Un rapport de l’Organisation internationale du travail révèle une baisse encore plus marquée des salaires réels

Un rapport publié par l’Organisation internationale du travail (OIT) a fait voler en éclats les affirmations des gouvernements capitalistes et des banquiers centraux du monde entier que les hausses de taux d’intérêt – qui menacent aujourd’hui d’entraîner des pans entiers de l’économie mondiale dans la récession – sont nécessaires pour «lutter contre l’inflation» en réprimant les revendications salariales.

Rapport mondial sur les salaires 2022-23 de l’OIT [Photo: Organisation internationale du travail] [Photo: International Labour Organization]

Le Rapport mondial sur les salaires de l’OIT pour 2022-23, publié à la fin du mois dernier, a révélé que les salaires réels sont déjà amputés de montants toujours plus importants alors que les prix augmentent au rythme le plus rapide depuis quatre décennies.

Mais face à toutes ces preuves, les gardiens du capital international continuent de promouvoir le grand mensonge selon lequel les revendications des travailleurs sont responsables de la spirale inflationniste et doivent donc être réprimées.

La guerre de classe des banquiers centraux est menée par le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell. La semaine dernière, lors d’un important discours à la Brookings Institution, il a déclaré que «les augmentations de salaire vont probablement constituer une partie très importante de l’histoire [de l’inflation] à venir».

Un déséquilibre existe entre l’offre et la demande sur le marché du travail, a-t-il insisté, précisant que même des augmentations limitées des salaires nominaux – bien inférieures au taux d’inflation – étaient supérieures à celles que la Réserve fédérale jugeait compatibles avec son objectif supposé de 2 pour cent d’inflation.

Le rapport de l’OIT indique que les données disponibles pour cette année montrent que la hausse de l’inflation «fait plonger la croissance des salaires réels dans les chiffres négatifs dans de nombreux pays, réduisant ainsi le pouvoir d’achat de la classe moyenne et frappant particulièrement les groupes à faible revenu».

La crise du coût de la vie est venue s’ajouter à la crise du COVID-19 qui, dans de nombreux pays, a eu son plus fort impact sur les groupes à faible revenu, faisant ressortir les dangers politiques pour les classes dirigeantes.

«En l’absence de réponses politiques adéquates, poursuit le rapport, l’avenir proche pourrait voir une forte érosion du revenu réel des travailleurs et de leurs familles et une augmentation des inégalités, menaçant la reprise économique et pouvant alimenter de nouveaux troubles sociaux».

Selon le rapport, les données mondiales pour le premier semestre de cette année ont révélé «une baisse frappante des salaires mensuels réels» qui ont diminué de 0,9 pour cent, les premiers chiffres négatifs depuis la première édition du rapport sur les salaires en 2008.

La baisse a été beaucoup plus importante dans les économies du G20, qui regroupe 60 pour cent des salariés du monde, où la chute est estimée à 2,2 pour cent pour les six premiers mois de l’année.

On a enregistré la baisse la plus importante en Amérique du Nord, aux États-Unis et au Canada. La croissance des salaires réels a été nulle en 2021, puis a chuté à moins 3,2 pour cent au cours des six premiers mois de cette année. Dans l’Union européenne, où des subventions salariales étaient en vigueur en 2020 et 2021 en raison de la pandémie, les salaires réels ont légèrement augmenté, mais ont baissé de 2,4 pour cent au cours du premier semestre de cette année, effaçant tous les gains limités précédents.

Le rapport a également souligné les effets de la pandémie de COVID-19 qui ne sont pas pris en compte dans les données sur les salaires moyens.

L’analyse a révélé comment «la combinaison des pertes d’emplois, de la réduction des heures travaillées et des ajustements des salaires horaires pendant la crise a entraîné une accumulation de pertes de revenus pour les salariés et leurs familles dans de nombreux pays».

En compilant les données de 28 pays, représentant différentes régions et catégories de revenus, elle a constaté que la masse salariale totale a diminué de 1 à 26 pour cent en 2020, avec une baisse moyenne de 6,2 pour cent, ce qui équivaut à la perte de trois semaines de salaire pour chaque employé moyen.

Dans 21 des pays pour lesquels des données étaient disponibles pour 2020 et 2021, la baisse des salaires totaux était équivalente à la perte de quatre semaines de salaire par employé en 2020. En 2021 c’était deux semaines, soit une perte cumulée de six semaines de salaire sur deux ans.

La doctrine standard de l’économie capitaliste est que les salaires réels ne peuvent augmenter que lorsqu’il y a une augmentation de la productivité. Autrement dit, la classe ouvrière et le capital peuvent «partager» l’augmentation de la production économique.

Cette fiction est mise à nue dans les données de l’OIT. Elles montrent clairement que le système économique et financier est un mécanisme institutionnalisé qui permet de siphonner toute richesse supplémentaire vers les coffres des sociétés et de l’oligarchie financière.

Selon le rapport, dans 52 pays à revenu élevé, la croissance des salaires réels est inférieure à celle de la productivité depuis 2000. L’érosion des salaires réels au cours du premier semestre de cette année, combinée à une croissance positive de la productivité, a creusé l’écart.

«En fait, en 2022, l’écart entre la croissance de la productivité et celle des salaires a atteint son point le plus large depuis le début du XXIe siècle, la croissance de la productivité étant supérieure de 12,6 pour cent à celle des salaires», indique le rapport.

Comme l’a noté la chroniqueuse du Financial Times, Rana Foroohar, dans un commentaire sur le rapport: «Les gens travaillent plus et mieux. Mais ils ne perçoivent tout simplement pas autant de bénéfices monétaires de leurs efforts qu’ils l’auraient fait par le passé».

La «justification» supposée avancée par Powell et d’autres banquiers centraux pour les hausses de taux d’intérêt, même au risque d’une récession, est que ces mesures sont nécessaires pour empêcher une spirale salaires-prix de s’installer, ce qui serait un résultat encore pire.

Mais selon le rapport de l’OIT, «les données empiriques» montrent que les salaires nominaux ne rattrapent pas l’inflation et «l’écart entre la croissance des salaires et celle de la productivité continue de se creuser, la productivité du travail augmentant… et les salaires diminuant en termes réels».

«Dès lors, poursuit le rapport, il semblerait que, dans de nombreux pays, il y aurait possibilité d’augmenter les salaires sans générer une spirale salaires-prix».

En d’autres termes, les données suggèrent que la «douce raison» devrait prévaloir et que l’économie capitaliste devrait, d’une manière ou d’une autre, fonctionner de façon à satisfaire au moins certains des besoins des producteurs de toutes les richesses, la classe ouvrière.

Cela s’apparente aux affirmations selon lesquelles la guerre nucléaire – un danger omniprésent découlant de la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine – n’aura pas lieu parce que les conséquences seraient trop horribles, et que les classes dirigeantes reculeraient donc.

De tels arguments ne tiennent pas compte du fait que la géopolitique n’est pas guidée par la rationalité mais par les aspirations des puissances impérialistes à la domination mondiale.

De même, dans le domaine de l’économie, l’appel à la raison ignore le fait que l’économie capitaliste ne fonctionne pas dans l’intérêt de la population, mais pour la recherche incessante du profit.

Au cours des trois dernières décennies, et des 15 dernières années en particulier, les banques centrales ont injecté des milliers de milliards de dollars dans le système financier pour tenter d’empêcher son effondrement, à commencer par la crise financière mondiale de 2008 et s’accélérant l’après-crise au début de 2020 lorsque la pandémie a frappé.

Cela a créé une montagne de capital fictif composé de dettes et de valeurs boursières et d’actifs largement gonflés. Ce capital fictif n’incarne pas la richesse réelle en tant que telle, mais constitue une revendication sur la richesse extraite de la classe ouvrière dans le processus de production.

Aujourd’hui, l’économie mondiale paie dans la forme d’une inflation galopante – le résultat du refus d’éliminer la COVID, l’approvisionnement sans fin en argent bon marché et de la guerre contre la Russie en Ukraine – et les classes dirigeantes cherchent à résoudre la crise qu’elles ont créée en la faisant payer à la classe ouvrière.

Ce n’était certainement pas l’intention de l’OIT – il entretient la possibilité d’une sorte de réforme limitée et des mesures plus «raisonnables» – mais son rapport, basé sur des «preuves empiriques», souligne la nécessité pour la classe ouvrière de faire avancer son propre programme indépendant pour résoudre la crise grandissante du système de profit par la lutte pour un programme socialiste et internationaliste.

(Article paru en anglais le 6 décembre 2022)

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