États-Unis: À la demande des syndicats, Biden annonce la création d’un conseil d’urgence, bloquant la grève nationale des chemins de fer

La Maison-Blanche a annoncé vendredi après-midi un décret qui crée un Conseil présidentiel d’urgence (Presidential Emergency Board – PEB) pour intervenir dans un conflit contractuel national dans l’industrie ferroviaire.

L’annonce de la création du PEB, une forme de médiation fédérale, bloque une grève potentielle de plus de 100.000 cheminots qui aurait pu légalement avoir lieu dès 0h01 le 18 juillet, à l’expiration d’une période de «réflexion» de 30 jours. La semaine dernière, les cheminots de la Fraternité des ingénieurs de locomotives et des agents de train ont voté à 99,5 pour cent pour autoriser la grève.

Les travailleurs sont sans contrat depuis près de trois ans et les conditions dans les chemins de fer sont atroces. Des dizaines de milliers de travailleurs ont démissionné ces dernières années, surtout en raison de l’horaire de travail pénible, dans lequel ce n’est pas rare de travailler plus de 70 heures par semaine. Les travailleurs sont sur appel 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui les empêche de planifier une vie de famille ou même de prendre des rendez-vous médicaux. En outre, les travailleurs n’ont pas eu d’augmentation de salaire depuis l’expiration du dernier contrat, ce qui les laisse à la merci d’une inflation de 9 pour cent. Pendant ce temps, les chemins de fer de classe I ont réalisé des bénéfices records pendant la pandémie.

Un train de marchandises de Norfolk Southern traverse Homestead, en Pennsylvanie, le 27 avril 2022 (AP Photo/Gene J. Puskar, File)

«Nous devrions avoir une augmentation basée sur [l’inflation]», a déclaré un travailleur de CSX de la région de Richmond au World Socialist Web Site. «Ce sont de loin les pires années de ma carrière. Les gens démissionnent de partout, ce qui n’était jamais arrivé auparavant… Il y a même les responsables de la paye qui nous volent de l’argent de façon constante, sans aucune enquête chez eux. Lorsque nous soumettons des réclamations valables, six mois sont nécessaires pour nous rembourser, sans aucune explication. C’est répugnant».

La décision de Biden était largement attendue. Toutefois, il est significatif que les principaux agitateurs de la nomination d’un PEB aient été les syndicats ferroviaires, qui la réclamaient depuis le mois de mai. Cela revenait à demander au gouvernement d’intervenir pour rendre illégale une grève de leurs propres membres. Au même moment, le président du SMART-TD, Jeremy Ferguson, a publié une déclaration dans laquelle il qualifie de mensonges malveillants les affirmations selon lesquelles les syndicats luttaient pour la grève ou des augmentations de salaire qui suivraient le rythme de l’inflation.

La nomination du PEB montre clairement la véritable signification des paroles de Biden quand il se vante d’être le président le plus «pro-syndical de l’histoire américaine». En langage clair, cela signifie que Biden promeut agressivement les syndicats pro-patronaux pour réprimer l’opposition des travailleurs.

Cette décision intervient alors que le Syndicat international des débardeurs et des magasiniers (International Longshore and Warehouse – ILWU) a maintenu les dockers au travail pendant plus de deux semaines après l’expiration de leur contrat le 1er juillet. L’ILWU et les opérateurs portuaires sont quotidiennement en discussions avec le gouvernement Biden. Ils ont publié une déclaration commune le mois dernier, dans laquelle le syndicat a déclaré qu’il n’avait même pas l’intention de préparer une grève.

L’objectif immédiat de ces mesures corporatistes est d’empêcher un mouvement de la classe ouvrière contre l’augmentation du coût de la vie, les niveaux massifs de surcharge de travail et la pandémie en cours. Cependant, un objectif non moins essentiel est de discipliner la classe ouvrière sur le «front intérieur» alors que les États-Unis préparent de nouvelles guerres catastrophiques à l’étranger.

De manière significative, Biden a fait cette annonce alors qu’il se rendait en Arabie saoudite pour rencontrer le boucher de Riyad, le prince héritier Mohammed Ben Salman. Le but de ce voyage était de soutenir les intérêts de l’impérialisme américain au Moyen-Orient, notamment en se préparant à une guerre potentielle avec l’Iran. Biden a supplié les États du Golfe d’augmenter leur production de pétrole pour compenser l’impact de la guerre provoquée par les États-Unis contre la Russie.

Il est également révélateur que le décret du PEB ait été publié trois jours à l’avance et qu’il doive entrer en vigueur à la seconde exacte de l’expiration de la période de «réflexion». C’est une indication de l’inquiétude de la Maison-Blanche qui craint qu’en l’absence d’une intervention immédiate pour bloquer la grève, les travailleurs commenceraient à débrayer d’eux-mêmes, après quoi il serait difficile, voire impossible, de les faire revenir au travail.

Les syndicats encouragent la fiction selon laquelle le gouvernement Biden intervient dans l’affaire en tant qu’arbitre «neutre», même du côté des travailleurs contre la direction. Greg Regan, président du Transportation Trades Department (TTD) de l’AFL-CIO, a déclaré dans un communiqué: «Nous félicitons le président Biden d’avoir annoncé la création d’un conseil d’arbitres neutres chargé d’enquêter et de rendre compte de ses conclusions et recommandations afin d’aider les deux parties à trouver une solution. Après près de trois ans de négociations de mauvaise foi de la part des chemins de fer, c’est triste, mais pas surprenant que nous soyons arrivés à ce point dans le processus de négociation régi par le Railway Labor Act[…] Tout simplement, les faits sont de notre côté et nous attendons avec impatience les recommandations à venir des arbitres nommés par le président».

Mais le gouvernement Biden est tout sauf «neutre». Il ne fait aucun doute que l’intervention conduira à un règlement favorable aux chemins de fer. En effet, le National Carriers Conference Committee (NCCC) a publié sa propre déclaration dans laquelle il se dit «satisfait» de la nomination d’un PEB.

Un cheminot à la retraite a déclaré au WSWS: «Cela fait plus de trois ans qu’ils n’ont pas de contrat. Quels sont les points d’achoppement? Pourquoi ne peuvent-ils pas décider? Pourquoi Biden a-t-il dû s’en mêler? Je ne crois pas qu’un président se soit impliqué depuis des années et des années.»

«Quel est le problème de fond? Les chemins de fer veulent quelque chose, et ils vont l’obtenir», a-t-il conclu. «Le malheur, c’est que les chemins de fer savent exactement ce qu’ils font. Il y a un plan de match ici».

Le cadre juridique du PEB provient de la loi anti-ouvrière Railway Labor Act (RLA) dont l’objectif est d’éliminer les grèves en enfermant les travailleurs dans des cycles pratiquement interminables de négociation, de médiation et d’arbitrage obligatoires. La RLA elle-même, adoptée pour la première fois en 1926, est le résultat d’une série de tentatives législatives d’empêcher les grèves dans l’industrie après la grande grève des chemins de fer de 1877, la première grande lutte industrielle de l’histoire américaine. Cette législation allait de pair avec des voyous armés de la compagnie, des injonctions du tribunal et le déploiement de la milice d’État.

On a adopté la RLA quatre ans seulement après la grande grève des chemins de fer de 1922 au cours de laquelle dix travailleurs et les membres de leur famille ont été tués. Elle a remplacé l’ancienne loi sur les transports de 1920, qui avait créé un Railway Labor Board de 9 membres pour prétendument «arbitrer» les conflits entre les travailleurs et les chemins de fer. Le déclencheur immédiat de la grève de 1922, qui a impliqué 400.000 travailleurs, a été l’approbation par le Conseil des réductions de salaire pour les ouvriers des chemins de fer.

Les travailleurs sont tenus à des normes totalement inégales en vertu de la RLA. Plus tôt cette année, un juge fédéral a émis une injonction antigrève à la BNSF, empêchant les travailleurs de faire grève contre une nouvelle politique de présence «Hi Viz» imposée unilatéralement par la direction. Le juge a justifié sa décision en citant les besoins des chaînes d’approvisionnement américaines et a permis à Hi Viz de rester en vigueur.

Ce sera le 250e PEB convoqué en vertu de la RLA depuis 1937, selon les dossiers du gouvernement. Le dernier PEB convoqué pour le contrat ferroviaire national remonte à la fin de 2011, sous l’administration Obama, où Biden était vice-président. L’ancien candidat de «l’espoir et du changement» a nommé un conseil qui a adopté pratiquement toutes les demandes des entreprises, avec seulement quelques «compromis» bidon, dont l’augmentation des dépenses de santé à un niveau légèrement inférieur à celui exigé par les chemins de fer. Les recommandations prévoyaient une augmentation salariale de 16 pour cent sur cinq ans, soit un gel des salaires.

«Nous sommes heureux que le conseil d’administration ait, dans l’ensemble, convenu que l’accord conclu par les chemins de fer avec le United Transportation Union, le plus grand syndicat du secteur, constituait un modèle approprié pour les accords conclus avec les autres syndicats», a déclaré à l’époque le National Carriers’ Conference Committee (NCCC).

Le gouvernement Obama a distribué des milliers de milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises à la suite de la récession de 2008-2009, poursuivant ainsi les politiques de son prédécesseur républicain George W. Bush. Cette aide massive a finalement dû être payée par une exploitation accrue de la classe ouvrière, et les inégalités ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés sous son gouvernement. L’une des «réalisations» emblématiques d’Obama dans ce domaine c’était la restructuration de l’industrie automobile dans laquelle la Maison-Blanche a négocié la réduction de moitié des salaires des nouveaux employés en échange de l’attribution de milliards de dollars d’actions au syndicat des Travailleurs unis de l’automobile.

Biden tente de s’appuyer sur cet héritage, mais son administration pourrait bien imposer un règlement encore plus draconien, après qu’on a dilapidé des milliers de milliards supplémentaires à Wall Street pendant la pandémie de coronavirus. La priorité nationale de Biden est de limiter l’inflation et la «spirale des salaires», c’est-à-dire une croissance des salaires qui suive le rythme de l’inflation. La Réserve fédérale relève les taux d’intérêt afin de déclencher une récession et d’augmenter le chômage.

Les travailleurs ne peuvent pas se battre avec les deux mains attachées dans le dos. Une lutte doit être organisée contre l’ensemble du cadre corrompu et pro-patronal, allant du PEB lui-même au Railway Labor Act et à la bureaucratie syndicale pro-patronale. Cela nécessite la formation d’un réseau national de comités de la base pour lutter contre le PEB et obtenir le soutien des travailleurs des États-Unis et du monde entier.

(Article paru en anglais le 18 juillet 2022)

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