L’Union européenne a engagé ses États membres à réduire leur consommation de gaz naturel de 15 pour cent entre le mois prochain et mars de l’année prochaine. Les ministres de l’Énergie des 27 pays de l’UE ont adopté mardi une proposition de la Commission européenne.
La mise en œuvre de ces réductions est laissée à l’appréciation de chaque État et les économies visées sont sur une base volontaire. Toutefois, en cas d’urgence aiguë, des objectifs d’économies obligatoires peuvent également être adoptés si au moins 15 États membres, représentant 65 pour cent de la population sont d’accord. À l’origine, la Commission européenne voulait se réserver le droit de déclarer une urgence énergétique, mais elle n’a pas pu imposer cette position.
La décision d’austérité est vendue comme un acte de «solidarité», car tous les pays, quel que soit le degré auquel ils seront impactés par les éventuelles pénuries d’approvisionnement, doivent réaliser les mêmes économies. La réduction de la demande dans l’ensemble de l’UE est une expression du «principe de solidarité inscrit dans le traité de l’UE», indique le texte de la Commission.
En réalité, il s’agit d’une mesure de guerre appliquée par la Commission européenne et le gouvernement allemand avec une force brute. L’objectif est de permettre à l’Europe de poursuivre la guerre par procuration contre la Russie en Ukraine pendant des mois et des années, jusqu’à la défaite militaire de la Russie.
Bruxelles et Berlin craignent que la pénurie d’énergie, l’inflation et les coûts effroyables du réarmement n’entraînent une résistance et que la pression sociale sur les gouvernements ne mette en péril la cohésion de l’UE. Par conséquent, le pouvoir concentré de l’appareil de l’UE est utilisé pour faire passer les mesures d’austérité et mettre au pas tous les membres.
Comme toute guerre, la guerre contre la Russie, menée par les États-Unis et les puissances européennes à coups de milliards de dollars d’armes, exige unité, discipline, sacrifice matériel et suppression de toute opposition interne. La crise énergétique massive fait exploser les prix du gaz et de l’essence. Elle menace d’entraîner une panne d’énergie massive au cours de l’hiver prochain. Cette crise est un résultat direct de la guerre en Ukraine.
Avant même l’attaque réactionnaire de la Russie contre l’Ukraine, la mise en service du gazoduc Nord Stream 2 a été définitivement annulée. Nord Stream, aurait eu une capacité annuelle de 55 milliards de mètres cubes. Il pourrait satisfaire 15 pour cent de la demande européenne totale. D’autres gazoducs, qui approvisionnaient l’UE en gaz russe via l’Ukraine ou le Belarus depuis des décennies, ont cessé de fonctionner en raison de la guerre.
Nord Stream 1 qui a la même capacité que Nord Stream 2, fonctionne actuellement à 40 pour cent de sa capacité et à seulement 20 pour cent depuis jeudi. Moscou a justifié la réduction de l’approvisionnement par la maintenance nécessaire des turbines, dont certaines ont été victimes des sanctions occidentales, et a nié l’intention de vouloir arrêter complètement les opérations.
L’UE a rejeté cette excuse et a accusé la Russie d’essayer délibérément «d’utiliser le gaz comme une arme politique». Le ministre allemand de l’Économie Robert Habeck a accusé le président russe Vladimir Poutine de jouer un «jeu perfide»: il a tenté d’affaiblir le grand soutien à l’Ukraine et d’enfoncer un coin dans la société allemande.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a toujours été un soutien fiable de la propagande occidentale, a également accusé Moscou de «terroriser» l’Occident en freinant Nord Stream 1 et d’inciter à une «guerre ouverte du gaz contre l’Europe unie.»
Ces accusations sont absurdes. Elles rappellent celles du cambrioleur qui crie «Arrêtez le voleur!» pour distraire la police. En réalité, c’est l’UE qui poursuit l’objectif déclaré de conduire la Russie à la ruine par des sanctions économiques. Selon la décision officielle, l’UE ne veut plus importer de combustibles fossiles de Russie au plus tard en 2027. Le ton militariste des accusations confirme que l’UE ne se préoccupe pas de la sécurité énergétique, mais de l’instrumentalisation de la politique énergétique comme arme de guerre.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a usé de toute son autorité pour contraindre tous les membres de l’UE à réduire leur consommation de gaz. La politicienne de l’Union chrétienne-démocrate a déjà joué un rôle de premier plan en tant que ministre allemande de la Défense pour relancer le militarisme allemand. En 2014, le gouvernement dont von der Leyen était membre a soutenu le coup d’État de droite à Kiev, qui a jeté les bases de la guerre d’aujourd’hui.
Le plan d’économies de gaz de von der Leyen est basé sur l’article 122 controversé du traité sur l’Union européenne, qui permet à l’UE d’interférer plus profondément que d’habitude dans la souveraineté nationale des États membres en cas d’urgence.
Déjà pendant la crise de l’euro, lorsque l’UE a aidé les banques à sortir de la crise à coups de milliards et a obligé des pays comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne à procéder à des coupes sociales brutales, elle a invoqué cet article. De la même manière, une fois la pandémie de coronavirus débutée, elle a de nouveau débloqué des centaines de milliards pour un «fond de reconstruction» en faveur des banques et des entreprises.
Cette fois, cependant, von der Leyen a rencontré une résistance considérable. Les pays du sud, qui satisfont désormais leurs besoins en gaz à partir de l’Afrique du Nord, étaient réticents à accepter un programme qui profite essentiellement à l’Allemagne, particulièrement dépendante des approvisionnements en gaz russe.
La ministre espagnole de l’Environnement, Teresa Ribera, a d’abord rejeté catégoriquement le plan. Son pays ne ferait pas de «sacrifices disproportionnés». Aucune famille espagnole n’aurait à craindre des coupures d’approvisionnement en gaz en hiver, a-t-elle déclaré. Elle a expliqué que c’est parce que l’Espagne a fait son devoir et n’a pas vécu au-dessus de ses moyens.
Comme le gouvernement allemand, le gouvernement espagnol soutient pleinement la guerre par procuration contre la Russie. Mais l’arrogance avec laquelle le gouvernement allemand a affronté les pays plus lourdement endettés pendant la crise de l’euro et les a contraints à prendre des mesures d’austérité drastiques n’a pas été oubliée.
Lundi, les diplomates des 27 États membres de l’UE ont négocié jusque tard dans la nuit, pour finalement parvenir à un accord majoritaire grâce à de nombreux arrangements spéciaux. Par exemple, un certain nombre de pays ―Chypre, Malte et l’Irlande ―qui ne sont pas connectés au réseau de gaz des autres États membres, sont exclus des objectifs d’austérité.
Au final, seule la Hongrie a voté contre la décision de réduire la consommation de gaz. Le gouvernement de Viktor Orbán, qui entretient de bonnes relations avec le président russe Poutine, rejette désormais aussi les sanctions économiques contre la Russie.
Mais les tendances centrifuges dans l’UE sont énormes. En Italie, le gouvernement d’«unité nationale» de Mario Draghi a également éclaté sur la question de la guerre. Alors que Draghi a soutenu sans réserve le cours de la guerre de l’OTAN, Forza Italia et Lega, les partis de droite de Silvio Berlusconi, ont refusé de livrer des armes à l’Ukraine. On ne sait pas ce que fera le gouvernement après les élections de fin septembre.
Ce qui soude la classe dirigeante européenne, c’est la crainte d’un soulèvement de la classe ouvrière. La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a récemment déclaré que si la Russie ne fournissait plus de gaz, «alors nous, en tant qu’Allemagne, ne pourrons plus apporter le moindre soutien à l’Ukraine, car nous serons alors occupés par des soulèvements populaires».
Le Premier ministre du Bade-Wurtemberg, Winfried Kretschmann, membre des Verts comme Baerbock, a également mis en garde contre une scission de la société, commentant: «Si nous nous dirigeons vers une urgence gazière, les forces centrifuges seront grandes, plus grandes que dans le cas du coronavirus».
L’escalade de la guerre en Ukraine sert notamment à diriger ces tensions internes vers l’extérieur ―même si elle conduit à une troisième guerre mondiale, nucléaire.
(Article paru d’abord en anglais le 27 juillet 2022)