Élections locales à Taïwan: un coup dur pour le DPP au pouvoir et pour Washington

Les élections locales du 26 novembre à Taïwan se sont soldées par une défaite importante pour le parti au pouvoir DPP (Parti démocratique progressiste). Le Kuomintang (KMT), parti d’opposition, a remporté la majorité des sièges des municipalités, villes et comtés de l’île.

Wayne Chiang, candidat au poste de maire de la ville de Taipei pour le Kuomintang taïwanais, célèbre sa victoire avec des partisans à Taipei, Taiwan, samedi  26  novembre 2022. [AP Photo/Chiang Ying-ying] [AP Photo/Chiang Ying-ying]

Le KMT a pris le contrôle de 13 des 22  sièges de gouvernement local, y compris dans des villes clés comme Taipei et Taoyuan. Chiang Wan-an du KMT, l’arrière-petit-fils du dictateur Chiang Kai-shek, a notamment battu Chen Shih-chung du DPP pour la mairie de Taipei. Chen a été ministre de la Santé pendant une grande partie de la pandémie de COVID-19. La victoire de Chiang ramène le KMT au pouvoir dans son bastion traditionnel, actuellement détenu par Ko Wen-je du Parti du peuple de Taiwan (TPP), un parti mineur.

Le DPP a perdu deux sièges, ramenant son total à cinq. Les indépendants nominaux en ont remporté deux autres, tandis que le TPP a remporté la ville de Hsinchu. Une élection spéciale aura lieu le 18  décembre pour la ville de Chiayi, que le KMT devrait également remporter, portant le total de ce parti à 14, soit le même nombre qu’avant les élections.

Ces résultats sont moins un signe de soutien au KMT que l’expression d’un mécontentement vis-à-vis de tout l’establishment politique. La participation électorale a été faible par rapport aux élections locales passées ; environ 60  pour cent des électeurs ont voté, contre 66,11  pour cent en 2018. Le DPP et le KMT sont tous deux profondément impopulaires et n’ont que le soutien de 31 et 14  pour cent des taïwanais respectivement.

Les médias américains voient ces résultats avec appréhension et s’inquiètent de leur impact sur la confrontation de Washington avec Pékin au sujet de Taïwan. Le gouvernement Biden, poursuivant l’action de Trump, a renforcé de manière provocante les liens avec Taïwan, sapant ainsi la politique d’«une seule Chine» par laquelle les États-Unis reconnaissaient de fait l’île comme une partie de la Chine et Pékin comme son gouvernement légitime. Ce faisant, il a encouragé le parti nationaliste taïwanais DPP à s’orienter vers l’indépendance, une démarche dont Pékin a prévenu qu’elle s’y opposerait par la force.

Dans leurs efforts pour pousser la Chine à une guerre contre Taïwan, les États-Unis comptaient sur le soutien de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen et de son DPP. Le résultat des élections est donc un coup dur pour les États-Unis, qui déclarent régulièrement que Tsai et le DPP sont les représentants populaires de la «démocratie» taïwanaise qui résistent à «l’agression» de la Chine continentale.

Tsai a quant à elle tenté de faire des élections locales un référendum sur la façon dont son gouvernement gère les relations avec Pékin. Dans un défi à peine déguisé à la politique d’une seule Chine, elle a déclaré dans un discours de campagne le 12  novembre: «Je veux dire à tout le monde que l’existence de Taïwan et l’insistance du peuple taïwanais sur la liberté et la démocratie ne sont une provocation pour personne», ajoutant, «en tant que présidente, ma vocation est de tout mettre en œuvre pour que Taïwan reste le Taïwan du peuple taïwanais».

Si les questions économiques et sociales ont été des facteurs majeurs dans cette élection, ses résultats reflètent également les craintes réelles de voir Taïwan transformée en pion américain dans une guerre avec la Chine. Le Wall Street Journal cite ainsi Nina Chen, une habitante de Taipei de 50  ans ayant voté pour Chiang Wan-an: «Ce qui m’importe le plus, c’est la paix de l’autre côté du détroit, car nos vies et nos biens sont déjà menacés».

Après l’élection, la présidente Tsai a démissionné de la tête du DPP, un geste courant et largement symbolique pour donner l’impression que quelqu’un «assume la responsabilité» des mauvais résultats. Tsai reste présidente jusqu’à la fin de son second mandat en 2024.

Les médias américains ont tenté de minimiser l’importance de ce vote, soulignant que les mauvais sondages pour le KMT indiquaient qu’il était peu probable qu’il évince le DPP aux élections présidentielles de 2024. Le KMT avait instauré à Taïwan une dictature soutenue par les États-Unis après avoir dû fuir la Chine durant la révolution chinoise de 1949 mais depuis le rétablissement du capitalisme en Chine il cherche à resserrer ses liens économiques avec le continent.

Le Wall Street Journal a attribué les résultats au mauvais temps, à l’épuisement électoral suite aux récents référendums et aux restrictions dues à la pandémie. Son article cite ainsi Wen-ti Sung, politologue du Programme d’études taïwanaises de l’Université nationale australienne: «Nous ne pouvons pas en déduire que c’est la politique chinoise du DPP qui a perdu».

Il est certain que d’autres questions locales ont joué un rôle important dans cette élection. La décision de Taipei de permettre au COVID-19 de sévir dans la population a eu un impact. Rien que la semaine dernière, on a recensé 102.576  nouveaux cas, mettant Taïwan dans les dix premiers pays du monde pour le nombre de cas par million d’habitants. Le pays a aussi le deuxième plus grand nombre de décès par million d’habitants. Le nombre total de cas s’élève à 8.313.366 et le nombre de décès à 14.334, la plupart depuis avril.

Le professeur Chan Chang-chuan de l’Université nationale de Taïwan, un expert sanitaire, a critiqué la gestion de la pandémie par Taipei dans un message publié sur Facebook lundi: «Un cas de COVID, qu’il se solde par une guérison, une hospitalisation ou un décès, est une expérience très désagréable de la maladie qui plonge le malade et sa famille dans une anxiété, une peur et des désagréments permanents pendant plus d’un mois. Il est donc inévitable que l’expérience difficile du COVID affecte le comportement électoral de nombreuses personnes».

Le chômage des jeunes reste élevé, avec 12,27  pour cent des 20 à 24  ans officiellement sans emploi. Les salaires stagnent depuis plus de deux décennies, un jeune diplômé de l’université gagne environ 1.000  dollars par mois aujourd’hui, contre 975  dollars en 2000. Chez les moins de 40  ans, 65  pour cent sont endettés.

En même temps, si les prix à la consommation n’ont augmenté que de 3,1  pour cent cette année, ils ont connu une forte hausse pour les denrées alimentaires et le carburant, en particulier au printemps et en été. En mai, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 7,4  pour cent et en octobre de 5,17  pour cent.

La classe dirigeante taïwanaise a cependant profité de la pandémie. La croissance économique a été de 6,28  pour cent en 2021, son taux le plus élevé depuis 2010, et de 3,11 pour cent en 2020. Ces conditions sociales montrent la forte division entre les classes sociales à Taïwan.

Il n’y a aucun doute que la détérioration des conditions sociales et économiques auxquelles sont confrontés les travailleurs a influencé le vote de beaucoup. Mais les électeurs taïwanais ont toujours été très conscients de l’état des rapport avec la Chine continentale. Il avaient à l’esprit au moment de voter la perspective d’être plongés – comme ce fut le cas pour le peuple ukrainien – dans une guerre par procuration des États-Unis avec la Chine.

(Article paru d’abord en anglais le 1er  décembre 2022)

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