Après l’intervention de la Banque d’Angleterre, les turbulences financières se poursuivent

Les turbulences sur les marchés financiers mondiaux se poursuivent à la suite de l’intervention de la Banque d’Angleterre (BoE) sur le marché obligataire britannique qui a menacé la solvabilité des fonds de pension et une crise du système financier, à une échelle comparable, voire supérieure, à celle de l’effondrement de 2008.

Des personnes attendent pour entrer dans la Banque d’Angleterre à Londres, le mardi 27 septembre 2022 [AP Photo/Frank Augstein] [AP Photo/Frank Augstein]

Les rendements obligataires sur le marché britannique ont quelque peu baissé alors que les prix des obligations ont augmenté (ils évoluent dans des directions opposées). La livre sterling a récupéré une partie de ses pertes par rapport au dollar américain après avoir menacé de tomber à parité avec la devise américaine.

Jeudi, un article principal du Wall Street Journalmettait en garde: «La volatilité croissante sur les marchés des obligations d’État intensifie les craintes à Wall Street que les vives fluctuations de cette année dans les actifs les plus sûrs du monde ne déstabilisent des marchés financiers déjà en difficulté».

L’article a noté qu’avant l’intervention de la BoE (Banque d’Angleterre), le rendement du bon du Trésor américain à 10 ans – qui est considéré comme la référence pour le système financier américain et mondial – était passé au-dessus de 4 pour cent pour la première fois en plus de dix ans.

Ce mouvement à la hausse «a marqué la dernière explosion en date sur des marchés de la dette normalement placides, faisant craindre aux investisseurs que le repli des obligations, qui dure depuis un an, ne soit entré dans une nouvelle phase plus dangereuse».

La hausse des rendements obligataires a déjà un impact sur l’économie avec le rapport de jeudi selon lequel le taux d’intérêt moyen sur un prêt hypothécaire résidentiel à 30 ans est maintenant de 6,7 pour cent, soit plus du double du niveau de 3,01 pour cent d’il y a tout juste un an. L’une des craintes est que la hausse des taux hypothécaires précipite une chute brutale du secteur du logement.

Depuis le début de l’année, les principaux indices obligataires américains ont enregistré les pertes les plus importantes de leur histoire, et le marché boursier continue d’osciller à la baisse, l’indice clé S&P 500 a perdu 22 pour cent depuis le début de l’année.

Après l’envolée de Wall Street à la suite de l’intervention de la BoE mercredi, le marché s’est effondré jeudi, le S&P 500 clôturant à son plus bas niveau de 2022 tandis que les rendements des obligations du Trésor atteignaient des niveaux parmi les plus élevés de l’année. Comme l’a déclaré un gestionnaire de portefeuille au WSJ: «Cette volatilité est assez époustouflante».

Chris Turner, responsable mondial des marchés chez le géant financier ING, a déclaré au WSJque les banques centrales restaient «entièrement focalisées» sur la hausse des taux «même si cela doit provoquer une récession».

Selon lui, l’«intervention massive» de la BoE, qui s’est engagée à dépenser 65 milliards de livres sterling pour racheter la dette publique britannique, a «stabilisé la situation pendant 12 heures, mais n’a évidemment pas permis de s’attaquer aux défis fondamentaux».

Certains de ces «défis fondamentaux» ressortent d’un examen de la façon dont la crise a éclaté en réponse au mini-budget «fracassant» du gouvernement conservateur de vendredi dernier qui a accordé 45 milliards de livres aux sociétés et aux super-riches.

La réaction négative des marchés financiers n’était pas due à cette aumône, mais au fait que le flux d’argent supplémentaire, qu’ils accueillent toujours favorablement, n’était pas accompagné de nouvelles attaques profondes contre les dépenses sociales, mais devait être financé par une augmentation de la dette publique à hauteur de 72 milliards de livres.

La perspective d’une nouvelle hausse de la dette, augmentant l’offre d’obligations, a entraîné une chute rapide de leur prix, faisant exploser leur rendement. L’impact immédiat s’est fait sentir sur les fonds de pension, qui comptent parmi les plus gros acheteurs de dette publique.

Les fonds de pension pratiquent ce que l’on appelle l’investissement axé sur la liquidité (IAL). En d’autres termes, ils ne s’engagent généralement pas dans des mesures spéculatives qui visent à obtenir des rendements plus élevés «meilleurs» que le marché.

Ils cherchent à s’assurer que leurs flux de revenus et la valeur de leurs actifs couvrent leurs engagements envers les retraités. Mais pour ce faire, ils doivent effectuer des opérations sur produits dérivés, financées par des emprunts, pour se couvrir contre les fluctuations du marché.

Ces emprunts sont couverts par les garanties qu’ils détiennent sous forme d’obligations d’État et de liquidités. Mais lorsque le prix de l’actif sous-jacent, les obligations d’État, chutent brusquement, comme ce fut le cas en début de semaine, le prêteur exige davantage de liquidités.

Pour répondre à ces demandes, les fonds de pension doivent vendre des obligations, ce qui fait chuter leur prix encore plus, précipitant ainsi une «boucle fatale». Cette situation a atteint un point tel qu’un analyste a averti que si la BoE n’était pas intervenue, 90 pour cent des fonds de pension auraient pu devenir insolvables.

Dans un commentaire sur la crise, le chroniqueur du Financial Times Robin Wigglesworth a fait quelques observations importantes sur ce qui avait été révélé.

Il a noté que la crise avait enfoncé le clou d’un truisme tiré des expériences passées: «les plus grands dommages sont souvent causés par des investissements supposés solides qui se sont avérés être tout sauf cela» et «les débâcles financières véritablement cataclysmiques ont tendance à impliquer des stratégies d’investissement [comme le LDI] et des titres financiers que tout le monde pensait ennuyeux».

«Y a-t-il autre chose du genre qu’on ne sait pas?», poursuit-il. «Quelle sera la prochaine débâcle au sein d’un coin improbable du système financier mondial? Nous allons probablement le découvrir bientôt».

Tout au long de la crise actuelle, le mot «confiance» a été utilisé à plusieurs reprises. La capacité du système financier à continuer de siphonner les richesses vers les échelons supérieurs de la société dépend de la confiance dans le fait que ses opérations ne seront pas entravées par une mauvaise administration de la part des gouvernements ou par les luttes de la classe ouvrière.

Au cours des dernières décennies de turbulences financières croissantes, depuis le krach boursier d’octobre 1987, la confiance a été restaurée par l’intervention de la Réserve fédérale et d’autres banques centrales qui ont injecté davantage d’argent dans le système. Mais ces opérations – chacune plus importante que la précédente – ont pu être menées dans des conditions très différentes de celles d’aujourd’hui.

L’inflation était à des niveaux historiquement bas et le mouvement de la classe ouvrière était réprimé par les syndicats – l’activité de grève, l’indicateur le plus fondamental de la lutte des classes, était à des niveaux historiquement bas – et les salaires réels étaient sur une trajectoire descendante continue.

Aujourd’hui, l’inflation est à son plus haut niveau depuis quatre décennies et la classe ouvrière tente de se libérer de l’emprise de la bureaucratie syndicale, plus particulièrement au Royaume-Uni et aux États-Unis, alors que d’autres sections de la classe ouvrière commencent également à entrer en action pour des revendications salariales et essayer de mettre fin à des conditions d’exploitation de plus en plus intolérables.

Cela signifie que la restauration de la confiance ne peut se faire par les méthodes employées par les banques centrales dans le passé.

Cela exige un assaut massif contre la position sociale de la classe ouvrière, pour casser les salaires et pousser l’exploitation à de niveaux encore plus vastes afin d’augmenter le flux de la plus-value dans le système financier et soutenir la montagne de dettes et de capital fictif accumulée au fil des décennies.

Les contours de cette guerre de classe sont déjà clairs. Les banques centrales augmentent les taux d’intérêt, non pas pour faire baisser l’inflation, mais pour provoquer une récession et réprimer les revendications salariales. Dans le même temps, les couteaux sont aiguisés en vue d’attaques majeures contre les services sociaux, les dépenses de santé et d’éducation, qui représentent une déduction sur l’ensemble de plus-value disponible pour l’appropriation par le capital financier.

Le gouvernement conservateur britannique de la première ministre Liz Truss, répondant aux critiques de son mini-budget, a déclaré qu’une «discipline de fer» devait être imposée aux dépenses publiques.

Les syndicats savent très bien ce qui les attend. Une lettre signée par 18 syndicats a déclaré que l’austérité serait un «acte de vandalisme national». Mais à l’heure actuelle, tout en écrivant des lettres au gouvernement conservateur, ils travaillent nuit et jour pour étouffer la lutte des travailleurs qui tente de faire tomber le gouvernement Truss.

La même mécanique de classe est à l’œuvre aux États-Unis, où les syndicats tentent par tous les moyens de trahir chaque grève.

Dans les cercles financiers, la réaction aux dernières données sur les demandes initiales d’allocations de chômage, qui montrent qu’elles étaient tombées à leur plus bas niveau depuis avril, a été que la Réserve fédérale devrait devenir encore plus agressive sur les hausses de taux.

Comme l’a déclaré un stratège en investissement au WSJ: «La Réserve fédérale s’efforce de faire souffrir les marchés de l’emploi et cela ne fonctionne pas. Cela donne raison à la perspective que la Réserve fédérale va devoir être plus stricte pendant plus longtemps».

Les classes dirigeantes aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans le monde entier ont une stratégie contre-révolutionnaire qu’elles ont l’intention d’imposer comme seule solution à la crise croissante du système de profit qu’elles dirigent.

La classe ouvrière ne peut pas les vaincre par des demi-mesures – encore moins par des lettres – mais seulement par une stratégie opposée, élaborée jusqu’au bout. Elle doit affirmer son grand pouvoir social par le développement de comités de la base indépendants pour briser l’emprise de la bureaucratie syndicale, développer une perspective indépendante et faire avancer la lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 30 septembre 2022)

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