This England: un drame sur la pandémie au Royaume-Uni montrant de grands défauts

Ecrit par Michael Winterbottom et Kieron Quirke

La pandémie de COVID-19 est un crime social aux proportions pratiquement sans précédent. La réponse de la classe dirigeante à une crise sanitaire globale fut une politique meurtrière d’infection massive délibérée. Au Royaume-Uni, elle se solde par plus de 200 000 morts jusqu’ici et environ 2 millions de personnes, dont 100 000 enfants, atteintes de COVID long.

A ce jour, il n’existe que très peu d’interprétations artistiques de la pandémie, et les réponses culturelles ont été en partie réprimées. Des dramaturges qui ont pu s’imposer ont produit quelques œuvres fortes. Help par Jack Thorne a mis en évidence la culpabilité des décisions politiques dans le nombre croissant des morts.

This England [Photo: Sky UK Ltd] [Photo: Sky UK Ltd]

C’était donc une initiative prometteuse où un réalisateur important, Michael Winterbottom, avait engagé un acteur de qualité, Kenneth Branagh, pour une prestigieuse série dramatique en six parties, pour un diffuseur de premier plan. Le titre shakespearien suggère de la part de Winterbottom et son co-auteur Kieron Quirke une pièce sur l’état de la nation. Mais sa complaisance intellectuelle, politique et artistique en a fait une œuvre profondément compromise et artistiquement décevante.

This England [Cette Angleterre – This Sceptred Isle aux Etats-Unis] présente sept heures de mise en scène d’événements documentés, entrecoupées de séquences documentaires centrées essentiellement sur des intrigues et disputes au sein du gouvernement et de ses agences officielles. Le tout est approché de manière superficielle, comme des réactions à une urgence sanitaire allant s’aggravant – « simplement pour tenter de montrer ce qui s’est passé », selon Winterbottom.

Les auteurs paraissent débordés, mais le problème est plus profond, comme Winterbottom l’a expliqué dans quelques commentaires étonnants avant la diffusion : « Les gens commettent des erreurs, mais à l’origine, nous avons assumé que tous réagissaient de la manière qu’ils estimaient la meilleure… après coup, les gens peuvent réfléchir par eux-mêmes s’ils pensent avoir eu raison ou tort. »

Boris Johnson (Kenneth Branagh) [Photo: Sky UK Ltd] [Photo: Sky UK Ltd]

Qui pourrait sérieusement adopter une telle approche affirmant une bonne foi universelle ? Une attitude d’impartialité équivaut à prendre pour argent comptant précisément les mensonges utilisés par le gouvernement pour justifier une politique qui a tué jusqu’ici des centaines de milliers de gens ; et qui continue de laisser une maladie dévastatrice sévir dans la population. Cela équivaut à accorder du crédit aux partisans d’une politique discréditée de l’« immunité collective » et à des mensonges gouvernementaux assurant qu’on « suivait la science » alors qu’on préservait les profits des trusts aux dépens directs de la vie et de la santé de millions de gens.

Cette politique délibérée d’infection massive était un crime social monstrueux. Traiter ses auteurs comme s’ils avaient agi avec les meilleures intentions revient à transformer la complicité en simple naïveté. Rien de bon, ni intellectuellement ni artistiquement, ne peut naître d’un tel aveuglement intentionnel.

Par « suivre la science », le gouvernement entendait son contraire. Il entendait l’« immunité collective », rejetant l’idée même de l’éradication du virus. Le Chief medical officer (médecin en chef) Sir Chris Whitty (Jimmy Livingstone), l’un des porte-paroles centraux de la politique gouvernementale, dit ici : « On ne peut pas arrêter le virus ».

Les architectes politiques d’une politique d’hécatombe sont tous plus ou moins blanchis dans la série. Le contenu dramatique se tarit après la révélation de la rupture des règles de confinement par Dominic Cummings (Simon Paisley Day), qui a finalement mené à son éviction. A part l’infraction de Cummings, d’autres exemples (la démission du secrétaire à la Santé Matt Hancock, l’amende infligée au premier ministre Boris Johnson) sont jetés avec désinvolture au cours d’un raccourci effréné d’événements ultérieurs qui conclut le dernier épisode.

Ce résumé succinct apporte du soutien au mensonge de Johnson que nous « avons passé le sommet de cette maladie ». This England concluten se réjouissant de l’enquêtepublique officielle qui sera menée en 2023 ; comme si la classe dirigeante britannique n’avait jamais utilisé de telles enquêtes pour justifier ses actions criminelles et pour dérouter tout règlement de compte politique avec elle.

Le commentaire attribué à Johnson « plus de putain de confinement – laissons les cadavres s’empiler par milliers ! » et la question technique formulée par Dominic Cummings « qui n’allons-nous pas sauver ? » n’apparaissent pas. Leur inclusion révélerait une idéologie homicide explicite.

Matt Hancock (Andrew Buchan) [Photo: Sky UK Ltd] [Photo: Sky UK Ltd]

Il y a pire encore. Winterbottom appela la première vague de la pandémie « une époque qui vit le pays s’unir pour combattre un ennemi invisible », disant que la série « ferait la chronique des efforts déployés par les scientifiques, médecins, employés des maisons de soins et décideurs afin de nous protéger du virus ».

C’est là encore un blanchiment des actions criminelles de la classe dirigeante. Il y a plus de 200 000 arguments pour montrer que le pays ne s’est pas « uni ». C’est l’équivalent scénique des “applaudissements pour les soignants” – un geste frauduleux pour dissimuler la politique même qui les exposait au risque.

Les travailleurs de la santé, de la production alimentaire et des transports ont été déclarés « essentiels » et forcés d’aller dans des lieux de travail dangereux, exposés aux plus grands risques, sur les ordres des « décideurs ».

Les quelques gestes de protection de la santé et d’atténuation que le gouvernement a été forcé de faire, étaient une réponse à la colère populaire déchaînée face à la politique continue d’infection massive menée par l’élite dirigeante. Même lorsqu’il fut forcé de prendre des mesures restrictives tardives, auxquelles il était opposé, Johnson lança l’idée que le Royaume-Uni pouvait « l’encaisser sans broncher ». Il s’empressa de dire que le pire était passé pour justifier une réouverture prématurée de l’économie.

Le gouvernement retarda les confinements afin de ne pas perturber l’accumulation de profits par les trusts, en permettant entre autres la tenue de nombreux événements sportifs super-propagateurs et accélérant de ce fait la circulation du virus. Ensuite, il relâcha ou abandonna les restrictions le plus tôt possible, entre autres en rouvrant les écoles pour faire retourner les parents au travail, ce qui aboutit à une deuxième vague mortelle d’infections.

Dans cette vision de la nation, il n’existe pas de classes. Le titre choisi par Winterbottom est tiré du Richard II de Shakespeare. Il commence comme chant de louange, avant que l’orateur, Jean de Gand, se fasse critique : « Cette Angleterre qui avait coutume d’asservir les autres, / a consommé honteusement sa propre servitude ! »

Cette Angleterre finit par arriver à ces lignes, mais un mythe d’unité nationale sans classes n’a rien à voir avec la réalité. Sa promotion exige de Winterbottom et Quirke de se faire encore plus superficiels et plus conciliants envers l’élite régnante. C’est là une pièce pour l’establishment.

Nonobstant toutes les scènes de maisons de soins et d’hôpitaux, This England s’intéresse davantage aux disputes au sein du gouvernement. Son traitement des expériences personnelles du COVID vécues par Johnson et Cummings est généralement compatissant.

Une plus grande attention est consacrée à l’hospitalisation de Johnson qu’aux horreurs vécues par les résidents des maisons de soins et leurs proches. Johnson fut extrêmement malade, mais This England n’accorde aucune place à l’utilisation qu’il en fit par la suite pour justifier davantage sa politique eugénique d’« immunité collective ».

L’eugénisme n’est abordé que lorsque le conseiller de Cummings, Andrew Sabisky, fut expulsé face à l’indignation publique quant à son racisme. Johnson crie furieusement que l’eugénisme n’est pas beau à voir. Le spectateur pourrait croire qu’il s’opposait à cette politique et pas seulement au fait qu’elle soit démasquée. Mais cette politique était à la base de toute sa réponse à la pandémie.

L'imitation [de Johnson] réalisée par Branagh et son maquillage prothétique attira une grande partie de la réaction initiale à la série, mais cela ne fait que montrer son refus général d’aller plus loin. Johnson est un opérateur politique droitier impitoyable. Le personnage balourd qu’il incarne est une astuce populiste cynique. Il est remis en cause seulement une fois, lorsque nous voyons une brève parade de ses commentaires journalistiques les plus infâmes dans des rêves hallucinatoires provoqués par le COVID.

Par leur titre, Winterbottom et Quirke se réfèrent à Shakespeare. Mais qu’est-ce que Shakespeare aurait fait de Johnson ? Contrairement à la confiance de Winterbottom dans les ‘meilleures intentions’, ses pièces débordent de caractères dont l’agenda diffère des apparences : « et plusieurs qui nous sourient renferment, je le crains bien, dans leurs cœurs des millions de projets perfides. » (Jules César).

Il ne se serait pas laissé avoir par l’image publique soigneusement cultivée de Johnson, lui qui fit dire à son Richard III : « Et ainsi j’habille ma vilenie toute nue / avec de vieux centons volés au livre sacré, / et j’ai l’air d’un saint, quand je fais au mieux le diable ! »

Le Johnson de Winterbottom et Quirke n’est qu’une plate victime de son propre populisme et non pas le criminel politique que les familles endeuillées des victimes du COVID veulent voir traduit en justice.

La dernière femme de Johnson, Carrie Symonds (Ophelia Lovibond) – une ex-non-entité politique du bureau de presse des Tories – est présentée également sans recul critique comme une conseillère morale de bon sens, qui recommande de se désolidariser d’un Cummings vilipendé.

Carrie Johnson (Ophelia Lovibond) et Boris Johnson (Kenneth Branagh) [Photo: Sky UK Ltd] [Photo: Sky UK Ltd]

Cela est grotesque. Johnson a engagé Cummings comme idéologue d’un agenda commun de droite. Winterbottom présente Cummings comme jouant un rôle moteur, avec une détermination à démanteler le gouvernement. Il suggère des divergences politiques entre les deux politiciens. En effet, à un certain moment, Johnson demande si la faute entière revient vraiment au grand gouvernement : « Pas nous? Nous avons échoué. Nous avons merdé. »

La séparation n’était pas basée à l’origine sur un quelconque désaccord politique. Johnson lâcha Cummings pour sauver sa peau. Ce fut un divorce malpropre, pas une scission idéologique.

Un facteur de la désorientation de Winterbottom est sans aucun doute le rôle joué par le Labour Party [travaillistes] qui, de bout en bout, a loyalement été au diapason de la politique gouvernementale en matière de COVID. Jeremy Corbyn, l’ancien chef de file du Labour, admit qu’il avait gardé le silence sur le fait que des conseillers gouvernementaux l’avaient sermonné au sujet de l’« immunité collective ». Son successeur blairiste, Sir Keir Starmer, demanda que les écoles restent ouvertes durant le deuxième confinement, « sans discussion ». Tous deux proclamèrent une politique d’unité nationale et la fin de « l’opposition pour l’opposition ».

L’une des rares occasions où This England montre un Johnson vraiment furieux, est après un interrogatoire parlementaire serré par Starmer concernant la rupture des règles de confinement !

Si Winterbottom et Quirke montrent un méchant particulier, c’est le Brexit. La décision du gouvernement d’abandonner des recommandations de crise issues d’un exercice modélisé de pandémie antérieur est présentée comme résultant du chaos du Brexit, plutôt que d’une politique brutale délibérée. Bien qu’il mentionne le nombre de victimes en Italie et en Espagne, Winterbottom ne peut regarder honnêtement la situation dans toute l’Europe. La même politique y avait les mêmes effets. Les classes dirigeantes du monde furent guidées par une politique commune qui a entraîné la mort de millions de gens.

Que faudrait-il pour que Winterbottom enregistre ces faits ? Une simple abondance de détails ne serait en tout cas guère éclairante. Toute tentative d’aborder la pandémie – et en fait, toute crise sociale majeure – sur le plan de l’art est vouée à l’échec si elle omet d’explorer les intérêts de classe opposés qui la structurent et qui, en fin de compte, en détermineront l’issue.

(Article original paru en anglais le 7 novembre 2022)

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