France : «Révolution permanente» couvre la trahison de la grève des raffineries par la bureaucratie syndicale

Depuis le 27  septembre, les travailleurs des raffineries de TotalEnergies et d’ExxonMobil en France ont lancé des grèves qui réduisent considérablement l’approvisionnement en essence et en diesel des stations-service du pays. Pour réprimer la lutte, le gouvernement Macron a mené une double politique, de «dialogue social» avec les bureaucraties syndicales et de réquisition des grévistes pour les forcer à reprendre le travail.

Le 11  octobre, la première tentative du gouvernement pour mettre fin à la grève a consisté à conclure un accord au rabais avec les dirigeants de la CFDT (Confédération française démocratique du travail). On proposait aux travailleurs une augmentation de salaire de 5,5 pour cent ce qui, avec une inflation à 7  pour cent, représente une baisse réelle de salaire de 1,5  pour cent. Le lendemain, le gouvernement lançait ses premiers ordres de réquisition aux travailleurs des raffineries.

Des travailleurs en grève se rassemblent à l’entrée du dépôt pétrolier de TotalEnergies, jeudi  13  octobre 2022, près de Dunkerque, dans le nord de la France. [AP Photo/Michel Spingler] [AP Photo/Michel Spingler]

Comme le WSWS et le Parti de l’égalité socialiste (PES) l’ont souligné depuis le début de la grève, la question cruciale pour les grévistes est de briser l’emprise asphyxiante des bureaucraties syndicales sur leur lutte, en formant indépendamment d’elles leurs propres comités de la base. En effet, le dirigeant syndical stalinien de la CGT (Confédération générale du travail ), Philippe Martinez, est en communication constante avec le gouvernement depuis le début de la grève. Il s’efforce de conclure son propre accord pourri par le biais du «dialogue social» entre syndicats, patronat et gouvernement.

Le site web pseudo de gauche Révolution permanente (RP) par contre (publié en France par le ‘Courant Communiste Révolutionnaire’ moréniste – CCR) entretient des illusions sur les intentions de lutte des bureaucraties syndicales françaises. Si après l’accord contractuel au rabais signées par celles-ci, RP dénonce la CFDT et la CGE-CGC comme des «pseudo-syndicats» et s’insurgent contre la politique de «dialogue social» de Martinez, il sème des illusions sur la possibilité de faire pression sur les bureaucraties pour qu’elles mène une politique plus militante.

Après la réquisition des grévistes par Macron, le candidat de RP à l’élection présidentielle française de 2022, Anasse Kazib, a tweeté: «Les syndicats ne peuvent pas laisser des grévistes se faire soulever du piquet [de grève] comme cela». Il a exigé que la direction de la CGT «lance des appels à la grève dans tous les secteurs pour les salaires, les travailleurs répondront présents».

La direction de la CGT n’en a rien fait. Au contraire, Philippe Martinez a juste appelé à une seule «journée interprofessionnelle de mobilisation» le 18  octobre. Deux autres manifestations de ce type auront lieu le 27  octobre et le 10  novembre. Mais ces mobilisations ne préparent pas le terrain pour une lutte sociale plus large; elles servent simplement de soupape de pression pour que la base se défoule un peu, tandis que la bureaucratie engage le «dialogue social» avec le gouvernement et le patronat derrière le dos de la base.

RP a néanmoins fait la promotion de la manifestation du syndicat dans un article publié le 14  octobre, comme une véritable opportunité de développer la grève, en déclarant qu’«il est possible de construire la jonction le 18  octobre» pour une grève dans les « secteurs stratégique ».

Il faut bien sûr construire une telle jonction, mais avant tout entre les travailleurs au niveau international. Suggérer que cela se fera sous les auspices de la «journée de mobilisation» nationale de la CGT va à l’encontre des expériences faites par la classe ouvrière des trahisons par les syndicats sur toute une époque historique.

La «journée de mobilisation» coordonnée par la bureaucratie n’a évidemment rien fait pour développer la grève.

Après l’événement, RP a déclaré dans un article du 20  octobre: «Disons-le, la mobilisation du 18 octobre était en demi-teinte » et« très en deçà des attentes et de l'enthousiasme suscité par la grève des raffineurs ». Il y critique «l’absence de préparation sérieuse d’un combat “tous ensemble” du côté des directions syndicales ».

Mais quelles leçons les travailleurs devaient-ils en tirer? Selon RP, les travailleurs doivent organiser des «assemblées générales pour échanger entre collègues» et proposer «un programme et une stratégie à la hauteur» pour faire combattre les bureaucraties syndicales. Or, des assemblées générales ont déjà lieu parmi les travailleurs, y compris sur les lieux de travail où on a stoppé la grève prématurément. Mais ces assemblées sont restées, et c’est crucial, sous le contrôle de la bureaucratie de la CGT. L’extension de ces assemblées sans lutter pour une rupture d’avec la bureaucratie syndicale constitue une impasse pour la classe ouvrière.

Quant à la stratégie nécessaire, le même article poursuit en suggérant que la base a déjà réussi à faire pression sur la direction du syndicat pour qu’elle se batte contre Macron. RP déclare que «la grève des raffineurs a obligé la CGT, engagée dans une politique de concertation avec le gouvernement sur les retraites et l’assurance-chômage, à rompre les négociations».

Cette fausse perspective a été dévoilée quelques heures plus tard, lorsqu’on a stoppé les grèves des raffineries de La Mède et de Donges et celle du dépôt de carburant des Flandres. Comment peut-on reprocher aux travailleurs de ne pas être à la hauteur des «attentes et de l’enthousiasme» attendus par RP, alors que de telles ‘journées de mobilisation’ débouchent invariablement sur de nouvelles tromperies et trahisons de la part de la bureaucratie?

La lutte des travailleurs des raffineries contre l’inflation les amène à lutter contre ce qui l’alimente: la guerre provoquée par l’OTAN en Ukraine et le sauvetage massif des banques durant la pandémie. Mais la CGT, la CDFT et les autres syndicats soutiennent les efforts de l’OTAN pour intensifier la guerre et ils ont approuvé les renflouements à hauteur de milliers de milliards d’euros remis à la grande entreprise au printemps  2020.

En France, le financement des salaires et des privilèges des bureaucrates syndicaux est directement lié à la taille des bénéfices réalisés par les grandes entreprises. Liée financièrement à l’élite dirigeante et à sa politique de guerre, la bureaucratie ne peut pas être «poussée» vers la gauche. Les travailleurs doivent opérer une rupture politique et organisationnelle implacable d’avec elle.

Les travailleurs n’ont rien à négocier avec Macron ni rien a gagner de la politique de «dialogue social» de la bureaucratie syndicale qui ne mènera qu’à des réductions de salaire et à des attaques plus larges contre le droit de grève. Un fossé de classe sépare les travailleurs des raffineries qui se rebellent contre l’inflation et les bureaucrates de la CGT dont le but premier est de négocier un accord avec le gouvernement et le patronat pour conserver ses privilèges.

En dépit de ses critiques à l’encontre de la direction syndicale, le site RP reste hostile à une mobilisation indépendante de la classe ouvrière. Ses efforts pour empêcher une révolte de la base contre les bureaucraties syndicales vient de ce que sa base se trouve parmi ces mêmes éléments. Certains des membres dirigeants de RP sont des responsables inférieurs de la CGT qui cherchent à améliorer leur position au sein de la bureaucratie et à obtenir les privilèges qui accompagnent ce genre de postes.

Contre les efforts de la pseudo-gauche pour maintenir les travailleurs liés aux bureaucraties syndicales réactionnaires, le PES appelle les travailleurs des raffineries et de toutes les industries en France à former des comités indépendants de la base sur leurs lieux de travail. Ceci, afin d’organiser démocratiquement leur lutte en dehors du contrôle des bureaucrates pro-patronat. Les travailleurs et les jeunes qui soutiennent cette perspective peuvent contacter le PES aujourd’hui.

(Article paru d’abord en anglais le 22  octobre 2022)

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