Une décision arbitrale soutenue par le syndicat condamne les travailleurs du chemin de fer Canadien Pacifique à une réduction de salaire en termes réels et à des conditions de travail pénibles

Êtes-vous un cheminot du CP? Nous voulons savoir ce que vous pensez du règlement d’arbitrage. Communiquez avec le comité de base des travailleurs du CP à l’adresse cpworkersrfc@gmail.com.

Le contrat imposé par un arbitre à 3.000 ingénieurs, chefs de train et travailleurs de gare de triage du Canadien Pacifique (CP), dévoilé plus tôt ce mois-ci, représente le point culminant de la trahison de leur courageuse lutte pour l’amélioration des conditions de travail par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC). La décision, qui a été rendue sur la base d’une entente conclue entre la CFTC et la direction de l’entreprise pour étouffer une grève en mars dernier, prévoit des augmentations de salaire inférieures à l’inflation et, surtout, maintient le régime brutal d’établissement des horaires et les conditions de travail dangereuses qui prévalent dans l’ensemble des chemins de fer nord-américains.

Les cheminots, qui ont voté à une écrasante majorité de 96% en faveur de la grève en mars, recevront une minable augmentation salariale de 3,5% par année pendant la durée de l’entente de deux ans. L’inflation atteignant actuellement un taux annuel de plus de 7,5%, cela équivaut à une réduction approximative des salaires réels de plus de 8% pendant la durée du contrat de deux ans.

Ligne de piquetage des travailleurs du CP à Moose Jaw, en Saskatchewan (Crédit: Teamsters Division 510)

La décision initiale de la CFTC d’accepter l’arbitrage obligatoire, qui prive les travailleurs du droit de voter sur leurs conditions d’emploi ou de prendre des mesures collectives pour améliorer leurs conditions pendant la durée de l’accord, a provoqué une colère généralisée parmi les travailleurs du rail.

Après que les travailleurs aient voté massivement pour la grève, la CFTC a refusé de fixer un délai de grève, permettant ainsi à la direction du CP de prendre l’initiative et d’imposer un lock-out. La CFTC a alors déclenché tardivement la grève, tandis que la compagnie, soutenue par de nombreuses associations du patronat, a monté une campagne coordonnée et planifiée pour demander au gouvernement libéral d’intervenir, d’ordonner le retour au travail des cheminots et d’imposer un arbitrage obligatoire.

Moins de deux jours plus tard, le 21 mars, la CFTC a accepté l’arbitrage exécutoire. Pour calmer la colère de la base, la CFTC a présenté la décision de court-circuiter la grève et d’accepter volontairement l’arbitrage comme une manœuvre astucieuse pour éviter un processus d’arbitrage imposé par le gouvernement.

Dans une déclaration justifiant l’abandon unilatéral par le syndicat des droits des travailleurs à faire grève et à voter sur leurs conditions d’emploi, la CFTC a écrit qu’un processus d’arbitrage déterminé par le syndicat et l’entreprise était la meilleure option en raison de la «quasi-certitude que notre différend finirait par aboutir à un arbitrage définitif et contraignant tel qu’ordonné par le gouvernement. Pour cette raison, notre comité de négociation a décidé qu’il serait dans notre intérêt à tous de prendre le contrôle de la situation et d’élaborer une entente qui nous donne le pouvoir sur les conditions et l’éventuel arbitre. ... Les questions des salaires, des avantages sociaux et de du régime de pension sont les questions en suspens sur lesquelles l’arbitre se prononcera.»

Le résultat final démontre à quel point ces revendications creuses étaient sans issue et malhonnêtes. Le règlement salarial est une gifle, tandis que la proposition de création d’un compte d’amélioration des pensions (CAP) pour les membres de la CFTC a été décrite par un cheminot au World Socialist Web Site comme une «escroquerie». Les CAP ont été créés par le CP pour accorder aux travailleurs une part des bénéfices supérieure au taux de rendement à long terme des pensions. Dans les faits, cela signifie que le taux de pension inférieur introduit après 2012, lorsque le CP a plaidé la pauvreté pour justifier le raid sur les pensions des travailleurs, restera en place. Le seul ajout est un vague engagement à offrir des possibilités non spécifiées de «partage des bénéfices», supervisé par un comité propatronal composé de représentants de la direction et des syndicats.

Bien conscient de la colère que suscitent les horaires de travail brutaux et les conditions dangereuses, le syndicat a refusé en mars de confirmer explicitement qu’il avait accepté d’abandonner ces questions dans le cadre de son accord d’arbitrage avec le CP. Au lieu de cela, la CFTC a cherché à se cacher derrière une vague promesse que l’arbitre examinerait «certaines questions relatives au travail» dans le cadre de la procédure. Nous savons maintenant que la seule question soulevée en lien avec «certaines questions de travail» était celle de savoir combien de congés les responsables syndicaux peuvent prendre sur leurs fonctions principales pour effectuer des activités pour l’appareil syndical.

Conformément aux exigences de ses «partenaires» de la direction du CP, la CFTC a accepté que ne soient même pas soumis à l’arbitre des questions telles que les horaires, les temps de repos, la sécurité et le traitement rapide des griefs – toutes les demandes formulées par les travailleurs qui veulent mettre fin au système détesté de l’horaire de précision [Precision Scheduled Railroading system].

La capitulation de la CFTC devant les diktats de la direction et l’abandon des revendications des travailleurs pour l’amélioration de la sécurité et des conditions de travail n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une série de trahisons syndicales des luttes des travailleurs de la base au cours des derniers mois. Le mécanisme de l’arbitrage exécutoire, qui permet de bloquer les grèves et d’imposer des contrats favorables à l’employeur sans même un vote démocratique, est devenu le moyen privilégié des syndicats pour saboter les luttes des travailleurs dans tous les secteurs de l’économie, des chargés de cours des collèges de l’Ontario aux travailleurs de la signalisation et des communications du CN.

L’arbitrage exécutoire produit invariablement un résultat favorable à l’employeur et s’accompagne souvent, comme ce fut le cas dans la lutte au CP, de menaces explicites du gouvernement d’intervenir et de criminaliser toute action des travailleurs. Au cours des dernières étapes des pourparlers entre le CP et la CFTC en mars, le ministre libéral du Travail, Seamus O’Reagan, a lancé un ultimatum aux deux parties, déclarant que «nous voulons un accord maintenant».

Le gouvernement libéral de Trudeau a maintes fois menacé de criminaliser la grève des cheminots. Un facteur supplémentaire dans son intervention rapide pour mettre fin à la lutte des travailleurs du CP a été le déclenchement de la guerre par procuration entre les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine, dans laquelle l’impérialisme canadien joue un rôle particulièrement provocateur et belliqueux.

Cette guerre a entraîné une hausse spectaculaire des prix de l’énergie et des autres matières premières. Les entreprises canadiennes et leurs laquais au sein du gouvernement Trudeau n’étaient pas prêts à tolérer une quelconque perturbation des chaînes d’approvisionnement causée par une grève des travailleurs dans des conditions où les compagnies pétrolières et gazières, les producteurs de phosphate et les exportateurs de minéraux essentiels peuvent réaliser des profits faramineux grâce à la guerre qu’Ottawa a tant contribué à déclencher.

Les résultats de l’accord d’arbitrage donnent raison à la décision prise par les travailleurs du rail en mars de former le comité de base des travailleurs du CP et souligne l’urgence pour les travailleurs de se joindre à la lutte pour étendre son influence. Dans sa déclaration fondatrice, le CPWRFC a annoncé,

«Les Teamsters et les syndicats procapitalistes dans leur ensemble ont depuis longtemps abandonné leur rôle de défense des intérêts des travailleurs. Les bureaucrates privilégiés qui dirigent la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, dont beaucoup n’ont pas mis les pieds dans une gare de triage ou une locomotive depuis des années, n’ont qu’une seule préoccupation : leur propre carrière. Ils privilégient leurs relations corporatistes avec les dirigeants des entreprises et les ministres du gouvernement plutôt que les intérêts des travailleurs qu’ils prétendent représenter.

«C’est pourquoi nous faisons de la lutte contre l’accord d’arbitrage le point de départ d’une rébellion de la base des cheminots et de leurs partisans contre le sabotage de notre lutte par les syndicats.»

Un jour après l’annonce du règlement arbitral, le Comité américain sur les investissements étrangers a donné son autorisation réglementaire pour que le CP procède à l’acquisition de Kansas City Southern. Si la transaction reçoit l’approbation finale du Surface Transportation Board des États-Unis, la fusion CP-KCS créera la seule ligne ferroviaire unique reliant le Canada, les États-Unis et le Mexique. Les autorités de réglementation mexicaines ont déjà donné leur accord à la transaction. L’accord est évalué à 31 milliards de dollars US, y compris la prise en charge d’une dette de 3,8 milliards de dollars US, mais le CP s’attend à ce que l’accord génère 1 milliard de dollars de synergies annualisées au cours des trois premières années. Les coûts de l’accord et le nouveau rendement exigé par l’intégration des deux chemins de fer seront entièrement supportés par les travailleurs des trois pays.

La ministre des Finances et vice-première ministre Chrystia Freeland s’adressant au récent congrès de Teamsters Canada

Il ne reste plus qu’un peu plus de 16 mois avant l’expiration du contrat imposé par l’arbitre couvrant les 3.000 ingénieurs de locomotive et ouvriers du CP. L’entreprise, dirigée par le PDG multimillionnaire Keith Creel (rémunération de 27 millions de dollars en 2021), s’acharnera à réduire les coûts et à maximiser les profits pour les investisseurs qui possèdent le nouveau méga chemin de fer CP-KCS. Teamsters Canada, l’organisation mère de la CFTC, considère le gouvernement libéral proguerre et proaustérité comme un allié proche, allant jusqu’à inviter la vice-première ministre Chrystia Freeland, un faucon proguerre, à s’adresser à sa récente conférence nationale. Les bureaucrates syndicaux ne veulent rien d’autre que garantir leurs salaires lucratifs et leurs privilèges en tant que courtiers en main-d’œuvre bon marché et jetable.

La tâche à laquelle sont confrontés les travailleurs du chemin de fer est de construire un mouvement nord-américain de la base capable de mener une lutte indépendante des syndicats propatronaux afin d’assurer des conditions de travail sécuritaires, des horaires de travail gérables et le droit à une retraite confortable et à des avantages sociaux pour tous les travailleurs. Cela exige une attaque frontale contre l’emprise que l’oligarchie financière et la grande entreprise, y compris les exploitants de chemins de fer, ont sur tous les aspects de la vie sociale et politique, afin que les vastes ressources de la société puissent être déployées pour répondre aux besoins sociaux urgents, et non aux profits de quelques riches.

(Article paru en anglais le 28 août 2022)

Loading