Plus de 45.000 cheminots ont entamé jeudi la première de deux journées supplémentaires de grève nationale contre l’entreprise d’infrastructure Network Rail et 14 sociétés d’exploitation ferroviaire. En raison de cette grève, seul un service ferroviaire sur cinq a pu fonctionner dans tout le pays.
De nombreux autres services seront touchés vendredi en raison des effets d’entraînement, la deuxième grève de 24 heures ayant lieu samedi.
Les membres des syndicats «Rail, Maritime et Transport» (RMT), «Unite» et l’«Association du personnel salarié des transports» (Transport Salaried Staffs’ Association – TSSA) sont en grève. Ils luttent contre des salaires bas et des attaques contre les conditions de travail. Mais aussi, ils veulent défendre les avantages acquis par les travailleurs au cours de générations de lutte. Le gouvernement conservateur cherche à imposer ses coupes et ses augmentations de productivité dans le cadre de son plan de reprivatisation qui s’appelle «Great British Railways».
À la veille de la grève, le ministre conservateur des Transports, Grant Shapps, s’est exprimé dans les pages du Daily Mailpour exposer ce que le journal a appelé le «plan en 16 points du ministre pour écraser les grévistes du rail». Shapps a titré son propre article d’opinion: «Nous allons nous attaquer à ces luddites… tout comme Thatcher».
En fait, le plan exposé par Shapps va bien au-delà de toute loi antisyndicale imposée par Thatcher dans les années 1980. Il propose des lois nécessaires à l’instauration d’un État policier, conférant au gouvernement des pouvoirs dictatoriaux pour arrêter toute grève. Le point 10 propose de mettre fin à l’interdiction, prévue par la loi draconienne sur les contingences civiles, d’utiliser les règlements pour mettre fin aux grèves qui, selon le gouvernement, créeraient une «urgence nationale».
Shapps se vante d’avoir«déjà mis deux des 16 mesures en œuvre – l’augmentation des dommages et intérêts pour action illégale, et l’autorisation pour les travailleurs intérimaires de remplacer temporairement les grévistes».
Les autres sont: l’augmentation du seuil de vote pour les grèves; le doublement de la période de préavis pour les grèves pour la porter à quatre semaines; l’autorisation d’une seule grève par mandat; l’imposition de limites absolues sur le nombre de piquets de grève; des restrictions sur les piquets de grève près des infrastructures critiques; la mise en œuvre d’un prétexte de «langage incendiaire» pour poursuivre les piquets. Il y a également un prétexte d’«intimidation en ligne» pour la censure; une autorisation accordée aux employeurs de court-circuiter les syndicats dans les accords avec les travailleurs, l’ingérence du gouvernement dans les scrutins syndicaux; l’instauration d’une limite au temps disponible pour les fonctions syndicales; la mise en œuvre des niveaux de service minimum; l’arrêt de la déduction automatique des cotisations syndicales des salaires et l’imposition d’un impôt sur la paye de grève.
Shapps a laissé entendre que les attaques contre les grévistes du rail sont au cœur d’une offensive contre l’ensemble de la classe ouvrière. Il a écrit que son plan «Great British Railways» était «plus grand qu’une seule industrie. La Grande-Bretagne, comme tout le monde le sait, a un problème de croissance et de productivité… L’un des moyens les plus rapides de stimuler la croissance est de réformer les pratiques de travail dépassées, inefficaces et coûteuses».
Le gouvernement est soutenu par le parti travailliste, dont le leader Sir Keir Starmer a une nouvelle fois demandé à ses députés en vue de se tenir à l’écart des piquets de grève cette semaine, sous peine de perdre leurs postes de représentants de l’opposition. Il n’a pas de désaccord fondamental avec la série de lois adoptées pour bâillonner la classe ouvrière.
Le secrétaire général du RMT, Mick Lynch, a répondu à Shapps en déclarant à Sky News que ce dernier était «de plus en plus hystérique».
«Ce que je pense, c’est qu’il s’agit d’un homme qui s’inquiète pour son avenir. Il doit essayer de montrer ses muscles de droite devant deux personnes vraiment de droite [les candidats à la direction du Parti conservateur, Liz Truss et Rishi Sunak] qui vont devenir son patron».
«Je ne sais donc pas ce que Grant Shapps prépare. Je ne pense pas que les employeurs savent vraiment ce qu’il prépare. Et je ne pense pas que les fonctionnaires du ministère des Transports savent ce qu’il prépare».
C’est une minimisation criminelle de la menace qui pèse sur la classe ouvrière. Si Shapps cherche à se faire une place dans le prochain cabinet conservateur en proposant ces mesures, qu’est-ce que cela dit sur le cabinet et son programme!
Le Parti de l’égalité socialiste a lancé cet avertissement dans sa première déclaration sur les grèves ferroviaires: «La classe dirigeante veut finir le travail que Thatcher a commencé en 1984, lorsqu’elle avait entrepris de casser les reins des mineurs pour mettre fin à toute opposition à sa contre-révolution sociale».
Dans sa déclaration suivante, le PES a précisé: «Il ne s’agit pas d’un conflit industriel ordinaire. Le premier ministre, Boris Johnson, et son gouvernement de gangsters politiques veulent imiter le ciblage des mineurs par Margaret Thatcher en 1984-85, qui s’est soldé par une défaite qui a transformé le Royaume-Uni en un terrain fertile pour les super-riches et a commencé un cauchemar social pour des millions de travailleurs».
Faisant référence aux articles dans les médias de droite qui qualifient les grévistes de «laquais de Poutine», le PES a expliqué: «Tout comme la désignation des mineurs comme “l’ennemi intérieur” par Thatcher a annoncé une offensive massive de l’État se traduisant en 13.000 arrestations, 200 emprisonnements, près de 1.000 licenciements, deux décès sur les piquets de grève et trois dans les mines de charbon, la description des cheminots comme “amis de Poutine” prépare la voie à une mobilisation totale de l’État, cette fois contre l’ensemble de la classe ouvrière».
Shapps a totalement confirmé cet avertissement. Il n’est pas un électron libre «hystérique». Il est actuellement le principal représentant du gouvernement dans un assaut historique contre la classe ouvrière, qui est mené de concert avec les grandes entreprises.
S’exprimant avant la grève lors d’une réunion d’information des membres du RMT, Lynch a fait référence aux «demandes que les sociétés [d’exploitation ferroviaire] présentent sous l’ordredirect du gouvernement». Elles comprennent «des changements radicaux dans les pratiques, les termes et les conditions de travail», «la suppression de dizaines de milliers d’emplois», «l’exploitation des trains par les seuls conducteurs ou par les conducteurs eux-mêmes», «l’introduction de nouveaux contrats de travail pour tout le monde sans exception», «l’obligation de travailler le dimanche pour tout le personnel», et ce, sans «garantie d’absence de licenciements obligatoires» et sans «nouvelle offre salariale au-delà de… 2 pour cent et 1 pour cent pour toute la productivité».
Mais Lynch a lancé un nouvel appel à ces mêmes employeurs le jour de la grève: «Si nous pouvons amener les entreprises à négocier librement, sans être enchaînées par le gouvernement, nous pourrons négocier un règlement de ce conflit et remettre les trains sur la route».
Andrew Haines, le directeur général de Network Rail, l’a carrément rabroué sur ITV, affirmant que «le facteur commun ici est le RMT; ce n’est pas le gouvernement».
Le RMT tente de dépeindre Shapps comme un élément étranger, qui interrompt ce qui devrait être une progression en douceur vers un accord. Son but est d’essayer de perpétuer le mythe selon lequel un accord négocié dans l’intérêt des travailleurs est possible, permettant ainsi au syndicat de poursuivre sa stratégie habituelle qui consiste à convenir avec les employeurs d’une capitulation acceptable. Il craint qu’un conflit ouvert entre les travailleurs du rail et le gouvernement ne vienne alimenter un sentiment croissant de lutte parmi des millions de travailleurs.
Lors de la réunion d’information des membres, Lynch a plaidé pour qu’au moins quelques entreprises ferroviaires proposent des accords que la bureaucratie syndicale pourrait vendre à ses membres comme base pour mettre fin aux grèves. Lynch a déclaré: «Nous devons obtenir un accord par le biais de négociations dans les trois sections». Cela «signifie des référendums pour les membres concernés au fur et à mesure que les offres arrivent. Donc, s’il y a une offre sur le métro de Londres, nous devrons peut-être organiser un référendum là-bas. S’il y a des offres dans les autres compagnies… nous irons là».
Le RMT a déjà conclu un accord séparé à Merseyrail, avec la TSSA, pour 7,1 pour cent. S’adressant à la radio BBC jeudi, Luke Chester, directeur de l’organisation de la TSSA à Londres, a cité l’accord pour souligner que le syndicat serait disposé à «100 pour cent» à négocier sur les conditions et les pratiques de travail.
La semaine dernière, une source du syndicat des chefs de train, ASLEF, a déclaré au site d’informations iqu’il avait conclu un accord «de principe pour une augmentation de salaire de 6,6 pour cent pour les conducteurs» avec le gouvernement du Pays de Galles dirigé par le Parti travailliste. La source a ajouté: «Des accords ont été conclus avec Eurostar à 8,2 pour cent et Scotrail à 5,1 pour cent. En fait, nous ne demandons pas 9, 10 ou 11 pour cent, nous avons accepté un juste milieu».
Mais le gouvernement est déterminé à imposer une défaite encore plus cuisante. Avant les grèves de cette semaine, le World Socialist Web Sitea écrit que «seule une offensive industrielle et politique combinée de la classe ouvrière peut vaincre les efforts des syndicats pour supprimer le mouvement de grève croissant et empêcher tout défi politique au gouvernement conservateur et aux politiques de droite du parti travailliste». Les cheminots doivent faire le point sur les événements et se tourner vers la construction de comités de base, fonctionnant indépendamment des syndicats, pour mener cette lutte.
(Article paru d’abord en anglais le 19 août 2022)
