Vote écrasant pour vaincre le projet anti-avortement au Kansas

Une initiative anti-avortement a été massivement rejetée lors d’un référendum organisé mardi dans l’État américain du Kansas. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 534.000 votes contre l’initiative référendaire ont été comptés, contre moins de 375.000 en sa faveur, soit une marge de 59 pour cent contre 41 pour cent.

Le résultat du référendum, qui a connu un taux de participation élevé et inattendu, est une réplique populaire à l’offensive nationale réactionnaire contre le droit à l’avortement. Cela fait suite à la décision de la Cour suprême des États-Unis d’abolir le droit constitutionnel à l’avortement en juin.

Ce vote a été une occasion rare et exceptionnelle pour les électeurs américains d’exprimer directement leur point de vue sur une question politique, sans qu’elle se trouve déformée par le cadre des deux partis contrôlés par les entreprises ou les diverses institutions du gouvernement américain, qui sont tous considérés avec méfiance et une franche hostilité par une grande partie de la population.

Le déferlement de l’opposition populaire à l’attaque menée par les républicains contre le droit à l’avortement dans un État fortement républicain met à nu le caractère antidémocratique de l’ensemble du système politique américain.

Le corps législatif du Kansas, y compris son Sénat et sa Chambre des représentants, compte un total combiné de 115 républicains et 50 démocrates. Si l’Amérique était une démocratie saine, on pourrait s’attendre, sur la base de cette répartition, à ce qu’un référendum républicain soumis à un vote populaire se trouve adopté à une majorité supérieure aux deux tiers. Au lieu de cela, le résultat a été une défaite retentissante pour les républicains.

Le vote est une débâcle pour les dirigeants républicains de l’État, qui ont dépensé des sommes considérables pour faire campagne en faveur du référendum, en espérant qu’il ratifierait la campagne réactionnaire contre le droit à l’avortement. L’establishment médiatique américain a aussi été pris par surprise, alors qu’il consacrait une attention disproportionnée aux campagnes des candidats d’extrême droite dans les primaires républicaines et avait largement prédit un résultat très serré au Kansas.

Les républicains de l’Assemblée législative de l’État ont organisé le référendum en réponse à une décision rendue en 2019 par la Cour suprême du Kansas, selon laquelle la constitution de l’État protège le droit à l’avortement. L’initiative référendaire aurait modifié la constitution de l’État pour dire qu’elle ne protège pas le droit à l’avortement, ouvrant la voie à la législature pour adopter des lois qui interdisent ou limitent l’accès à la procédure médicale.

Sur cette photo du jeudi 14 juillet 2022, un panneau dans une cour à Merriam, au Kansas, exhorte les électeurs à s’opposer à une proposition d’amendement à la Constitution du Kansas qui vise à permettre aux législateurs de restreindre davantage ou d’interdire l’avortement. [AP Photo/John Hanna] [AP Photo/John Hanna]

Présentée comme l’amendement «Valorisez les deux» (Value Them Both) [La mère et l’enfant, NDT.], l’initiative a été soutenue par le diocèse catholique du Kansas, qui a dépensé 5,4 millions de dollars pour sa campagne, ainsi que par de nombreux groupes chrétiens évangéliques.

Le vote de mardi souligne le fait que la population américaine est bien plus à gauche que l’establishment politique. Cela comprend ses deux partis politiques ―même dans une région relativement rurale et conservatrice comme le Kansas, où quelque 850.000 électeurs sont inscrits comme républicains, contre environ 500.000 inscrits comme démocrates.

Comme le New York Timesl’a admis à contrecœur, «le droit à l’avortement a fait mieux que M. Biden, et l’opposition à l’avortement a fait pire que M. Trump».

Le Timesa noté que dans le comté de Wyandot, qui comprend Kansas City, Kansas, la plus petite partie de la ville, Biden a reçu 65 pour cent des voix en 2020, mais 74 pour cent ont voté pour la défense du droit à l’avortement. Dans le comté le plus peuplé de l’État, le comté de Johnson, Biden a obtenu 53 pour cent des voix en 2020, mais 68 pour cent ont voté hier pour le droit à l’avortement.

Le vote d’hier réfute toutes les tentatives de justifier l’échec du parti démocrate à mener une lutte agressive pour défendre les droits démocratiques par l’affirmation que le peuple américain est «conservateur». Au contraire, c’est le parti démocrate qui freine la population. Si le gouvernement Biden et les Démocrates faisaient un véritable effort pour mobiliser le sentiment populaire en faveur de la défense du droit à l’avortement ―ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire ―un tel effort rencontrerait une réponse massivement positive.

Étant donné, cette expression du sentiment populaire au Kansas, où une plus grande proportion de la population vit dans des zones rurales que la moyenne nationale, on peut en déduire qu’un référendum qui défend le droit à l’avortement l’emporterait par une marge encore plus grande dans n’importe laquelle des grandes métropoles urbaines de Californie, du Texas ou de New York.

Au Kansas, les centres urbains ont rejeté l'initiative par des marges énormes. Dans le comté de Douglas, où se trouve le principal campus de l'université du Kansas, l'initiative a été rejetée par une majorité écrasante de 81 pour cent contre 19 pour cent. Dans le comté de Shawnee, qui comprend la ville de Wichita, l'initiative a été rejetée par 66 pour cent contre 34 pour cent.

Wichita a été le théâtre d’une attaque terroriste d’extrême droite le 31 mai 2009, au cours de laquelle le médecin George Tiller a été assassiné par le fanatique antiavortement Scott Roeder. Tiller avait été la cible d’attaques personnelles incessantes et vicieuses de la part des médias de droite, Fox Newscalling l’appelant à faire face au «jugement dernier».

En tant que directeur médical des Women’s Health Services, Tiller avait été contraint de porter un gilet pare-balles en public. Il avait déjà survécu à une tentative d’assassinat par un terroriste antiavortement en 1993.

Il est significatif que la population de Wichita, qui avait désormais la possibilité de s’exprimer directement sur la question de l’avortement, ait voté en faveur du droit à l’avortement à une majorité des deux tiers.

Parmi les comtés qui ont voté contre l’initiative figure le comté de Crawford, dans le sud-est rural du Kansas, qui comprend la petite ville de Girard, où le journal socialiste Appeal to Reason avait autrefois son siège. Publié de 1895 à 1922, l’Appeal to Reason était largement diffusé parmi les mineurs de charbon de la région, en grande partie immigrés. Dans le comté de Crawford, la mesure électorale a été rejetée par 55 pour cent contre 45 pour cent.

Ces faits soulignent que la violence et la virulence des fondamentalistes chrétiens qui cherchent à interdire l'avortement ne sont pas le reflet d'un large soutien populaire. Au contraire, ces forces sont obligées de recourir à la terreur et à la répression de l'État pour imposer leurs vues parce que la majorité de la population s’oppose à elles.

Le vote met également à nu le mensonge selon lequel la Cour suprême, en annulant l’arrêt Roe contre Wade, était motivée par le désir de rendre la décision sur le droit à l’avortement «au peuple», comme le suggère l’opinion majoritaire profondément antidémocratique rédigée par le juge associé Samuel Alito. L’auteur de cette décision a récemment prononcé un discours suffisant et provocateur pour défendre sa décision lors du «Sommet des libertés religieuses» de droite à Rome, en Italie.

Ces fanatiques religieux et ceux qui les soutiennent ont tous reçu un œil au beurre noir bien mérité au Kansas mardi.

Pour sa part, le parti démocrate cherchera à tirer cyniquement parti du soutien massif à la défense du droit à l’avortement dans ses campagnes électorales de mi-mandat. Réagissant mercredi au résultat du référendum au Kansas, Biden a tenté de positionner les démocrates comme les bénéficiaires. «Les électeurs du Kansas ont envoyé un signal puissant que cet automne, le peuple américain votera pour préserver et protéger son droit et refusera qu’il soit arraché par les politiciens», a déclaré Biden.

La défense de ce droit démocratique essentiel ne peut être confiée au parti qui porte une responsabilité non négligeable dans la décision de la Cour suprême en juin. Pendant un demi-siècle après la décision de la Cour suprême dans l’affaire Roe contre Wade, les démocrates ont refusé de codifier le droit à l’avortement dans la loi fédérale, malgré d’innombrables promesses et opportunités de le faire.

Le 9 octobre 2019, par exemple, alors qu'il était un prétendant à l'investiture présidentielle du Parti démocrate, Biden a tweeté : 'Roe v. Wade est la loi du pays, et nous devons combattre toute tentative de l'annuler. En tant que président, je codifierai Roe dans la loi et je veillerai à ce que ce choix reste entre une femme et son médecin.'

Cette promesse électorale, comme les innombrables promesses des candidats démocrates au cours des décennies précédentes, a été oubliée dès que Biden a remporté l’élection, ouvrant la voie à la décision de la Cour suprême en juin de cette année.

Malgré le soutien massif exprimé lors du référendum, le droit à l’avortement reste très vulnérable dans tout le pays et au Kansas même, où il repose sur une décision de la Cour suprême de l’État en 2019 dans une affaire appelée Hodes & Nauser contre Derek Schmidt. Cette décision était fondée sur une interprétation de la disposition générale de la constitution de l’État du Kansas de 1859 qui garantit «des droits naturels égaux et inaliénables, parmi lesquels figurent la vie, la liberté et la poursuite du bonheur». Selon la décision de 2019, cette disposition constitutionnelle de l’État protège le droit à l’avortement, de sorte que même si la Cour suprême fédérale jugeait que ce droit n’est pas protégé par la constitution ou les lois fédérales, les résidents du Kansas seraient tout de même protégés.

Comme le montre la décision rendue en juin par la Cour suprême des États-Unis, une décision reconnaissant un droit démocratique par un groupe de juges peut, d’un trait de plume, être transformée en une décision abolissant ce droit par un autre groupe de juges.

Comme la défense de tous les droits démocratiques, la défense du droit légal à l’avortement ne peut se faire que par la mobilisation indépendante des larges masses de la population active, qui, comme l’indique le référendum au Kansas, soutiennent massivement la défense du droit à l’avortement.

(Article paru d’abord en anglais le 4 août 2022)

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