Perspectives

Décision du Conseil présidentiel d’urgence sur les chemins de fer: le gouvernement Biden déclare la guerre à la classe ouvrière

La décision prise mardi par le Conseil présidentiel d’urgence (Presidential Emergency Board – PEB) contre les travailleurs des chemins de fer est une déclaration de guerre du gouvernement Biden contre la classe ouvrière.

Les travailleurs du rail sont sans contrat depuis près de trois ans. Le conseil nommé par la Maison-Blanche a recommandé un nouvel accord qui maintiendrait les salaires en-dessous de l’inflation, supprimerait le plafond des contributions individuelles aux soins de santé et maintiendrait le contrôle unilatéral de la direction sur la politique de présence au travail.

Les cheminots, poussés à bout par des horaires de travail brutaux et la stagnation de leurs salaires, ont réagi avec fureur à cette décision. Les conditions de travail insupportables ont poussé environ 20  pour cent de la main-d’œuvre à quitter les chemins de fer de Classe I depuis 2019. Cela a réduit les dépenses et augmenté les marges bénéficiaires des chemins de fer, déjà le secteur le plus rentable du pays.

À la déclaration provocatrice faite par la direction des chemins de fer au PEB, que les travailleurs ne devraient avoir «aucune prétention à une part des [bénéfices]», parce que les bénéfices records ne provenaient pas de la main-d’œuvre, les travailleurs ont répondu de façon appropriée. La direction ne pouvait par conséquent pas avoir d’objection à ce qu’ils fassent grève pour défendre leurs intérêts, puisque les profits des entreprises, selon leur théorie ridicule, continueraient sans entrave.

Cette décision est une leçon de choses sur le caractère de classe de l’État, du Parti démocrate et des syndicats pro-patronat qui les appuient.

Les syndicats des chemins de fer avaient fait campagne pendant des mois pour la nomination d’un PEB. Ils ont affirmé aux travailleurs que Biden interviendrait en tant qu’arbitre neutre pour résoudre le conflit, et que des «intérêts nationaux» pourraient même le contraindre à statuer en faveur des travailleurs. Au lieu de cela, le PEB de Biden s’est rangé du côté des entreprises sur pratiquement tous les points.

Deux jours durant, les syndicats ont gardé un silence coupable sur la décision. Jeudi après-midi, SMART-TD a finalement publié une déclaration malhonnête disant sa «déception» vis-à-vis du PEB et qu’il «partageait» la «frustration» des travailleurs. C’est absurde. Quelles que soient leurs mensonges aux travailleurs, les dirigeants syndicaux ne peuvent être surpris du résultat, car ce PEB là n’a pas agi autrement que dans le passé. En effet, celui qui l’a présidé est le même que celui qui est intervenu dans le contrat ferroviaire de 2011, où les syndicats avaient également feint la «déception».

En même temps, la déclaration de SMART-TD répète les points de discussion mensongers des directions qui prétendent que l’augmentation salariale de 22  pour cent sur cinq ans, environ la moitié du taux d’inflation actuel, est la plus importante depuis des décennies. Le but d’une telle déclaration est de dégager les dirigeants syndicaux de toute responsabilité pendant qu’ils s’efforcent d’imposer une capitulation selon les vœux du PEB.

Il y a près de deux siècles, Karl Marx et Friedrich Engels définissaient, dans le Manifeste communiste, l’État non comme un organe neutre se tenant au-dessus de la société, mais comme un instrument politique de la domination de classe, «un comité chargé de gérer les affaires communes de toute la bourgeoisie». La décision de mardi est une nouvelle preuve de ce que peu de «comités chargés de gérer» dans le monde sont aussi impitoyables dans la poursuite des intérêts de l’oligarchie patronale que celui de Washington.

Le pouvoir du président de nommer un PEB est prévu par le Railway Labor Act (RLA)la loi sur le travail dans les chemins de fer. Celle-ci y interdit effectivement les grèves en asphyxiant les travailleurs par des injonctions sans fin, une médiation obligatoire et des «périodes de décrispation». Dix-sept gouvernements successifs, tant démocrates que républicains, ont depuis 96  ans laissé intacte cette loi adoptée en 1926 et l’ont régulièrement utilisée contre les cheminots.

Cette loi était une réaction directe aux puissantes grèves des chemins de fer qui avaient eu lieu dans le demi-siècle précédant son adoption. Le Congrès était non seulement soucieux de contenir l’immense pouvoir économique des cheminots mais aussi de supprimer, dans la décennie qui a suivi la Révolution russe, un centre du radicalisme ouvrier aux États-Unis.

Bon nombre des premières grèves, dont la grande grève des chemins de fer de 1877 et la grève Pullman de 1894, ont été menées par des socialistes. Eugene Debs, cheminot et leader de la grève Pullman, a découvert les écrits de Marx en prison après la répression de la grève par le gouvernement. Il est ensuite devenu l’orateur socialiste et le leader politique le plus populaire de son époque.

La décision du PEB est intimement liée aux provocations militaires irresponsables lancées par l’impérialisme américain contre la Russie et la Chine. Dans la semaine où fut rendue publique la décision du PEB, des explosions massives ont secoué le territoire de la Crimée revendiqué par la Russie, le produit d’opérations ukrainiennes ayant sans aucun doute bénéficié d’une forte assistance technique américaine.

Le lendemain de la décision, Washington a annoncé l’ouverture de négociations commerciales avec Taïwan. La Chine considère celle-ci comme une province rebelle et a déclaré être prête à entrer en guerre pour empêcher une indépendance formelle. Dans une tentative désespérée de consolider son hégémonie mondiale contre ses rivaux, la classe dirigeante américaine se lance de façon irresponsable vers une troisième guerre mondiale.

Aucune puissance impérialiste ne peut faire la guerre à l'étranger sans faire également la guerre à la classe ouvrière chez elle. Dans la préparation de chaque guerre majeure de l'histoire moderne, la première priorité des planificateurs a toujours été de sécuriser le 'front intérieur', en bloquant les grèves et en imposant la discipline du travail.

L’appareil syndical, basé sur le compromis et la collaboration de classe, s’aligne alors sur «sa» propre classe dirigeante au nom de «l’unité nationale». Comme l’a observé Léon Trotsky, «En temps de guerre ou de révolution, lorsque la bourgeoisie est plongée dans des difficultés exceptionnelles, les dirigeants syndicaux deviennent généralement des ministres bourgeois».

Avant même son élection, Biden s’était engagé à être le «président le plus pro-syndical de l’histoire américaine». Il s’adressait toujours à deux publics. D’une part, il voulait faire croire aux travailleurs que son gouvernement serait favorable à leurs intérêts. Cela reposait sur la fausse prémisse que l’appareil syndical, contrôlé par des bureaucraties bien nanties, assises sur des dizaines de milliards de dollars d’actifs et fonctionnant une comme police du travail, représentaient ne serait-ce que d’une façon limitée les intérêts des travailleurs. Mais pour la bureaucratie syndicale, c’était le signal que Biden voulait resserrer les rangs avec eux pour réprimer ce qui était devenu, suite à deux ans de crise pandémique et à présent d’inflation due à la guerre en Ukraine et à ses conséquences politiques, une montée explosive de l’opposition sociale.

Biden suit délibérément une politique de corporatisme, c’est-à-dire d’intégration de l’appareil syndical aux directions d’entreprises et à l’État. Dans un secteur crucial après l’autre, depuis les docks de la côte ouest jusqu’à l’industrie du raffinage, en passant par les chemins de fer, Biden œuvre avec la bureaucratie syndicale pour bloquer les grèves, forcer les travailleurs à travailler sans contrat ou imposer de nouveaux contrats bien en dessous de l’inflation. Dans le même temps, Biden autorise les profits sans limites, qui alimentent des hausses de prix effrénées. Cela sans parler d’une gestion de la pandémie de coronavirus par laquelle on a permis que plus d’un million d’Américains meurent, pour le « bien » de l’«économie».

Plus la classe dirigeante se précipite dans la guerre pour défendre ses intérêts, plus elle est obligée de pousser la classe ouvrière américaine à bout et vice versa. Les travailleurs américains doivent se «sacrifier» pour des conflits avec lesquels ils n’ont rien à voir, qu’ils ne comprennent pas et qu’ils ne soutiendraient pas s’ils les comprenaient. Pendant ce temps, la colère sociale accumulée doit être redirigée vers des adversaires étrangers officiellement désignés, ce qui accélère la marche à la guerre.

Une épreuve de force colossale se prépare, non seulement dans l’industrie ferroviaire, mais encore dans tout le pays. Le soutien à la grève, indépendamment de ce que dit la loi RLA ou la Maison-Blanche, est écrasant. Les travailleurs ont le sentiment qu’ils n’ont plus d’autre choix.

Si, comme cela semble probable à ce stade, les travailleurs rejettent le contrat proposé par le PEB, seul le Congrès contrôlé pour l’instant par les démocrates peut intervenir pour empêcher une grève d’avoir lieu. Cela se produirait juste avant les élections de mi-mandat et ouvrirait la voie à une escalade de la crise politique où la lutte des classes passerait violemment au premier plan.

Un tel mouvement est en train d’émerger comme une force mondiale, même dans sa phase initiale. Il y a des luttes massives, dans le monde entier, des travailleurs des infrastructures vitales de fret. Il y a notamment les grèves nationales des cheminots britanniques et celles imminentes des docks britanniques ; les grèves des dockers qui ont déjà eu lieu en Allemagne et en Grèce; celles des travailleurs de la compagnie aérienne Ryanair; les grèves des camionneurs en Corée du Sud; et les manifestations massives sur le coût de la vie au Sri Lanka, qui ont forcé le président à quitter le pays.

Cette énorme puissance potentielle doit trouver un débouché indépendant. Les travailleurs doivent trouver les moyens de se libérer de la camisole de force du Parti démocrate, des lois anti-ouvrières comme la RLA et de la bureaucratie syndicale. En premier lieu, cela signifie la formation de nouvelles organisations, de comités de la base qui mobilisent les travailleurs de manière indépendante.

Un élément central est ici la campagne de Will Lehman pour la présidence de l’UAW sur une plate-forme pour abolir la bureaucratie corrompue et établir le pouvoir des travailleurs. Dans une déclaration publiée mercredi, Lehman a appelé les travailleurs à l’UAW, aux États-Unis et dans le monde, à soutenir la lutte des travailleurs du rail. Il a appelé ceux-ci à créer leurs propres organisations comme partie de l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base.

Mais les travailleurs doivent par-dessus tout reconnaître qu’ils sont engagés dans une lutte politique de vie et de mort. La question va bien au-delà de l’obtention par les travailleurs de leur «juste part». Qui prend ces décisions? Qui dirige la société? Le profit capitaliste est non seulement incompatible avec les besoins d’une société moderne mais aussi avec le maintien de la vie et de la dignité humaines. Les travailleurs eux, doivent lutter pour le socialisme, pour l’organisation démocratique de la société par la classe ouvrière même, dans l’intérêt des besoins humains et non du gain privé.

(Article paru d’abord en anglais le 19 août 2022)

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