Après des semaines de silence de la part du syndicat, Mercedes-Benz licencie en masse au Brésil

Des informations venues de travailleurs de Mercedes-Benz à l’usine de São Bernardo do Campo, dans la région industrielle ABC, ont dévoilé ce qui était ressorti de semaines de réunions entre le syndicat des métallurgistes de l’ABC (SMABC) et le constructeur automobile. Des centaines de travailleurs contractuels sont arrivés lundi à l’usine pour découvrir qu’on les avait sommairement licenciés dans le cadre de la suppression de 3.600  emplois annoncés par la société début septembre.

L’assemblée des travailleurs de Mercedes-Benz à l’usine de São Bernardo do Campo, le 8  septembre 2022 (Adonis Guerra/SMABC/FotosPublicas)

En plus des suppressions d’emplois, visant notamment 2.200  employés de l’entreprise et 1.400  contractuels, Mercedes, avait annoncé le 6  septembre qu’il allait externaliser plusieurs secteurs de l’usine, comme la logistique, la maintenance, l’outillage, le laboratoire, la fabrication et l’assemblage de l’essieu avant et de la transmission intermédiaire.

Les bureaucrates syndicaux réagissent en s’efforçant de diviser les divers secteurs de l’usine et d’empêcher une grève de ses quelque 9.000  travailleurs. Dans un contexte d’énorme colère chez les travailleurs, et à quelques jours de l’élection présidentielle de dimanche, la bureaucratie du SMABC – affiliée à la fédération syndicale CUT contrôlée par le PT (Parti des travailleurs) – aide l’entreprise à supprimer des emplois tout en essayant de détourner l’opposition vers les voies réactionnaires du nationalisme économique.

Lundi après-midi, après les licenciements, le syndicat a convoqué une réunion à l’intention des 361  travailleurs dont le contrat expire le 3  octobre, soit une fraction du millier de travailleurs qui seront licenciés dans les prochaines semaines.

Mardi, au siège du SMABC, ses bureaucrates ont tenté de détourner la colère en rejetant la responsabilité des suppressions d’emplois sur les travailleurs chinois. Tout en déclarant qu’elles avaient lieu parce que le président actuel, Jair Bolsonaro, voulait importer des bus de Chine, ils ont avancé cette affirmation absurde que la seule façon d’arrêter les licenciements était d’élire le candidat du PT, Luis Inácio Lula da  Silva.

Fait crucial, les bureaucrates se sont sentis obligés de citer l’article du World Socialist Web Site qui dénonçait le sabotage par le syndicat de la lutte des travailleurs dans l’usine. Si les bureaucrates se sont moqués de l’article, ils n’ont fait que le qualifier de «fake news». Ils ont ressenti le besoin de dénigrer le WSWS parce que c’est la seule publication qui dit la vérité aux travailleurs de Mercedes, et que l’article a clairement eu un large écho dans la base.

Pendant que les bureaucrates du SMABC rassemblaient les travailleurs licenciés au siège du syndicat, son directeur exécutif, Aroaldo da  Silva, s’efforçait de contenir une éruption à l’usine Mercedes même.

Après que les travailleurs de la logistique ont constaté que l’entreprise faisait déjà venir des fournisseurs à l’usine pour planifier l’externalisation de leur secteur, ce qui montre qu’il n’y a en réalité aucune «négociation» en cours avec le syndicat, ils ont eux-mêmes cessé le travail mardi matin. Craignant que cette rébellion ne s’étende, Silva a rassemblé les travailleurs de la logistique dans la cour afin de limiter l’action syndicale à ce seul secteur et à l’équipe du matin. Ils organiseraient des arrêts de travail lors d’équipes et de jours distincts, «afin de ne pas arrêter la production», a-t-il dit.

Silva a déclaré aux travailleurs de la logistique que toutes les suppressions d’emploi exigées par Mercedes devaient être acceptées pour ne pas nuire aux bénéfices de l’entreprise, ajoutant, «nous devons faire tout ce qui est possible pour essayer d’atténuer l’impact sur le secteur».

Les événements de mardi montrent que le syndicat s’efforce de garder les ouvriers de l’automobile divisés, même au sein d’une même usine. On ne peut faire confiance aux bureaucrates syndicaux pour défendre les droits les plus immédiats des travailleurs, comme un emploi et des conditions de travail décents. Le fait qu’ils ne réagissent pas aux licenciements de masse en les dénonçant mais en les camouflant, dévoile leur sale manœuvre en collaboration avec l’entreprise.

Dans les trois semaines écoulée depuis que Mercedes a annoncé les licenciements, les dirigeants du SMABC ont tout fait pour maintenir les travailleurs divisés. Ils n’ont lancé aucun appel pour que les 1.400  travailleurs contractuels soient embauchés comme salariés à part entière. Le syndicat a appelé à une grève de trois jours dans l’usine, pour la maintenir isolée, sans appeler à une action commune avec les autres travailleurs de l’automobile. Trois semaines durant, ils se sont systématiquement efforcés d’imposer un black-out de l’information parmi les travailleurs.

Un travailleur contractuel qui a contacté le World Socialist Web Site a dénoncé les manœuvres du syndicat la veille du début des licenciements, lundi.

«Le syndicat n’a aucune information [sur les licenciements], il se contente de dire que la situation est difficile et que l’entreprise ne reculera pas» a-t-il déclaré. Quand le syndicat parlait des travailleurs contractuels, il affirmait que l’entreprise « ne sait pas, qu’elle n’a rien dit, qu’elle ne parle pas du sujet. Cela signifie que le syndicat lui-même n’aborde pas le sujet lors des réunions, qui, selon lui, se déroulent depuis le 6  septembre. Mais ils ne disent rien sur ces réunions et se contentent de dire qu’“ils sont en train de négocier’’ et que “l’entreprise ne veut pas reculer”».

Ce travailleur a souligné que le syndicat avait fait des déclarations officieuses quelques jours auparavant dans certains secteurs de l’usine, disant que «rien n’est encore certain».

Il n’y a aucune raison de croire que les bureaucrates du syndicat n’étaient pas au courant des plans de Mercedes pour faire avancer le licenciement des travailleurs sous contrat. Ils rencontrent l’entreprise depuis le 6  septembre, alors que ces travailleurs approchaient de la date d’expiration de leur contrat.

Comme le président du SMABC Aroaldo da  Silva l’a admis lui-même, les bureaucrates étaient au courant depuis longtemps des plans de l’entreprise pour mettre en œuvre diverses mesures de «restructuration», y compris des suppressions d’emplois. Il y a trois semaines, Silva avait déclaré à la foule présente à l’assemblée: «Nous avons dialogué sur ces questions. La direction de Mercedes a commencé à présenter un scénario où l’entreprise n’a pas réalisé les bénéfices escomptés… Selon eux, il était nécessaire de commencer à discuter de l’usine de São Bernardo pour que le pire n’arrive pas».

Le travailleur a souligné le rôle général du syndicat dans la suppression des luttes des travailleurs. Il a déclaré: «J’ai travaillé chez Volkswagen, chez GM, et le syndicat effectue toujours les mêmes manœuvres: ils disent qu’ils font quelque chose. Mais au bout du compte, ils servent la bourgeoisie, les hommes d’affaires, et nous, nous n’avons que les miettes».

Après des années passées à agir en auxiliaire des entreprises automobiles, coupant salaires et emplois et rejetant la responsabilité des fermetures d’usines sur les travailleurs d’autres pays, le syndicat lié au PT veut que les travailleurs soutiennent la campagne électorale de l’ex-président Lula da  Silva. Celui-ci a fait campagne sur le même programme nationaliste que celui défendu par le syndicat et Bolsonaro.

Ce programme est une partie essentielle de la tentative de supprimer l’opposition de la classe ouvrière au Brésil, au nom du «développement national». La bureaucratie du SMABC fait la promotion de ce programme nationaliste comme composante de la campagne du PT, par le biais du «Plan industriel  10+.»

Ce plan fut promu lors d’une réunion d’Aroaldo da  Silva et des centrales syndicales avec le candidat de Lula à la vice-présidence Geraldo Alckmin. Il appelle à la construction d’organisations «multipartites» qui, dans la pratique, subordonneraient la classe ouvrière aux diktats des sociétés transnationales alors qu’elles exigent toujours plus de baisse des coûts de main-d’œuvre. Cela signifierait plus de coupes dans les salaires et les emplois et une intensification de l’exploitation des travailleurs, pour maximiser les profits et attirer les investissements.

Les travailleurs de l’automobile doivent être informés de l’énorme trahison qui se prépare dans leur dos. Les licenciements de travailleurs contractuels qui ont déjà commencé ne sont qu’un prélude au massacre des emplois chez Mercedes. Au lieu des prétendues «négociations» du syndicat avec l’entreprise, un comité de la base doit être organisé chez Mercedes-Benz par les travailleurs eux-mêmes, pour discuter de revendications essentielles, comme l’annulation de tous les licenciements, la défense de l’emploi de tous les travailleur, un contrat à part entiére pour tous et une augmentation immédiate pour compenser les pertes de salaires réels causées par l’inflation.

Toutes ces revendications doivent être discutées par les travailleurs de Mercedes et une résolution, rédigée par eux-mêmes, doit être adoptée. Toutes ces demandes, et toute autre soulevée par les travailleurs, ne peuvent être discutées franchement et démocratiquement que s’ils créent leurs propres organisations de lutte, indépendantes du syndicat et de l’entreprise.

Ces revendications peuvent être financées par les énormes profits enregistrés par Mercedes, qui, rien qu’au dernier trimestre, a réalisé plus de 3  milliards d’euros de bénéfices.

Les travailleurs doivent avant tout faire appel à l’aide de toute la classe ouvrière, non seulement dans la zone industrielle ABC et au Brésil en général, mais aussi à l’international, en s’organisant dans le cadre de l’Alliance internationale ouvrière des comités de base (AOI-CB). Les travailleurs du monde entier font face à la hausse des prix, à une exploitation croissante. Ils ont été contraints de travailler tout au long de la pandémie. Ils devraient tous être unis dans une lutte commune pour défendre leurs emplois, des salaires décents, des conditions de travail sûres et leurs droits démocratiques.

Avec une inflation qui érode les salaires réels des travailleurs de toute l’industrie, dans tout le pays et à l’échelle internationale, une grève chez Mercedes faisant appel aux travailleurs de l’automobile dans d’autres usines au Brésil et à l’étranger deviendrait rapidement un centre de l’offensive internationale de la classe ouvrière.

Les soignants ont mené des grèves de masse au Brésil contre l’annulation par la Cour suprême fédérale (STF) d’un salaire seuil obligatoire. En Espagne, les travailleurs de Mercedes ont récemment été trahis par le syndicat UGT et les Commissions Ouvrières (CCOO), liées à Podemos.

Pendant ce temps, aux États-Unis, Will Lehman, un ouvrier de Mack Trucks, mène une puissante campagne pour l’élection à la présidence de l’UAW, le syndicat automobile américain. Il fait campagne sur la base d’un programme visant à mettre à la porte l’ensemble de la bureaucratie syndicale et à arracher les vastes ressources accumulées par les travailleurs des mains de responsables parasites, pour les utiliser dans une véritable lutte.

Le Groupe de l’égalité socialiste, qui travaille en solidarité avec le Comité international de la Quatrième Internationale au Brésil, aidera les travailleurs qui souhaitent créer un comité sur leur lieu de travail. Nous invitons ceux qui sont prêts à se battre à prendre contact avec nous.

(Article paru d’abord en anglais le 29  septembre 2022)

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