Royaume-Uni : grèves sauvages dans les raffineries de pétrole et les centrales électriques

Alors que les grèves des travailleurs d’Amazon se poursuivent, une vague de grèves sauvages des travailleurs en sous-traitance a éclaté la semaine dernière dans les raffineries et les centrales électriques du Royaume-Uni. Ils protestent contre la baisse massive des salaires face à la hausse du coût de la vie.

Les sites touchés sont couverts par l’Accord national pour l’industrie de l’ingénierie et de la construction (NAECI), conclu entre les syndicats Unite et GMB et l’Association de l’industrie de l’ingénierie et de la construction (ECIA), en août 2021.

L’accord «Blue Book» a été applaudi par Jock Simpson, le président du Conseil national mixte de l’industrie de l’ingénierie et de la construction. C’était selon lui le «moyen de gérer les relations de travail afin de mener à bien les projets dans le respect des délais et du budget» et «la clé de la stabilité des relations du travail». Son principal objectif était de permettre au secteur britannique de l’ingénierie et de la construction de rester «compétitif au plan mondial», avec une «main-d’œuvre productive et compétitive».

L’accord prévoyait une augmentation de salaire de seulement 2,5 pour cent en janvier 2022 et de 2,5 pour cent supplémentaires en janvier 2023. L’inflation est de près de 12 pour cent et augmente rapidement.

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Un tract distribué par les grévistes disait: «nous méritons une augmentation de salaire décente» et expliquait que l’action était «en réponse au refus de l’ECIA de reconnaître l’impact de la crise du coût de la vie sur ses travailleurs».

Dénonçant une «baisse de salaire réelle d’au moins 10  pour cent», les travailleurs déclaraient qu’on attendait d’eux qu’ils «fassent le travail sans poser de questions».

«Certains d’entre nous ont travaillé tout au long de la pandémie pour faire fonctionner le pays, certains ont été licenciés,» tandis que les autres « ont subi un gel des salaires». Les employeurs ont «refusé catégoriquement» de faire une autre offre, poursuit la déclaration, «Nous ne pouvons permettre que cette attitude cavalière se poursuive».

Le tract conclut ainsi: «Les clients font des profits records. L’inflation n’a jamais été aussi élevée depuis 40  ans. Les personnes avant les profits».

Les grévistes ont l’intention de faire grève un mercredi sur deux jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.

Les dirigeants syndicaux auraient fait part aux employeurs, en mai dernier, de leurs inquiétudes quant au caractère explosif de la situation, mais on leur avait répondu d’attendre jusqu’en 2024. Ils ont docilement obtempéré, comme prévu.

Des mesures ont été prises officieusement.

Dans le Fife, en Écosse, 250  travailleurs de la raffinerie ExxonMobil de Mossmorran ont pris part au mouvement en se rassemblant devant l’usine et bloquant la route. L’un d’eux a déclaré au journal The Courier: «On a considéré les contractuels comme des travailleurs essentiels durant la pandémie et ils ont joué un rôle vital dans le maintien du fonctionnement de l’usine de Mossmorran».

Un autre a critiqué les employeurs pour «savourer» des bénéfices records, ajoutant: «je n’ai jamais manqué une seule équipe pendant le confinement pour garder cette usine ouverte».

Un nombre similaire a débrayé à la raffinerie Valero de Pembroke, au Pays de Galles. Un gréviste a déclaré au Western Telegraph, parlant de la hausse des factures de nourriture et d’énergie: «Aucun travailleur, homme ou femme, ne devrait aller au travail et s’inquiéter de devoir choisir entre manger ou mettre le chauffage».

«La grève est la seule chose que nous puissions faire».

Près de 300  travailleurs – dont des électriciens, des échafaudeurs et des tuyauteurs ont fait grève à la raffinerie Humber, dans le nord-est de l’Angleterre, gérée par Phillips  66. Un travailleur a déclaré à Grimsby Live: «Nous avons travaillé pendant toute la pandémie pour la maintenir en activité et nous n’avons même pas reçu notre salaire complet. Nous avons presque tous attrapé la Covid».

«En gros, nous gagnons moins d’argent qu’il y a trois ans».

Un autre a déclaré à ce journal qu’ils faisaient grève pour une augmentation de 15  pour cent.

Des contractuels de la raffinerie voisine de Lindsey sont venus soutenir la grève de Humber. L’un d’eux a déclaré à Hull Live: «Le coût de la vie est censé augmenter de 11,6  pour cent et nous n’aurons qu’une augmentation de salaire de 2,6  pour cent. Si ça continue comme ça, il y aura des gens qui ne pourront plus vivre. Les gens n’ont déjà pas les moyens de vivre maintenant».

Environ 250  travailleurs, dont le personnel de maintenance et de réparation, ont débrayé mercredi à la raffinerie Petroineos de Grangemouth, en Écosse, bloquant l’une des principales voies d’accès au site. Une autre manifestation a eu lieu à la raffinerie ExxonMobil de Fawley, à Southampton, la plus grande du Royaume-Uni. Des centaines encore ont débrayé devant la centrale électrique de Drax, près de Selby dans le Yorkshire, dont la capacité de production est la plus élevée de tout le Royaume-Uni.

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Il est difficile d’être sûr en raison du black-out médiatique mais on rapporte que plus de 20  sites ont été touchés au total.

Les entreprises qui exploitent ces sites font toutes des bénéfices records. ExxonMobil a récemment annoncé des bénéfices de 17,85  milliards de dollars pour le deuxième trimestre; Valero, 4,7  milliards de dollars; Phillips,  66, 3,2  milliards de dollars; Ineos, 572  millions de dollars. Drax a réalisé plus de 200  millions de livres de bénéfices au cours des six mois précédant le mois de juin.

En plus des grèves sauvages d’Amazon et la grève de Cranswick Continental Foods à Bury, dans le nord-ouest de l’Angleterre au début du mois, les grèves des raffineries témoignent du climat explosif dans la classe ouvrière. Mais les syndicats sabotent toute lutte quelle qu’elle soit.

Les grèves des raffineries ressemblent beaucoup à celles des travailleurs de l’industrie pétrolière offshore, touchant 16  plates-formes en mai dernier, auxquelles s’est ajouté celle des travailleurs de la construction, à la raffinerie de Humber. Ces grèves ont elles aussi été menées par des employés en sous-traitance et indépendamment des syndicats. Ils avaient appelé à une «révolution salariale», citant les énormes bénéfices des compagnies énergétiques, et réclamé une augmentation de 7  livres sterling [8,3 euros] du salaire horaine.

Vue de la raffinerie Humber en regardant vers le sud depuis Nicholson Road près de North Killingholme, North Lincolnshire. [Photo par David Wright/CC BY-SA  4.0] [Photo by David Wright / CC BY-SA 4.0]

Les syndicats Unite, GMB et RMT (Rail, Mer, Transport) avaient réagi en refusant de défier le black-out de la grève par les médias et en permettant à l’entreprise de lancer des menaces brutales contre les grévistes. Ensuite, comme prétexte pour appeler à la reprise du travail conjointement avec l’entreprise, ils avaient invoqué le fait que le sous-traitant Bilfinger UK avait accepté de devenir signataire de l’accord sur les services énergétiques (ESA).

L’ESA est l’équivalent du NAECI et fixe les salaires et conditions de travail de 5.000  travailleurs offshore. Le responsable régional d’Unite, John Boland, avait déclaré: «L’Accord sur les services énergétiques est une nouvelle méthode de travail qui réunit toutes les parties pour résoudre les problèmes auxquels l’industrie et nos membres sont confrontés et qui garantit que, par le biais de leurs syndicats, ils sont traités équitablement et récompensés pour leurs efforts».

Toute cette propagande pro-patronat des syndicats fut démentie par le fait que les travailleurs couverts par l’ESA ont reçu cette année une insultante augmentation de salaire de 2,32  pour cent.

En novembre dernier, Unite avait mis fin à une grève de 400  travailleurs de la raffinerie Essar de Stanlow, près de Liverpool, imposant un accord salarial de 6,2  pour cent pour 2022 alors que l’inflation atteignait alors déjà 7,1  pour cent et augmentait rapidement.

En juin, Unite a stoppé la grève de 100  travailleurs de la raffinerie de Fawley, qui n’ont reçu qu’une augmentation de 9,2  pour cent, bien en deçà d’une inflation à 11,1 pour cent, et sans que soit satisfaite la principale revendication, celle sur les indemnités de maladie professionnelle.

Le potentiel existe pour un mouvement de masse des travailleurs du secteur de l’énergie. Une prise de position en faveur de bons salaires contre les entreprises énergétiques profiteuses obtiendrait un énorme soutien populaire parmi les travailleurs de toute la Grande-Bretagne, confrontés à des factures de carburant catastrophiques. Mais les syndicats refusent d’organiser un tel mouvement. Ils ont fait avancer des conflits limités mais toujours terminés par des capitulations, et permis que la majeure partie du secteur subisse les épouvantables tarifs qu’ils ont négociés.

Lors du conflit de Fawley, Unite a réagi avec horreur lorsqu’une grève unifiée a été menée dans seulement deux entreprises de sous-traitance. Après qu’un de ses délégués syndicaux ait été suspendu par les employeurs pour avoir permis à 50 de ses collègues d’une entreprise non impliquée dans le conflit de se joindre aux grévistes, Unite a suspendu la grève, puis l’a stoppée peu après.

Il ne faut plus que les travailleurs soient captifs cette camisole de force. Ils sont confrontés à un gouvernement conservateur et une «opposition» travailliste qui leurs sont farouchement hostiles et qu’ils ne peuvent vaincre qu’en mobilisant toutes leurs forces.

Les conservateurs au pouvoir ont déjà adopté une loi permettant des opérations massives pour briser les grèves. Le successeur de Johnson mettra en œuvre une nouvelle série de lois anti-grèves.

Il faut comprendre que la planification du gouvernement pour le chaos d’un Brexit sans accord avec l’UE en grande partie en train de se produire, dont le nom de code est Opération Yellowhammer, se concentrait fortement sur le secteur britannique des hydrocarbures. Le seul paragraphe expurgé des prévisions gouvernementales traitait de la menace de grèves dans les raffineries.

Tous ces documents ont été discutés dans le contexte du déploiement prévu de dizaines de milliers de soldats et de policiers pour faire face à des «troubles civils» et de l’utilisation de la Loi sur les contingences civiles qui confère au gouvernement des pouvoirs autoritaires étendus.

Pour surmonter cette féroce offensive de la classe dirigeante, il faut adopter une nouvelle perspective politique et construire de nouvelles organisations de lutte, indépendantes des syndicats. Il faut créer des comités de la base sur chaque lieu de travail, qui incluent tous les travailleurs, qu’ils aient un emploi ou non. Il faut nouer des liens dans toute l’industrie de l’énergie au plan national et international, établir une liste de revendications et organiser une grève coordonnée et totale pour les obtenir.

(Article paru d’abord en anglais le 13 août 2022)

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