La proposition du gouvernement indien d’étudier la «pureté raciale» suscite de nombreuses critiques de la part des scientifiques

Le 28 mai, The New Indian Express, un grand quotidien indien, citant des «sources gouvernementales haut placées», a rapporté que le ministère de la Culture du gouvernement du Bharatiya Janata Party (BJP) prévoyait de financer un projet qui vise à «retracer la pureté des races en Inde». C’est l’Anthropological Survey of India qui va se charger de l’étude avec quelques scientifiques du Birbal Sahani Institute of Paleo Sciences (BSIP), basé à Lucknow, et l’éminent archéologue Vasant Shinde.

L’Expresscite le professeur Shinde, actuellement professeur adjoint au National Institute of Advanced Study de Bangalore et directeur du projet de recherche Rakhigarhi, qui a déclaré lors d’un entretien téléphonique: «Nous voulons voir comment la mutation et le mélange des gènes dans la population indienne se sont produits au cours des 10.000 dernières années. La mutation génétique dépend de l’intensité du contact entre les populations et du temps que prend ce processus. Nous aurons alors une idée précise de l’histoire génétique. On peut même dire qu’il s’agira d’un effort pour retracer la pureté des races en Inde». L’article ajoute que le projet a été initialement conçu en 2019.

Il convient de noter que la déclaration du professeur Shinde, qui est archéologue et non généticien ou anthropologue biologique, selon laquelle «la mutation génétique dépend de l’intensité du contact entre les populations» est inexacte. Les mutations se produisent indépendamment, et non à la suite de contacts entre populations. Le contact entraîne un flux génétique, pas la mutation. En outre, il est bien établi que la diversité génétique crée ce que l’on appelle la «vigueur hybride», qui tend à inhiber l’expression des maladies génétiques, améliorant ainsi la santé d’une population. La consanguinité, au contraire, tend à exposer les maladies génétiques, rendant une population moins saine.

En réponse à l’article, le 31 mai, le ministère a déclaré sur Twitter que le rapport était «trompeur, malveillant et contraire aux faits». Il a également déclaré: «La proposition n’est pas liée à l’établissement de l’histoire génétique et [à] la “traçabilité de la pureté des races en Inde”, comme l’article en fait allusion». Il n’a toutefois pas spécifiquement désavoué la déclaration du professeur Shinde. Shinde lui-même s’est plaint par la suite qu’on avait déformé et fabriqué ses déclarations et a critiqué l’utilisation du terme «pureté raciale» dans l’article. Il a en outre déclaré: «C’est un fait connu qu’aucune race sur la terre n’est pure en raison des mouvements et des mélanges de personnes.» Il est notable que dans sa déclaration, Shinde emploie encore le concept de race, ce qui implique que ces groupes avaient une «pureté» à un moment donné dans le passé, qui s’est ensuite diluée.

Pour ajouter à la confusion, l’Anthropological Survey of India (AnSI), l’autorité principale présumée en la matière, aurait refusé de participer à l’étude proposée. Toutefois, le gouvernement a répondu que l’AnSI mènera une étude génétique, mais qu’elle ne visera pas à évaluer la «pureté raciale». Son objectif supposé n’est pas précisé.

Non satisfaits de ces démentis ambigus, plus d’une centaine d’universitaires indiens ont écrit une lettre ouverte au ministère qui critique vivement le projet. On peut y lire: «[L]a notion de tracer la “pureté des races”, que ce soit en Inde ou ailleurs, est extrêmement inquiétante. Un tel projet serait à la fois absurde et dangereux». Le groupe a exhorté le ministère à «désavouer publiquement tout projet actuel ou futur lié à la race, en particulier un projet d’étude de la pureté raciale».

Parmi les autres points soulevés dans la lettre, les signataires rejettent l’idée de pureté raciale, car elle implique que certains groupes sont moins ou plus purs que d’autres. En outre, «les stéréotypes raciaux sur les humains ont été écartés et on ne doit pas tenter de faire revivre ce concept en Inde.»

Les signataires préviennent que «l’un des résultats garantis [d’un tel projet] sera l’exacerbation de la discorde entre Indiens».

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le gouvernement indien n’a pas répondu à la lettre des universitaires.

Modèle d’une molécule d’ADN [Source: Wikimedia Commons] [Photo: Wikimedia Commons]

Les populations humaines se déplacent et se mélangent depuis des temps immémoriaux. Toute configuration génétique d’une population particulière à un moment et un endroit donnés n’est qu’un instantané de cette mosaïque en constante évolution. Les études génétiques, associées aux données archéologiques et linguistiques, peuvent être utilisées pour retracer le flux et le reflux des populations à travers le temps et l’espace. Cependant, aucune configuration génétique particulière d’une population n’a de permanence historique. En outre, les études génétiques ont montré à plusieurs reprises que la diversité génétique au sein des groupes est plus grande que celle entre les groupes, ce qui rend le concept de «pureté raciale» insensé.

Le concept même de «race» est une construction sociale qui n’a aucune validité scientifique. Les tentatives de définition de la pureté raciale renvoient aux concepts de supériorité et d’infériorité raciales promus par les nazis et à la «science» totalement discréditée de l’eugénisme.

Toute tentative de définir des distinctions raciales rigides parmi la population indienne de plus d’un milliard d’habitants ― même si cela était fait honnêtement – irait rapidement à l’encontre de recherches scientifiques bien établies qui ont démontré l’immense diversité des habitants actuels de l’Inde en matière de génétique, de langue et de culture. En réalité, toute tentative de ce type doit être vue avec un extrême scepticisme car elle a probablement pour but de servir des objectifs politiques plutôt que scientifiques.

L’actuel gouvernement hindou-suprémaciste du Bharatiya Janata Party (BJP), dirigé par le premier ministre Narendra Modi et qui est arrivé au pouvoir en Inde en 2014, a démontré à maintes reprises qu’il utilise les distinctions raciales, culturelles et religieuses pour diviser la classe ouvrière afin de défendre le régime capitaliste, surtout maintenant dans les conditions d’une crise mondiale qui s’aggrave rapidement. Cela inclut des efforts continus pour attiser les tensions communautaires ainsi que terroriser et humilier les musulmans et en faire des boucs émissaires, comme lors de la récente violence d’État à l’encontre des musulmans qui protestaient contre les déclarations de deux hauts responsables du parti dénigrant le prophète Mahomet.

Le BJP et ses alliés hindous d’extrême droite dépeignent les musulmans – qui représentent près de 15 pour cent de la population indienne et vivent en Asie du Sud depuis plus de 1.300 ans – comme des «étrangers» et des «envahisseurs» qui doivent reconnaître que l’Inde est une «nation hindoue». À cette fin, ils ont organisé de multiples campagnes pour «purifier» l’Inde de l’influence musulmane. Cela va de la suppression en hindi de mots d’origine persane, au changement de nom de villes comme Allahabad, à la construction d’un temple dédié au dieu hindou mythique «Lord Ram» sur l’ancien site de la Babri Masjid: une mosquée historique rasée par des fanatiques hindous en 1992 à l’instigation de hauts dirigeants du BJP.          

Il convient également de noter qu’une étude du gouvernement BJP sur la «pureté raciale» en Inde serait tout à fait conforme à la longue histoire de la droite hindoue qui a toujours promu l’obscurantisme religieux et le charlatanisme scientifique. Entre autres outrages, le gouvernement Modi a sanctionné l’enseignement de l’astrologie et de la chiromancie dans les universités et les collèges accrédités par le ministère de l’Éducation. En 2015, lors de la 102e conférence annuelle de l’Indian Science Congress, le principal congrès scientifique du pays, le gouvernement Modi a organisé une session sur les réalisations supposées de l’ancienne civilisation indienne, où l’on affirmait, selon de prétendues lectures des Vedas, que l’Inde antique possédait des avions et même des fusées. Des affirmations similaires ont été faites lors des quatre congrès suivants, provoquant un tollé parmi les véritables scientifiques et obligeant finalement les autorités du congrès à imposer des procédures pour mieux contrôler la qualité scientifique des articles proposés.

La science est claire. Le concept de race n’a aucune validité. Dans le contexte historique actuel, l’étude proposée, quelle que soit la manière dont elle est formulée ou minimisée, a les conséquences les plus réactionnaires.

À une époque où l’unité de la classe ouvrière est d’une importance vitale, toutes les actions qui visent à diviser les travailleurs sur la base de distinctions quelconques doivent être fermement rejetées.

(Article paru en anglais le 4 juillet 2022)

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