Vendredi matin, 230 réfugiés secourus par l’Ocean Viking, un bateau ONG de sauvetage de réfugiés exploité par l’organisation SOS Méditerranée, ont été autorisés à débarquer à Toulon, sur la côte sud de la France. Le bateau n’a été autorisé à accoster qu’en raison de la détérioration rapide de la santé de ses passagers, dont 55 enfants, bloqués en mer depuis plus de trois semaines. Il s’agit du plus long blocage depuis que SOS Méditerranée a commencé à secourir les réfugiés en 2015.
Le navire a amarré en France après que le gouvernement italien n’a pas autorisé le navire à accoster, en violation du droit international. Les actions du gouvernement Meloni ont déclenché une crise diplomatique majeure entre la France et l’Italie, toutes deux membres de l’UE et de l’OTAN, mettant en pièces l’illusion de l’unité de l’Union européenne (UE) face à la crise économique et à la guerre OTAN-Russie en Ukraine.
Selon SOS Méditerranée, l’Ocean Viking a secouru 234 personnes en six opérations entre le 22 et le 26 octobre. Le bateau s’est vu illégalement refuser l’entrée dans plusieurs ports européens et, le 10 novembre, les passagers avaient besoin de soins urgents. Ce matin-là, 3 passagers gravement malades ont été évacués par hélicoptère vers Bastia avec un proche. Aux premières heures du 11 novembre, les 230 restants ont été évacués vers Toulon.
Actuellement, trois autres navires de sauvetage SOS Méditerranée, avec environ 270 réfugiés à bord, se voient toujours refuser l’autorisation d’accoster en Italie et en France.
Après l’évacuation de l’Ocean Viking, le directeur des opérations de SOS Méditerranée, Xavier Lauth, a déclaré que la situation résultait «d’un échec dramatique de tous les États européens, qui ont violé le droit maritime d’une manière sans précédent».
Au cours de l’épreuve de trois semaines d’Ocean Viking, 43 demandes ont été envoyées au gouvernement italien pour accoster, qui ont toutes été rejetées en violation du droit international. Avant vendredi matin, le propre refus du gouvernement français d’autoriser l’Ocean Viking à accoster immédiatement était illégal selon le droit maritime. Paris continue de le faire à l’égard d’autres navires de sauvetage bloqués en Méditerranée.
Une crise diplomatique majeure a éclaté lorsque Paris et Rome ont violé leurs obligations en vertu du droit international, tentant d’obliger l’autre d’accepter les réfugiés. Le gouvernement français a suspendu sa participation aux accords de l’UE sur les réfugiés.
En représailles aux actions du gouvernement italien, le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré: «L’Italie se met en dehors de la solidarité européenne et de ses engagements», ayant des «conséquences extrêmement fortes sur la relation bilatérale [franco-italienne] et sur la relation entre l’Europe et le gouvernement italien.» Le gouvernement français s’est retiré d’un accord d’accueil de 3500 migrants italiens avant l’été 2023 et a renforcé les contrôles à sa frontière italienne.
Meloni a qualifié la réponse française d’«agressive» et d’«injustifiée», tout en présentant l’amarrage du navire en France comme une victoire majeure pour la base d’extrême droite de son gouvernement. Samedi, le gouvernement Meloni a intensifié sa position, publiant une déclaration avec la Grèce, Malte et Chypre appelant à une discussion pour réécrire les accords existants de l’UE sur les réfugiés afin de limiter le nombre de réfugiés qu’ils accepteraient.
En Italie, Matteo Salvini, vice-premier ministre et secrétaire du parti néo-fasciste Lega, s’est réjoui que la politique de son gouvernement signifie que «les vents ont changé».
En France, la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen a déclaré: «Notre pays par la voix de son dirigeant a cédé. C’est donc le début, je pense, d’une série de bateaux d’ONG»,
En réalité, le gouvernement français, comme ses alliés de l’UE, refuse toujours d’accueillir des centaines de réfugiés actuellement à la dérive en mer à bord des bateaux de sauvetage, tandis que la politique de la forteresse Europe de l’UE continue de faire des dizaines de morts chaque mois.
Les actions de Meloni sont considérées à Paris comme un grave affront à Macron, qui s’était précipité pour rencontrer et féliciter la première ministre d’extrême droite le lendemain de son entrée en fonction, facilitant ainsi la légitimation des héritiers politiques de Benito Mussolini et assurant le soutien continu de Rome à la guerre contre la Russie en Ukraine.
De même, son gouvernement a violé l’accord de partage des réfugiés de l’UE signé par l’Italie cet été, suscitant des inquiétudes à Bruxelles sur ses précédentes assurances de son engagement envers l’UE et son soutien à la guerre en Ukraine.
Les récriminations diplomatiques suscitées par le scandale de l’Ocean Viking ont mis en pièces l’apparence d’unité transeuropéenne en pleine crise économique qui s’aggrave et de la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Dans son éditorial de samedi, le quotidien français Le Monde a qualifié l’incident de «catastrophe européenne». Il a averti que la question de l’immigration et la réponse des partis d’extrême droite à travers le continent «menacent l’avenir de l’Union [européenne] elle-même».
Les antagonismes franco-italiens se sont intensifiés ces dernières années, notamment en raison du soutien des deux pays à des factions opposées dans la guerre civile libyenne déclenchée par la guerre de l’OTAN en Libye en 2011. En 2019, la France a rappelé son ambassadeur en Italie après une série de différends politiques. Trois ans plus tard, la rupture unilatérale du gouvernement Meloni d’avec les accords de l’UE signale une nouvelle intensification des rivalités inter-impérialistes au sein de l’UE.
En autorisant le débarquement du navire, le gouvernement Macron a tenté de présenter cyniquement sa réponse comme une preuve de sa préoccupation «humanitaire», par opposition au mépris total du gouvernement Meloni pour la vie humaine. S’exprimant sur BFMTV dimanche matin, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a hypocritement affirmé: «[notre] réponse a été humanitaire», ajoutant: «La France ne serait plus la France si elle n’agissait pas comme elle l’a fait.»
En fait, Macron n’a accueilli l’Ocean Viking que pour éviter l’indignation populaire face à la perspective de la mort criminelle de 234 réfugiés secourus à deux pas des côtes françaises. Macron poursuit la politique de la Forteresse Europe anti-immigrée de l’UE, ayant causé des milliers de morts au cours de sa présidence.
Selon SOS Méditerranée, depuis le début de ses opérations en 2015, 20.182 réfugiés se sont noyés en Méditerranée, dont 1337 depuis le début de 2022.
De plus, sous Macron, les demandeurs d’asile qui réussissent à rejoindre la France sont contraints de subir des conditions épouvantables. Des milliers de personnes vivent dans des campements de fortune à la périphérie des grandes villes sans accès adéquat à des installations d’hygiène et à la nourriture. En 2020, le gouvernement français a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour les «conditions de vie inhumaines et dégradantes» des demandeurs d’asile «vivant dans la rue sans aucune ressource».
Dans cette veine, le gouvernement Macron a utilisé un vide juridique de dernière minute pour priver les réfugiés arrivant sur l’Ocean Viking de tous leurs droits juridiques. Dans les heures qui ont précédé l’accostage du bateau, deux bandes de terre à Toulon et à proximité de Hyères ont été arbitrairement déclarées «zones d’attente internationales».
Darmanin a déclaré que les rescapés «ne seront donc pas techniquement sur le sol français». Cette escroquerie juridique signifie que ces réfugiés ne peuvent pas demander l’asile en France et peuvent donc être expulsés sans accès un recours juridique. Selon Darmanin, la France a accepté d’accepter seulement 80 des passagers; le reste sera dispersé dans 11 autres États de l’UE.
En réponse à la crise du capitalisme, la classe dirigeante européenne promeut délibérément le nationalisme, le militarisme et la haine anti-immigrée pour maintenir son emprise sur le pouvoir. Cela accroît l’importance du néofascisme dans la vie politique européenne et crée des divisions ouvertes au sein de l’UE.
Celles-ci devraient s’aggraver dans la période à venir, alors que le réchauffement climatique et les guerres en Ukraine et au-delà entraînent une aggravation des conditions sociales et économiques à l’échelle internationale, augmentant le nombre de réfugiés qui tentent le périlleux voyage vers l’Europe.
La force qui peut être mobilisée pour défendre les réfugiés est la classe ouvrière européenne. Au milieu de la crise énergétique européenne, de la guerre et de l’inflation galopante, les gouvernements réactionnaires de l’UE attisent tous la haine ethnique contre les réfugiés. Tant que les politiques meurtrières de forteresse Europe resteront en place, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant la guerre et la pauvreté continueront de se noyer en Méditerranée chaque année.
(Article paru en anglais le 14 novembre 2022)