Les États-Unis s’entraînent à larguer des bombes nucléaires en Europe

Lundi, l’alliance militaire de l’OTAN organisera un exercice d’entraînement, baptisé «Steadfast Noon». Au cours de l’exercice, des bombardiers américains B-52 et des chasseurs F-16 simuleront le largage de bombes atomiques au-dessus de l’Europe, dans un contexte d’aggravation du face-à-face nucléaire avec la Russie.

Cet exercice d’entraînement intervient dix jours seulement après que le président américain Joe Biden a mis en garde contre une «apocalypse» nucléaire, affirmant que le risque de guerre nucléaire était le plus élevé depuis la crise des missiles de Cuba en 1962.

«C’est l’exercice qui permet de pratiquer la mission de frappe nucléaire de l’OTAN avec des avions à double capacité et des bombes nucléaires tactiques B61 que les États-Unis déploient en Europe», écrit Hans Kristensen de la Fédération des scientifiques américains.

Les avions s’entraîneront à larguer des bombes thermonucléaires «tactiques» B61, dont chacune est jusqu’à 20 fois plus puissante que l’arme qui a détruit Hiroshima pendant la Seconde Guerre mondiale, tuant 126.000 civils.

Un bombardier B-52 libère une bombe lors d’une opération d’entraînement. [Photo: US Department of Defense]

Si les exercices d’entraînement nucléaire sont généralement présentés comme de routine et ne menacent soit-disant aucun pays particulier, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a clairement indiqué que cette année l’exercice se voulait comme une menace pour la Russie.

Dans un discours qui a mentionné cinq fois la Russie, Stoltenberg a annoncé: «La semaine prochaine, l’OTAN tiendra son exercice de dissuasion prévu de longue date, Steadfast Noon». Et d’ajouter: «La Russie sait qu’aucun pays ne peut gagner une guerre nucléaire et qu’elle ne doit jamais être menée».

En 2019, les États-Unis avaient 150 ogives nucléaires 'tactiques' stationnées dans toute l'Europe, comme partie de l'arsenal nucléaire de l'OTAN ; notamment en Belgique, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie.

Dimanche, un jour avant l’exercice nucléaire prévu, la Chine a demandé à ses citoyens vivant en Ukraine d’évacuer le pays, invoquant la «grave situation de sécurité».

En juin, l’alliance de l’OTAN a publié un document où elle s’engageait à «fournir l’éventail complet des forces» nécessaires «pour des combats de haute intensité et multi-domaines contre des concurrents dotés d’armes nucléaires».

En annonçant l’exercice «Steadfast Noon», l’OTAN a déclaré que les vols d’entraînement comprenaient «14 pays et jusqu’à 60 aéronefs de différents types. Cela comprenait des avions de combat de quatrième et cinquième génération, des avions de surveillance et des avions ravitailleurs». L’Alliance ajouta que des bombardiers à long rayon d’action B-52 des États-Unis «décolleront de la base aérienne de Minot, dans le Dakota du Nord» pour participer à l’exercice.

Les vols auraient lieu «au-dessus de la Belgique, qui accueille l’exercice, ainsi que de la mer du Nord et du Royaume-Uni».

L’OTAN a ajouté qu’«on n’utiliserait aucune arme réelle», un soulagement car les armes utilisées dans l’exercice irradieraient plusieurs centaines de kilomètres carrés et disperseraient les retombées sur plusieurs pays.

Le 7 octobre, le président Joe Biden a déclaré que le monde risquait une «Apocalypse» nucléaire. Il a laissé entendre que l’escalade rapide de la guerre en Ukraine pourrait conduire à une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Russie.

«Nous n’avons pas été confrontés à la perspective d’une Apocalypse depuis Kennedy et la crise des missiles de Cuba», a-t-il déclaré.

Il ne pensait pas qu’il existât « quelque chose comme la capacité d’utiliser facilement une arme nucléaire tactique sans aboutir à l’Apocalypse».

En février, il avait prévenu que l’envoi d’armes offensives en Ukraine déclencherait une «Troisième Guerre mondiale». Depuis, les États-Unis ont envoyé à l’Ukraine des centaines de véhicules blindés, des systèmes avancés de missiles à longue portée et d’autres armes haut de gamme.

Dans un article publié la semaine dernière dans Politico, l'ancien directeur de la CIA Leon Panetta a écrit que les agences de renseignement américaines estimaient que les chances que la guerre en Ukraine dégénère en guerre nucléaire étaient de une sur quatre.

«Certains analystes du renseignement pensent désormais que la probabilité de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques en Ukraine est passée de 1 à 5 pour cent au début de la guerre à 20-25 pour cent aujourd’hui», écrit Panetta.

Vendredi, le Guardian a rapporté que les gouvernements élaboraient des plans pour éviter la «panique» si la guerre en Ukraine devait dégénérer en conflit nucléaire. «L’Occident fait des plans pour éviter la panique si la Russie utilisait une bombe nucléaire en Ukraine» était le titre de son article. Il citait un responsable anonyme qui disait que les gouvernements effectuaient «une planification prudente pour une gamme de scénarios possibles».

L’exercice nucléaire de l’OTAN doit avoir lieu pratiquement au même moment que l’exercice nucléaire «grom» de la Russie. Alors que l’OTAN annonce bruyamment ses exercices de bombardement nucléaire, aucune annonce similaire n’a été faite par la Russie.

Cela n’a toutefois pas empêché les responsables de l’OTAN de dénoncer avec force l’exercice russe – qui n’a pas encore été annoncé – comme une escalade provocatrice.

Un responsable américain anonyme a déclaré à Reuters: «Brandir des armes nucléaires pour contraindre les États-Unis et leurs alliés est irresponsable».

Il a ajouté: «Nous pensons que brandir le sabre nucléaire est imprudent et irresponsable. La Russie peut choisir de jouer ce jeu – mais nous ne le ferons pas». Ces propos furent tenus quelques jours avant que Washington ne prévoie d’envoyer des bombardiers en Europe pour s’entraîner à larguer des bombes nucléaires.

La semaine dernière, Josep Borrell, responsable de la politique étrangère de l’UE, a menacé d’«anéantir» l’armée russe si des armes nucléaires étaient utilisées en Ukraine, déclarant: «Toute attaque nucléaire contre l’Ukraine suscitera une réponse, non pas nucléaire, mais tellement puissante du côté militaire que l’armée russe sera anéantie».

Le 7 octobre, le jour même du commentaire de Biden sur l’Apocalypse nucléaire, le président ukrainien Volodymyr Zelensky appelait l’OTAN à effectuer des frappes préventives contre la Russie, lors d’une réunion d’un groupe de réflexion australien. Selon lui, il fallait empêcher la «possibilité que la Russie utilise des armes nucléaires».

«Que devrait faire l’OTAN? Éliminer la possibilité que la Russie utilise des armes nucléaires», a déclaré Zelensky. «Nous avons besoin de frappes préventives, afin qu’ils sachent ce qui leur arrivera s’ils utilisent des armes nucléaires, et non l’inverse».

Dans cette atmosphère surchauffée, l’exercice d’entraînement nucléaire dirigé par les États-Unis fait craindre la perspective d’une mauvais calcul majeur. Il est bien connu que l’exercice annuel ‘Able Archer’ de l’OTAN, durant la guerre froide, a failli déboucher sur une guerre nucléaire totale en 1983, lorsque les dirigeants de l’Union soviétique furent convaincus que les États-Unis allaient effectivement lancer une attaque nucléaire.

La nuit où le monde a failli disparaître - BBC REEL

Le Washington Post a fait remarquer que les équipages des bombardiers soviétiques «avaient reçu l’ordre de charger des bombes nucléaires sur un escadron d’avions dans chaque régiment. On a placé les avions en “état de préparation 3”, ce qui signifie une alerte de 30 minutes».

En février 2021, le bureau d’Histoire du Département d’État américain avait déclassifié une lettre du lieutenant-général Leonard H. Perroots indiquant clairement que les forces soviétiques avaient répondu au renforcement nucléaire américain en chargeant des ogives nucléaires sur leurs bombardiers et que si les États-Unis avaient répondu de la même manière, cela aurait pu déclencher une guerre nucléaire.

Après avoir rendu public le mémoire Perroots, le Département d’État l’avait ensuite retiré et un juge avait décidé qu’il devait être à nouveau classifié comme secret.

(Article paru d’abord en anglais le 17 octobre 2022)

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