l'Ukraine. » La « soi-disant aide militaire allemande à l'Ukraine » était « si maigre qu'elle ne peut que provoquer un sourire triste et des blagues sarcastiques en Ukraine », a-t-elle ajouté.

En fait, l'Allemagne est aujourd'hui l'un des plus grands fournisseurs d'armes à Kiev. Il est à noter que les obusiers automoteurs allemands PzH 2000 sont arrivés en Ukraine pendant la semaine où se tenait ce congrès.

Selon le chancelier allemand Olaf Scholz (SPD), la « formation des soldats ukrainiens sur les chars anti-flak Cheetah » et la formation « sur les lance-roquettes multiples promis » sont également en cours. D'autres livraisons, y compris le système de défense aérienne IRIS-T et les échanges de chars avec les États d'Europe de l'Est, étaient préparées « à toute vitesse ».

L'objectif de l'OTAN et du gouvernement allemand, une victoire militaire sur la Russie, est essentiellement partagé par le Parti de gauche. Lors du congrès, l'opposante russe Oxana Timofeeva, professeur à l'Université européenne de Saint-Pétersbourg, a déclaré : « Un cessez-le-feu est impossible, car il entraînerait l'occupation du territoire ukrainien par les troupes russes aux termes de l'agresseur. La seule façon de mettre fin à cette guerre est que l'Ukraine gagne. Pour cela, elle a besoin du soutien constant d'autres pays, du soutien de l'Union européenne. »

Pour ses « paroles claires », Timofeeva a été célébrée sur les réseaux sociaux par les principaux représentants du Parti de gauche, dont l'ancien responsable des affaires du parti et porte-parole de la politique de sécurité, Matthias Höhn.

L'une des principales tâches du Parti de gauche est de supprimer toute critique de l'OTAN et des objectifs impérialistes derrière l'offensive de guerre. Le porte-parole de la politique étrangère et père fondateur du Parti de gauche, Gregor Gysi, a crié aux délégués : « Bien sûr, les États-Unis tentent maintenant de fournir des armes contre la Russie. Bien sûr, ils veulent maintenant affaiblir la Russie. »

La « responsabilité », cependant, incombait « aux dirigeants russes ». Il ne fallait « pas condamner la guerre et dire immédiatement après ‘mais’, et ainsi relativiser la condamnation de la guerre ».

La motion principale de l'exécutif du parti, adoptée au congrès, suit cette ligne. Alors que la Russie est décrite comme un « centre de pouvoir géostratégique dans le capitalisme fossile », qui « utilise une idéologie de grande puissance nationaliste, militariste et autocratique », elle dit de l'OTAN: « Surtout dans les États d'Europe de l'Est, le désir d'adhérer à l'OTAN a grandi en raison de la guerre d'agression russe. » La guerre avait ainsi donné à l'OTAN une nouvelle légitimité.

Le Parti de gauche déclare de manière autocritique que dans le passé, il avait « prêté trop peu d'attention aux guerres impériales au-delà de l'OTAN, comme les interventions militaires de la Russie en Tchétchénie et en Syrie ». La Russie menait depuis des années « une politique visant à maintenir les États post-soviétiques sous [son]influence, en tentant d'établir des régimes vassaux autoritaires ou, si cela ne réussit pas, à déstabiliser les États ».

Il n'y a rien de progressiste dans le régime de Poutine. Il représente les intérêts d'une oligarchie mafieuse qui s'est énormément enrichie depuis la réintroduction du capitalisme par la bureaucratie stalinienne il y a 30 ans. Mais la motion principale du Parti de gauche est l’inverse de la réalité.

Depuis la dissolution de l'Union soviétique, l'OTAN a systématiquement encerclé la Russie. Non seulement elle « déstabilise », mais elle mène des guerres d'agression et des opérations de changement de régime contraires au droit international et qui ont détruit des pays entiers et coûté des millions de vies.

L'invasion de l'Ukraine par Poutine est réactionnaire, mais en Europe de l'Est, les puissances impérialistes sont les agresseurs. Début 2014, Washington et Berlin, soutenus par des forces fascistes comme le parti Svoboda et le secteur droit, ont organisé un coup d'État en Ukraine pour installer un régime anti-russe. Les puissances de l'OTAN ont d'abord provoqué l'invasion de la Russie et maintenant elles continuent d'intensifier la confrontation au quotidien. Elles visent à assujettir et à démembrer militairement ce pays riche en ressources et crucial sur le plan géostratégique afin qu'il puisse être exploité et dominé par les puissances impérialistes.

La direction du parti nouvellement élue – sur laquelle le WSWS écrira séparément – a pour tâche de contrôler l'opposition croissante à cette folie et de répercuter les coûts de la guerre sur la classe ouvrière. Déjà, partout où il gouverne au niveau des Lands avec le SPD et les Verts, pro-guerre et pro- austérité, le Parti de gauche met en œuvre des attaques sociales et poursuit brutalement le réarmement de la police et des services secrets.

Mais ce parti est de plus en plus détesté par les travailleurs et les jeunes. Le spectre de son déclin planait sur tout le congrès. Après des défaites électorales catastrophiques aux niveaux fédéral et des Lands, et des luttes de pouvoir internes, Gysi a averti le Parti de gauche à l'occasion de son «15e anniversaire » qu'il faisait face à une « crise existentielle ». Un aveu qui ne change rien quant au cours politique du parti. Celui-ci articule non pas les intérêts des ouvriers mais ceux de l’État capitaliste et des classes moyennes aisées qui ne craignent rien d'autre que les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière.

Dans son discours, la cheffe du parti, Janine Wissler, réélue avec un peu moins de 58 pour cent des voix, a déclaré qu'elle était fermement en faveur de sanctions plus sévères et de mesures de guerre commerciale contre la Russie. Elle est pleinement consciente que cela aura des conséquences dramatiques pour la population travailleuse, non seulement en Russie, mais aussi dans son pays et dans le monde.

« Nous étions souvent contre les sanctions dans les conflits passés pour de bonnes raisons, car elles touchaient de larges pans de la population », a-t-elle déclaré. Elle a poursuivi : « Nous sommes favorables à des sanctions ciblées contre les oligarques et le complexe militaro-industriel si elles sont appliquées de manière cohérente ».

Un embargo sur le gaz aurait « des conséquences dramatiques pour la population » et « conduirait à des bouleversements sociaux dramatiques », a-t-elle prévenu. Mais il était juste de « réduire la dépendance au gaz et aux combustibles fossiles ».

Afin de dissimuler la politique capitaliste essentiellement de droite de son parti, Wissler a émaillé son discours de quelques phrases sociales et a même affirmé à la fin que le Parti de gauche se tiendrait « dans la tradition du mouvement socialiste, dans la tradition de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ».

Quelle absurdité ! Luxemburg et Liebknecht étaient des marxistes révolutionnaires qui ont payé de leur vie leur lutte inlassable, fondée sur des principes, contre l'impérialisme et la guerre et pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

Par contre, le Parti de gauche a toujours été un parti bourgeois qui a défendu le capitalisme et l'impérialisme allemands et a été récompensé pour cela par des postes ministériels et des subventions gouvernementales à hauteur de millions d’euros. Il a été fondé à l'été 2007 par la fusion de deux appareils bureaucratiques, le Parti du socialisme démocratique (PDS) et le Groupe électoral alternatif du travail et de la justice sociale (WASG), qui avaient tous deux des décennies d'expérience dans la répression de la classe ouvrière.

Le PDS a succédé au parti d'État stalinien de l’Allemagne de l'Est (RDA), qui a coorganisé l'unité allemande sur une base capitaliste en 1990 et a immédiatement assumé des fonctions gouvernementales dans les nouveaux Lands. Le WASG a été lancé par des responsables de longue date du SPD et des syndicats dans le but d'absorber la colère sociale face aux politiques d'austérité de l'Agenda 2010 du chancelier SPD Gerhard Schröder. Aux côtés de Gysi, l'initiative de la fusion est venue d'Oskar Lafontaine, l'un des politiciens bourgeois les plus expérimentés, qui avait auparavant occupé des postes de direction au sein du gouvernement et du SPD pendant 40 ans. Il a depuis quitté le Parti de gauche.

Le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste) a considéré dès le départ le Parti de gauche comme un adversaire du socialisme et de la classe ouvrière, contrairement aux tendances de la pseudo-gauche comme Marx21, dont Wissler est issue. Fait indéniable à présent. Un parti qui soutient aussi agressivement la politique de guerre impérialiste est ce qu’il est : un parti droitier, pro-impérialiste, de la guerre.

Les travailleurs et les jeunes doivent tirer les conclusions politiques nécessaires du congrès du Parti de gauche à Erfurt. La lutte contre le danger d'une troisième guerre mondiale nécessite la construction d'un mouvement anti-guerre international basé sur la classe ouvrière – en Russie, en Ukraine, en Allemagne, dans toute l'Europe, aux États-Unis et dans le monde – qui lutte pour le renversement du capitalisme et la réorganisation socialiste de la société. Le seul parti représentant ce programme est le SGP, la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 30 juin 2022)

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