La trahison des syndicats espagnols chez Ford à Valence dévoile leur rôle dans la grève de Mercedes

La semaine dernière, les travailleurs de l’usine du constructeur automobile allemand Mercedes-Benz à Vitoria, la capitale du Pays basque espagnol, ont repris le travail après les vacances d’été. Ils le font avec une nouvelle convention collective, imposée par les syndicats en juin et comportant de brutales réductions de salaire en échange d’un investissement supposé d’un milliard d’euros.

Travailleurs de Ford en Espagne en 2020 [Photo de Ford Media]. [Photo: Ford Media]

L’accord fut éclipsé par l’annonce récente par Ford d’un report des investissements dans l’usine d’Almussafes à Valence, qui emploie 6.000  ouvriers. Là, le syndicat social-démocrate UGT (Union générale des travailleurs) avait fait passer en force l’attaque la plus brutale contre les travailleurs en 46  ans d’histoire de cette usine, pour garantir qu’elle «gagne» un appel d’offres fratricide contre l’usine Ford de Saarlouis en Allemagne. Des informations indiquent qu’il pourrait y avoir jusqu’à 3.000  suppressions d’emplois à Almussafes.

L’‘accord d’électrification’ signé par l’UGT et Ford impose un gel des salaires sur quatre ans. Les derniers chiffres de l’indice des prix à la consommation (IPC) s’élevant à 10,4  pour cent cela signifie une réduction des salaires réels de 30 pour cent ou plus d’ici 2026. Pour chaque travailleur des milliers d’euros en moins. En échange de ces réductions, Almufasses était censé recevoir des investissements pour produire les nouveaux véhicules électriques de Ford. Mais la semaine dernière, Ford annonçait qu’il renonçait à l’argent public gratuit destiné à investir dans l’usine, signalant ainsi que sa fermeture est toujours envisagée.

La leçon à tirer du cas Ford est claire: les travailleurs ne peuvent pas défendre leurs emplois et leurs salaires à travers les bureaucraties syndicales, les directions d’entreprise ou le gouvernement PSOE-Podemos. La seule façon d’avancer est de rompre avec les syndicats et de former des comités de la base, indépendants, pour unifier leurs luttes dans toute l’Europe contre les plans de Mercedes, Ford et d’autres constructeurs automobiles qui prévoient de restructurer impitoyablement cette industrie au détriment des emplois, des salaires et des conditions de travail.

La colère monte à nouveau chez Mercedes. En juillet, les syndicats UGT et CCOO, liés à Podemos, ont imposé des réductions de salaire après une lutte acharnée menée dans l’usine contre des accords salariaux inférieurs au taux d’inflation.

Cinq mille ouvriers de Mercedes oont mené une grève de neuf jours, soutenue par 95  pour cent de la main-d’œuvre. La production de l’usine fut paralysée. Les travailleurs ont ensuite étendu la grève au mépris des syndicats qui voulaient la limiter à une action de trois jours.

Les ouvriers se sont opposés au chantage de la direction de Mercedes-Benz. Dans ce qui est désormais un thème récurrent dans les luttes des travailleurs de l’automobile, Mercedes avait promis un «plan d’investissement» de 1,2  milliard d’euros pour la production de véhicules électriques. Mais en échange, ils ont exigé des coupes sévères des salaires réels et des conditions de travail, même si la société a déclaré 16  milliards d’euros de bénéfices nets l’année dernière.

À l’instar des autres constructeurs, Mercedes-Benz est déterminé à faire porter aux travailleurs le poids d’une restructuration de l’industrie automobile mondiale qui a déjà détruit des dizaines de milliers d’emplois dans le monde. L’objectif est de transformer les travailleurs en main-d’œuvre temporaire surexploitée, totalement à la merci du management.

Mercedes a lancé une nouvelle série d’attaques, confiant qu’il pouvait compter sur les syndicats pour les mener. Depuis le crash économique de 2008, les CCOO et l’UGT collaborent avec la direction dans le comité d’entreprise. Ils ont imposé des équipes de nuit le samedi, une flexibilité accrue et un système de salaire à deux paliers. Profitant de l’ouverture de négociations pour une nouvelle convention collective, Mercedes a exigé une autre série de coupes.

En juin, alors même que l’inflation dépassait les 10 pour cent, l’entreprise a proposé une augmentation de 2  pour cent pour 2022 et de 1,8  pour cent chaque année jusqu’en 2026. Elle a également exigé une extension des heures de travail par la création d’une sixième équipe de nuit et en exigeant davantage de travail le week-end.

Cette demande a provoqué une colère massive, obligeant les syndicats CCOO et UGT à appeler à une grève de trois jours. Aux manifestations dans les rues de Vitoria et sur les piquets de grève à l’usine, les travailleurs scandaient : «Non à la sixième nuit», «CPI [indice des prix à la consommation] Oui ou Oui», «[directeur général de Mercedes en Espagne Emilio] Titos, fainéant le dimanche tu viens» et «UGT et CCOO, vendus».

CCOO et UGT ont signé un préaccord avec Mercedes, dans lequel ce dernier a retiré sa demande d’une sixième équipe de nuit, ce qui a permis aux syndicats de la présenter comme une victoire alors que le reste des coupes restait en vigueur.

Les syndicats séparatistes basques, ELA, LAB et ESK ont également aidé les CCOO et l’UGT dans leur trahison. Se présentant comme des détracteurs du comité d’entreprise dominé par ces deux syndicats, ils ont appelé à prolonger l’action de grève de quelques jours, tout en refusant d’élargir la lutte à d’autres secteurs. Ils avaient déjà montré que lorsqu’ils contrôlent le comité d’entreprise, ils jouent le même rôle que les CCOO et l’UGT: ils ont signé une augmentation de salaire de 4 pour cent – largement inférieure à l’inflation – dans un contrat à Guipúzcoa.

Ces syndicats n’ont jamais cherché à coordonner la mobilisation avec d’autres syndicats du secteur automobile en Espagne ou à l’international. Au cours du même mois, les travailleurs britanniques employés par VFS Southampton Ltd, qui assemble de gros véhicules pour Ford et Mercedes, menaçaient de faire grève sur un conflit salarial. Aux États-Unis, les techniciens de la concession Mercedes-Benz de San Diego s’étaient mis en grève.

Dans une atmosphère de désinformation et d’intimidation – les COCOO et l’UGT retweetaient les menaces de la direction de fermer l’usine si les concessions exigées n’étaient pas acceptées – les syndicats ont organisé un vote. Reproduisant la tactique répugnante utilisées par l’UGT chez Ford Valencia en février, ils ont organisé un vote via leur application sans divulguer le texte du contrat, refusant les bulletins de vote traditionnels. Il était donc impossible de comptabiliser le vote

En fin de compte, 57  pour cent des travailleurs ont voté pour un accord qui est une attaque historique contre les travailleurs. Il sabre les salaires réels en fixant une hausse de 6  pour cent pour 2022 – quatre points sous le chiffre officiel de l’inflation – et de seulement 2,25  pour cent par an jusqu’en 2026, soit 8  points sous l’inflation. Une perte de milliers d’euros pour chaque travailleur dans les années qui viennent.

Le vote a cependant mis en évidence la montée du mécontentement de masse. Le «oui» a été soutenu par les employés de bureau mieux rémunérés, tandis que le soutien à l’accord tombait à 38 pour cent sur les chaînes de montage, 46  pour cent dans la peinture et 48  pour cent dans l’assemblage. Le vote monte que le groupe qui souffrira le plus des coupes est massivement opposé à l’accord.

La secrétaire général des CCOO au Pays basque, Loli García, s’est félicitée du vote positif, affirmant : «nous pensons que l’accord conclu est un très bon accord et nous voulons souligner que nous n’avons, surtout, rien perdu. Car il n’y a pas de mesures régressives».

Si les ouvriers travaillent actuellement selon les conditions de la nouvelle convention collective, Mercedes, lui, n’a pas donné suite à son annonce d’un investissement de 1,2  milliard d’euros.

Une bataille s’annonce une fois de plus chez Mercedes et les travailleurs de l’automobile ont de puissants alliés – les millions de travailleurs de l’automobile et les milliards de travailleurs dans le monde, qui commencent à se battre. La tâche urgente est de développer l’Alliance internationale ouvrière des comités de base. Il s’agit à travers elle de coordonner ces luttes, de mobiliser l’opposition aux bureaucraties syndicales et d’unifier les luttes des diverses entreprises, par-delà les frontières nationales, dans une lutte pour le socialisme.

(Article paru d’abord en anglais le 3  septembre2022)

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