Comment la firme McKinsey a épaulé le gouvernement québécois dans son laisser-faire face au coronavirus

Dans une parfaite illustration de la dictature exercée par le grand capital sur la société, de récentes révélations ont montré comment l’un des plus grands cabinets de conseil au monde a déterminé les éléments essentiels de la réponse désastreuse du gouvernement québécois de François Legault à la pandémie de COVID-19.

Dans ses interventions auprès du gouvernement Legault, la firme McKinsey a formulé les principes qui allaient guider sa politique COVID: la priorisation des profits au lieu de la santé publique; le recours exclusif à la vaccination au lieu d’une stratégie complète comprenant le dépistage, le traçage des contacts et le confinement; et la réouverture prématurée et précipitée des écoles et des industries non essentielles pour renflouer les marchés financiers.

Le bilan de cette politique criminelle, pleinement endossée par le gouvernement fédéral canadien de Justin Trudeau, s’élève à près de 17.000 décès de la COVID au Québec et près de 46.000 à l’échelle nationale, des décès presque tous évitables – sans parler des quelque 20 millions de victimes de la pandémie dans le monde.

Un enfant met de la terre sur un jeune arbre planté sur la dépouille d’un membre de sa famille, décédé de la COVID-19, au nord de Bogota, en Colombie, le 24 juin 2021. (AP Photo/Ivan Valencia, Dossier)

McKinsey est une société américaine qui emploie 30.000 consultants dans 130 bureaux répartis dans 65 pays et qui a un chiffre d’affaires annuel de 10 milliards de dollars. Des associés du cabinet-conseil deviennent d’importants fonctionnaires dans les gouvernements ou accèdent à des postes de direction dans les plus grandes entreprises du monde. McKinsey facture aux gouvernements et à la grande entreprise des frais exorbitants pour des conseils de «gestion stratégique» qui conduisent à la privatisation des services publics et à des attaques brutales contre la classe ouvrière.

Œuvrant auprès des entreprises et des gouvernements les plus réactionnaires, McKinsey a été impliquée dans un grand nombre de scandales. Elle a conseillé les fabricants de cigarettes alors qu’ils développaient sciemment un produit créant une plus grande dépendance. Elle était aux côtés de Purdue Pharma pendant que celle-ci mettait au point ses techniques de vente ultra-agressives de l’Oxycotin, l’antidouleur à la source de la crise des opioïdes aux États-Unis (en 2021, McKinsey a accepté de payer 600 millions de dollars aux États américains pour son rôle dans la crise). Et elle a épaulé la police des frontières américaines alors que Trump mettait en place ses brutales mesures anti-immigrants.

Le 30 septembre dernier, à quelques jours des élections québécoises du 3 octobre, Radio-Canada a révélé que le gouvernement de droite de la Coalition avenir Québec (CAQ) a payé plus de 6 millions et demi de dollars à McKinsey pour des services-conseils en relation avec la pandémie de COVID-19. Au terme de deux contrats conclus sans appel d’offre les 2 avril 2020 et 28 juillet 2021, la firme a joué un rôle clé dans la gestion de la pandémie au Québec en donnant des conseils au gouvernement Legault et à la Santé publique du Québec en matière de communication, d’achat d’équipements de protection, de stratégie de tests et de pénurie de personnel dans les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

Pendant quelques jours, les médias et l’establishment politique ont fait grand cas des aspects les plus évidents de la relation incestueuse entre le gouvernement et McKinsey: les honoraires de 35.000$ par jour, l’accès par la firme à des informations confidentielles, sa préparation de documents portant l’entête du gouvernement du Québec, son omission de dévoiler ses conflits d’intérêts au sujet du vaccin de Pfizer alors qu’elle travaille pour le géant pharmaceutique et le manque général de transparence du gouvernement Legault à l’égard du rôle de McKinsey.

Ces critiques étaient superficielles et hypocrites. Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, un homme proche des milieux antivaccins qui a appuyé le mouvement d’extrême droite du «convoi de la liberté», a critiqué Legault par la droite et réclamé une enquête publique indépendante en raison du conflit d’intérêts avec Pfizer, espérant sans doute en profiter pour remettre en doute les bienfaits des vaccins. La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, a appuyé cette demande d’enquête en insistant sur les sommes d’argent public payées à McKinsey, une critique peu crédible venant de cette multimillionnaire qui était chez McKinsey de 2007 à 2012 pour conseiller «les dirigeants de grandes sociétés». Gabriel Nadeau-Dubois de Québec solidaire, le parti de la pseudo-gauche au Québec, a critiqué l’intervention de McKinsey du point de vue du nationalisme québécois en déplorant que le gouvernement Legault ait écouté une «firme internationale» plutôt que «les Québécois sur le terrain».

Ces critiques visaient à camoufler l’élément le plus important contenu dans ces révélations, à savoir que les mandats confiés à McKinsey, alors que le Québec se trouvait au tout début de la pandémie, visaient à assurer le déconfinement et la réouverture de l’économie.

Le 2 avril 2020, la journée où le gouvernement Legault signe une entente avec McKinsey pour «mettre en place une méthodologie pour opérationnaliser les décisions entourant la levée des mesures de ralentissement de la pandémie COVID-19», les personnes âgées meurent par dizaines chaque jour dans les CHSLD et la province enregistre l’un des taux de mortalité les plus élevés au monde.

Le 22 avril, McKinsey communique un plan élaboré avec la Direction de la santé publique (DSP) qui présente la réouverture des écoles comme «envisageable» et recommande, afin de faire accepter cette idée meurtrière à la population, une stratégie de «communication spécifique au sujet des enfants et de la reprise scolaire et des garderies» qui utiliserait des «acteurs influents de la santé» comme des pédiatres. Plus tard le même jour, Legault annonce qu’un plan sera bientôt présenté pour la réouverture des écoles. Le lendemain (23 avril), l’Association des pédiatres du Québec publie une lettre ouverte déclarant que «le retour progressif à la vraie vie [c’est-à-dire la réouverture des écoles et des garderies] pour nos enfants n’est pas seulement souhaitable, il est nécessaire».

Les documents obtenus par Radio-Canada révèlent une panoplie d’autres exemples de convergences entre les «conseils» fournis par McKinsey dans le dos de la population et les «décisions» de la CAQ. Dès les toutes premières semaines de la pandémie, le cabinet-conseil orientait le gouvernement Legault vers la politique favorisée par le patronat et l’élite dirigeante: la réouverture de l’économie et la priorité absolue accordée aux profits sur les vies humaines. Cette politique criminelle sera brutalement appliquée par un gouvernement caquiste de droite qui se vante d’être favorable aux investisseurs.

McKinsey a joué un rôle clé dans la gestion de la pandémie par un grand nombre de gouvernements occidentaux, que ce soit en Europe (Allemagne, France et Grande-Bretagne), aux États-Unis où McKinsey a conseillé le gouvernement fédéral ainsi que de nombreux États et grandes villes, au Canada (Québec et Ontario) ou au Mexique. Il ne fait aucun doute qu’il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg et que les relations entre McKinsey et d’autres gouvernements à travers le monde sont gardées secrètes.

Dans plusieurs cas, des pratiques douteuses ou carrément illégales ont été mises à nu – notamment en Ontario et en France – mais au-delà des relents nauséabonds de corruption et de fraude dans chaque relation prise individuellement, leur point commun est la mise en place de la même politique meurtrière des profits avant les vies.

McKinsey a également publié tout au long de la pandémie des rapports visant à présenter la réouverture précipitée de l’économie et le refus d’éliminer le virus comme raisonnables et même scientifiques. Le document: «De pandémique à endémique: comment le monde peut apprendre à vivre avec la COVID-19» semait en novembre 2021 l’idée que le coût des mesures sanitaires nécessaires pour arrêter la propagation de la maladie était trop élevé, que «la plupart des sociétés […] devront apprendre à vivre avec la COVID-19», laquelle doit être acceptée comme «un élément permanent du paysage des maladies infectieuses, ou endémiques, comme l’est aujourd’hui la tuberculose».

Dans un autre rapport de juin 2022 intitulé «Quand la pandémie de COVID-19 va-t-elle prendre fin?», McKinsey tente de donner des allures crédibles aux mensonges éhontés de la classe dirigeante, notamment que le virus est devenu «endémique», que les nouveaux variants sont «bénins» et que la maladie est devenue moins mortelle et pourra être contenue par une stratégie basée uniquement sur les vaccins et les autres médicaments tels que le Paxlovid.

En s’insérant auprès des gouvernements pour leur dicter la politique pandémique voulue par le grand capital et en lui donnant un vernis de légitimité dans ses publications, McKinsey a servi de fer de lance à l’offensive de la classe dirigeante capitaliste visant à garder l’économie mondiale ouverte pendant la pandémie, peu importe le coût en vies humaines.

Le crime principal de McKinsey n’est pas d’avoir préconisé l’utilisation de vaccins malgré un conflit d’intérêts ou d’avoir facturé des honoraires de 35.000$ par jour. C’est d’avoir travaillé intimement avec le gouvernement du Québec et d’autres gouvernements à travers le monde pour rejeter une politique d’élimination de la COVID basée sur la science en écartant les mesures strictes d’hygiène, de distanciation sociale et de confinement qui auraient pu sauver des millions de vies.

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