Les travailleurs au sol paralysent les vols de Lufthansa en Allemagne

Mercredi dernier, les 20 000 employés au sol de Lufthansa ont largement paralysé la plus grande compagnie aérienne d'Europe, en termes de passagers-kilomètres. La compagnie a annulé plus d'un millier de vols, dont 680 à Francfort et 350 à Munich; 134 000 passagers ont été touchés.

Vols annulés à l'aéroport de Francfort [AP Photo/Michael Probst] [AP Photo/Michael Probst] [AP Photo/Michael Probst]

La grève montre l'énorme pouvoir que possèdent les travailleurs lorsqu'ils décident de se battre. Mais le syndicat Verdi, qui a appelé à une ‘grève d'avertissement’ d'un jour, n'a pas l'intention d'utiliser ce pouvoir. La responsable de Verdi, Christine Behle, qui dirige les négociations collectives avec Lufthansa, a assuré au journal télévisé ARD qu'il n'y aurait pas d'autre action avant le prochain cycle de négociations le 3 août: « Je peux exclure cette possibilité. »

Mais les employés de Lufthansa ne peuvent gagner leur combat pour de meilleurs salaires et conditions de travail que s'ils rompent avec Verdi. Ce syndicat n'a pas la moindre intention de faire respecter ses propres revendications salariales et encore moins d'agir contre les conditions de travail intolérables. Il demande officiellement une augmentation de 9,5 pour cent, soit au moins 350 € de salaire supplémentaire par mois pendant une période de 12 mois. Cela compenserait à peu près l'inflation, mais ne compenserait pas la perte massive de revenus des dernières années.

Behle a justifié la demande salariale de Verdi en avançant la situation précaire à laquelle sont confrontés les employés de Lufthansa. Plus d'un tiers des emplois avait été supprimé pendant la crise du coronavirus. Leur travail devait désormais être fait par les employés restants, qui étaient « exposés quotidiennement à la colère des passagers ».

« Les contraintes sont extrêmement élevées et beaucoup envisagent de quitter définitivement l'aviation », s'est plainte Behle. Après « trois ans de sacrifices salariaux pour stabiliser l'entreprise pendant la pandémie », a-t-elle ajouté, les salariés avaient également été particulièrement touchés par l'inflation élevée.

Face à un tel cynisme, on est laissé presque sans voix étant donné que Verdi et Behle elle-même ont fait en sorte que la Lufthansa soit en mesure de licencier des milliers d'employés au sol et de personnels de cabine, et d’imposer le « sacrifice salarial » à ceux qui restaient.

Behle, membre du Parti social-démocrate (SPD), est non seulement vice-présidente du syndicat Verdi, mais aussi vice-présidente du conseil de surveillance de la Lufthansa. Dans cette fonction, qui lui rapporte un salaire annuel de 140 000 €, elle est en contact permanent avec le PDG de Lufthansa Carsten Spohr et les actionnaires.

Alors que la société récupérait 6 milliards d'euros d'aide aux coronavirus octroyés par le gouvernement allemand, Verdi et les syndicats sectoriels UFO et Cockpit ont accepté des dizaines de milliers de licenciements et des sacrifices salariaux à hauteur de milliard d’euros. À l'été 2020, UFO a accepté des économies d'un demi-milliard d'euros aux dépens des 22 000 personnels de cabine et Cockpit des réductions de 850 millions d'euros aux dépens des pilotes.

Verdi a ensuite accepté fin 2020 un contrat de dégroupement pour les salariés au sol. En renonçant avec effet immédiat à leurs primes de vacances et de Noël, en plus d’un gel des salaires et d’un abandon de toutes primes jusqu'à fin 2021, les employés au sol avaient «contribué à réaliser plus de 200 millions d'euros d’économie pour aider à surmonter la crise », annonça Behle. Grâce à l'accord avec le personnel au sol on pouvait économiser jusqu'à 50 pour cent de frais de personnel pour ce groupe d'employés, s’est réjoui le chef du personnel de Lufthansa, Michael Niggemann.

« Les syndicats allemands n'ont jamais accepté une telle réduction – environ 1,2 milliard d'euros – des revenus de leurs membres », commentait(article en anglais) alors le WSWS. « C’est un tournant dans les trahisons syndicales. En faisant la moyenne de l'impact sur 130 000 employés actuels, les accords réduiront le revenu par travailleur de près de 10 000 €. »

Verdi a fait en sorte, et pas seulement chez Lufthansa, que toute résistance à ces coupes massives soit étouffée dans l'œuf. La seule exception furent les travailleurs au sol de l'aéroport de Francfort, qui se sont battus pendant des mois, par une grève de la faim et d'innombrables manifestations, contre leur licenciement par la société de services WISAG,.

Pour mener cette lutte, les travailleurs de WISAG ont dû rompre avec Verdi et former un comité d'action indépendant de la base. Leur lutte a finalement échoué car elle est restée isolée et les syndicats, les partis parlementaires du Land (région) de Hesse et enfin les tribunaux, les ont tous poignardés dans le dos.

Après que le personnel de Lufthansa fut contraint de supporter le coût de la crise des coronavirus par les licenciements collectifs et les réductions de salaire, des bas salaires et un stress professionnel croissant doivent désormais garantir que l'entreprise puisse au plus vite rembourser l'aide d'État ; et se débarrasser des 20 pour cent d'actionnariat du gouvernement, afin que coule de nouveau à flot les copieux bénéfices et que le prix de l'action monte.

Les conditions de travail sont désormais si insupportables et les salaires si bas que Lufthansa ne parvient plus à trouver suffisamment de travailleurs. Comme Verdi l'admet lui-même, des salaires horaires inférieurs à 12 € sont parfois la norme dans ses filiales LTLS et Lufthansa Cargo. C'est moins que le salaire minimum promis par le gouvernement fédéral.

Le syndicat demande désormais que le salaire horaire de ces groupes de salariés soit porté à au moins 13 € ! Personne ne peut en vivre dans des villes chères comme Francfort et Munich, où se trouvent les deux aéroports allemands les plus importants.

La pénurie de personnel dans les compagnies aériennes et les aéroports est désormais si aiguë que Lufthansa a dû annuler 3 100 vols programmés pendant les mois d'été, bien plus que le nombre annulé à cause de la ‘grève d'avertissement’ d'un jour de Verdi.

Environ 2,3 millions d'emplois ont été supprimés dans l'aviation depuis le début de la pandémie dans le monde, dont 600 000 en Europe. Dans les aéroports allemands, environ un cinquième des emplois ne sont pas pourvus, selon l'association aéroportuaire ADV. Une étude de l'Institut de l'économie allemande a calculé qu'il manquait environ 7 200 travailleurs qualifiés pour lesquels aucun remplaçant ne pouvait être trouvé à court terme. Un niveau élevé de congés de maladie dus aux infections à la COVID aggrave encore la situation.

Les conséquences sont non seulement des annulations de vols, des retards et de longues files d'attente pour les voyageurs, mais aussi une pression de travail insensée pour le personnel restant, qui est payé misérablement. La situation rappelle les cliniques et les hôpitaux qui, également sous la direction de Verdi, ont vu leurs ressources coupées jusqu'à l'os durant la pandémie.

Verdi essaie désespérément de garder sous contrôle la colère croissante suscitée par ces conditions. C'est pourquoi le syndicat a appelé à une ‘grève d'avertissement’ chez Lufthansa. Aux yeux de ses fonctionnaires bien payés, cette grève d'un jour n'a d'autre but que de permettre aux travailleurs de se défouler et de renforcer leur propre autorité afin qu'ils puissent sereinement préparer le prochain accord au rabais.

L'ensemble de l'industrie aéronautique internationale est en effervescence. Ces dernières semaines, il y a eu et il y a encore des grèves chez Ryanair, Easyjet, le groupe aérien scandinave SAS et d'autres compagnies aériennes. Les mouvements sociaux dans les aéroports, notamment en France et en Espagne, ont entraîné de nombreuses annulations de vols. Des milliers de vols ont également été annulés aux États-Unis en raison du manque de personnel dans les aéroports. À la Lufthansa, le syndicat Cockpit organise actuellement un scrutin de grève parmi les pilotes. Les pilotes de British Airways se préparent également à une grève.

Pour que ces luttes réussissent, elles doivent se libérer du carcan des syndicats et construire des comités d'action de la base indépendants qui tissent des réseaux à l'échelle internationale. Le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l'égalité socialiste - Allemagne) et ses partis frères internationaux ont lancé à cette fin l'Alliance internationale ouvrière des comités de base. Prenez contact et inscrivez-vous pour constituer des comités d'action !

(Article paru en anglais le 28 juillet 2022)

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