Le congrès triennal d’Unifor se conclut péniblement, alors que la base s’indigne de la corruption syndicale et des concessions

L’odeur de la corruption a envahi le congrès triennal d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, qui s’est tenu à Toronto la semaine dernière.

Le président de longue date du syndicat, Jerry Dias, ayant été contraint de démissionner dans la honte en mars dernier après avoir été démasqué comme profiteur de la COVID, les dirigeants du syndicat voulaient absolument prendre leurs distances par rapport à ses méfaits. Mais ils ont clairement indiqué qu’ils avaient la ferme intention de maintenir l’héritage corporatiste corrompu de Dias en assurant la «compétitivité» mondiale, c’est-à-dire la rentabilité, des grandes entreprises canadiennes par le biais de concessions dans les conventions collectives et en soutenant fermement le gouvernement pro-guerre et pro-austérité de Trudeau, ainsi que l’alliance parlementaire entre les libéraux et le Nouveau Parti démocratique qui le maintient au pouvoir.

Lana Payne a battu le successeur trié sur le volet de Dias, Scott Doherty, et le président de la section 444 d’Unifor, Dave Cassidy, dans la course à la présidence d’Unifor. Payne, qui a été célébrée par les médias bourgeois comme la «première femme présidente» d’Unifor, s’est présentée comme une «outsider» aux mains propres. En réalité, Payne fait partie de la même bureaucratie que Dias. Elle a été secrétaire-trésorière nationale sous la direction de ce dernier et présidente par intérim d’Unifor, après qu’il ait été évincé par un scandale qu’elle a vainement tenté d’étouffer.

Il n’y avait pas de différences politiques ou programmatiques significatives entre les trois candidats. Dans les semaines qui ont précédé le congrès, ils se sont livrés à une querelle factionnelle inconvenante pour savoir qui contrôlerait les ressources considérables d’Unifor. Cela comprenait la fuite d’informations – que tous les membres d’Unifor devraient normalement connaître – documentant les énormes demandes de remboursement de dépenses des hauts responsables du syndicat.

Les dirigeants d’Unifor font preuve d’unité après l’élection de Lana Payne pour succéder à Jerry Dias, disgracié, à la présidence du syndicat de 315.000 membres. Lana Payne est la deuxième à partir de la droite. (Unifor)

Dans son discours de clôture du congrès, Payne a déclaré: «Nous nous sommes vraiment réunis cette semaine pour faire avancer notre syndicat. Vous avez montré que c’est le syndicat – nous tous ensemble – qui peut relever les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que travailleurs».

Il s’agit d’une fanfaronnade malhonnête. La référence oblique à l’expression «faire avancer» vise à donner l’impression que, maintenant que «la pomme pourrie» Dias a été éliminée pour avoir accepté un pot-de-vin de 50.000 dollars d’un vendeur de tests COVID-19, le syndicat peut mettre fin au scandale de corruption et poursuivre ses activités «normalement». En fait, ce que montrent les millions dépensés chaque année sur les notes de frais des hauts responsables d’Unifor, y compris pour des voyages en première classe et des séjours dans des hôtels cinq étoiles, c’est que c’est une pratique courante pour les bureaucrates d’Unifor de se faire graisser la patte aux frais des travailleurs.

Cette corruption découle organiquement du partenariat corporatiste qu’Unifor et son prédécesseur, les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), ont forgé avec les patrons des Trois constructeurs de Detroit, les entreprises canadiennes et l’État au cours des quatre dernières décennies. Aux États-Unis, une douzaine de hauts dirigeants du syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (TUA), dont deux anciens présidents, ont été condamnés à des peines de prison pour avoir accepté des pots-de-vin, gonflé des comptes de dépenses et volé de quelque façon que ce soit les travailleurs qu’ils prétendent représenter.

La tentative de Payne de se faire passer pour une simple travailleuse de la base est une insulte éhontée aux centaines de milliers de membres d’Unifor dans les secteurs de l’automobile, des pièces, de l’aviation et d’autres industries qui ont été forcés de travailler dans des conditions mortelles pendant la pandémie de COVID-19. Le congrès ne visait pas à relever «les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que travailleurs», mais plutôt les «défis» auxquels Payne et la bureaucratie d’Unifor qu’elle dirige maintenant sont confrontés tandis qu’ils cherchent à contenir et à faire dérailler les demandes croissantes des travailleurs en faveur d’une action militante pour contrer la flambée des prix, les demandes patronales d’accélération et des décennies de concessions contractuelles.

Le programme de négociation collective «Build Back Better» d’Unifor, qui fait délibérément écho à un slogan employé par le gouvernement Trudeau et par l’administration Biden aux États-Unis, indique clairement que l’une des principales tâches du syndicat au cours de la période à venir sera d’étouffer les revendications salariales des travailleurs. Unifor, déclare-t-il, «(r)efuse d’accepter toute demande de concessions salariales de la part des employeurs ou toute nouvelle structure salariale à deux vitesses dans les conventions collectives. Dans les cas où des dispositions salariales à deux vitesses existent, le syndicat s’engage à consolider les structures salariales afin d’éliminer les disparités entre les travailleurs.»

La posture de défi d’Unifor est une fraude. Au cours des derniers mois, Unifor a négocié une série de contrats prévoyant des «augmentations» salariales bien inférieures au taux d’inflation actuel à deux chiffres. De plus, si les bureaucrates d’Unifor peuvent se vanter en disant qu’ils n’acceptent pas les «nouvelles» structures salariales à deux vitesses, c’est parce que le syndicat est complice depuis sa création en 2013, et bien avant cela en tant que Travailleurs canadiens de l’automobile, de l’imposition de structures salariales à plusieurs vitesses dans toute l’industrie canadienne.

Le fait que la bureaucratie ait l’intention de continuer à soutenir les bas salaires à plusieurs vitesses est souligné par l’engagement vaguement formulé de consolider les «structures salariales pour éliminer les disparités entre les travailleurs» là où des échelles salariales à plusieurs vitesses existent déjà. Comme les travailleurs de l’automobile ne le savent que trop bien, Unifor «élimine» les «disparités» salariales entre les travailleurs en incitant les travailleurs plus âgés, mieux rémunérés et bénéficiant de meilleurs avantages sociaux, à accepter une retraite anticipée, de sorte qu’un pourcentage de plus en plus grand de travailleurs se retrouvent piégés dans la même structure de salaires de misère. La mise en place de structures salariales à plusieurs vitesses et le retrait des travailleurs plus âgés des usines ont été des éléments clés de la stratégie des TCA/Unifor visant à attirer les investissements en réduisant les coûts de main-d’œuvre des constructeurs automobiles et en maintenant un «avantage (pour les investisseurs) canadien» fondé sur la faible valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain.

La réduction des coûts de la main-d’œuvre pour les constructeurs automobiles est un élément clé de la nouvelle politique nationale de l’automobile d’Unifor, que Payne a présentée lors d’une conférence de presse le 11 août. Le rapport demande au gouvernement fédéral, de concert avec l’Ontario et d’autres provinces, d’établir une politique industrielle nationale de l’automobile et d’accorder de généreuses subventions aux entreprises qui fabriquent des véhicules électriques et des composants de VE comme les batteries, afin de leur assurer des profits élevés. Soulignant que le Canada se trouve à un «point tournant» dans la transition vers les VE, Payne a vanté l’objectif d’Unifor de faire du capitalisme canadien «un leader mondial» dans la production de véhicules électriques à batterie.

Le rôle d’Unifor en tant que fournisseur de main-d’œuvre bon marché pour les entreprises canadiennes découle directement de la position sociale des bureaucrates qui composent l’appareil syndical. Vivant de leurs salaires à six chiffres et de leurs comptes de dépenses d’entreprise, les responsables d’Unifor ont beaucoup plus en commun avec les dirigeants d’entreprise et les ministres du gouvernement qu’avec les travailleurs qu’ils prétendent représenter. Fervents partisans du nationalisme canadien et des intérêts de l’État capitaliste, ils s’efforcent de garantir un avantage «concurrentiel» à leurs «propres» entreprises et investisseurs.

Dans la poursuite de ce programme, Unifor a développé un partenariat étroit avec le gouvernement Trudeau: depuis le rôle de premier plan de Dias pour aider à porter les libéraux au pouvoir par le biais de la campagne de 2015 «N’importe qui sauf les conservateurs» jusqu’à son rôle de conseiller semi-officiel du gouvernement Trudeau lors de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain. Dias et Unifor prônent la même stratégie protectionniste économique de «l’Amérique du Nord d’abord» basée sur un renforcement de l’alliance de l’impérialisme canadien avec l’impérialisme américain depuis des décennies, comme le fait la section dominante de l’élite dirigeante du Canada. Dias était également un champion de la campagne de retour au travail de la classe dirigeante pendant la pandémie, qui a protégé les profits des entreprises tout en mettant en danger la santé et la vie même de centaines de milliers de travailleurs et de leurs familles.

Après les élections fédérales de septembre dernier, Dias et Unifor ont lancé publiquement l’appel à une alliance gouvernementale officielle entre les libéraux et les néo-démocrates. En mars, quelques semaines seulement après le déclenchement de la guerre entre l’OTAN et la Russie au sujet de l’Ukraine, cette alliance s’est matérialisée, sous les applaudissements nourris d’Unifor et du Congrès du travail du Canada, sous la forme d’un accord de «confiance et d’approvisionnement» en vertu duquel le NPD s’est engagé à maintenir le gouvernement minoritaire de Trudeau au pouvoir jusqu’en juin 2025. Au nom de la «stabilité politique», le NPD soutient un gouvernement libéral qui s’est engagé à faire la guerre à la Russie, à réarmer l’armée canadienne pour de nouvelles interventions impérialistes dans le monde, et à faire payer les travailleurs pour cela par une austérité «post-pandémique» et des réductions de salaire réel dans un contexte de rapide inflation.

Payne et ses collègues de la direction d’Unifor ont la ferme intention de poursuivre la voie politique tracée par Dias. Cela a été souligné par la présence au congrès du ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, qui a prononcé un discours dans lequel il a fait l’éloge de Payne et s’est engagé à travailler avec Unifor à l’avenir. Si un plus haut fonctionnaire du gouvernement n’était pas présent, cela n’était dû qu’à un désir de la part de Trudeau et de son cercle restreint de maintenir une certaine distance avec la bureaucratie discréditée d’Unifor alors qu’elle cherchait à s’extraire du scandale de corruption Dias.

Le gouvernement libéral et ses alliés du NPD ont désespérément besoin de la bureaucratie d’Unifor pour contenir le scandale de corruption en cours afin de pouvoir se concentrer sur la tâche clé que l’élite dirigeante lui a assignée: réprimer la lutte des classes. Au cours de la dernière année, une série de grèves militantes et de protestations ouvrières ont balayé le Canada, des mineurs de Sudbury aux travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick, en passant par les travailleurs de la construction de l’Ontario et les travailleurs de CP Rail. Au cours des derniers mois, Unifor a saboté les grèves de plus de 2000 travailleurs du transporteur de passagers Via Rail et de commis d’épicerie chez Metro.

Cette résurgence de la lutte des classes n’en est qu’à ses débuts. Les travailleurs sont poussés à la lutte par l’inflation galopante causée par la perturbation des chaînes d’approvisionnement causée par la pandémie, par les sommes massives que l’État a injectées dans les marchés financiers depuis 2020 pour soutenir la fortune des riches et des super riches, et par la guerre impérialiste contre la Russie, dans laquelle le Canada joue un rôle de premier plan. Dans les semaines à venir, les conventions collectives expireront pour plus de 250.000 enseignants et travailleurs de soutien à l’éducation de l’Ontario, qui sont sur une trajectoire de collision directe avec le gouvernement Ford ultraconservateur. Environ 400.000 travailleurs du secteur public, dont des travailleurs de la santé et des enseignants, sont sans contrat en Colombie-Britannique, où le gouvernement provincial néo-démocrate est déterminé à faire porter tout le poids de la crise sur les travailleurs en imposant des règlements inférieurs à l’inflation. La tâche d’Unifor sera de s’assurer que les travailleurs industriels ne se joignent pas à ce soulèvement de la classe ouvrière, qui doit répudier l’alliance libérale/syndicale/NPD et devenir une contre-offensive industrielle et politique de la classe ouvrière si elle veut défier l’austérité capitaliste et l’intensification de l’exploitation.

Payne a reconnu les tensions de classe croissantes au Canada dans son rapport d’ouverture, en déclarant: «Mes amis, nous vivons un moment, un moment de militantisme syndical renouvelé. Et nous devons saisir ce moment». Venant du chef de la bureaucratie d’Unifor, la promesse de «saisir ce moment» doit être prise par les travailleurs comme une menace plus qu’autre chose. Il s’agit d’un avertissement à la bureaucratie, qui doit rester sur ses gardes, de peur qu’un mouvement des travailleurs de la base n’échappe au contrôle étouffant du syndicat et ne se transforme en une rébellion ouverte contre l’ensemble de l’establishment du grand patronat.

Les conditions pour qu’un tel mouvement se développe sont de plus en plus favorables. Ce fait a été souligné par la campagne que Will Lehman, un ouvrier de Mack Truck en Pennsylvanie, mène pour la présidence de l’UAW. Lehman se bat pour l’abolition de la bureaucratie, le retour des vastes actifs de l’UAW sous le contrôle de la base, et la mise en place de comités de la base dans chaque usine afin d’unifier les travailleurs américains, canadiens et mexicains de l’automobile sur la base d’une stratégie internationale de lutte pour des emplois décents et sûrs pour tous. Malgré les efforts de la bureaucratie de l’UAW pour étouffer sa campagne, Lehman a été désigné par deux délégués ouvriers lors du récent congrès de l’UAW et figurera sur le bulletin de vote cet automne. Les travailleurs du Canada doivent apporter leur soutien total à la campagne de Lehman. Cela signifie, avant tout, qu’ils doivent déclencher une rébellion contre la bureaucratie nationaliste et pro-capitaliste d’Unifor, en construisant un réseau de comités de la base entièrement indépendants de l’appareil syndical et de l’establishment politique capitaliste.

(Article paru en anglais le 20 août 2022)

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