Le président péruvien Castillo est destitué et arrêté après avoir tenté de dissoudre le Congrès

Le président élu du Pérou, Pedro Castillo, s’est fait enfermer en prison jeudi à la suite d’une série d’événements extraordinaires survenus la veille, au cours desquels il a désespérément tenté d’écarter les menaces des pouvoirs judiciaire et législatif de l’évincer en ordonnant la fermeture du Congrès et en déclarant un état d’exception autoritaire.

La tentative de Castillo de rester au pouvoir s’est effondrée après que les commandements combinés des forces armées et de la police ont publié une déclaration qui qualifie ses actions d’inconstitutionnelles et averti qu’ils ne les soutiendraient pas.

Castillo défile devant la police et les troupes à Pampachiri, dans la région d’Apurimac au Pérou, le 26 novembre. [Photo : @PedroCastilloTe] [Photo: @PedroCastilloTe]

Le Congrès a défié son ordre de dissolution et a plutôt voté à une majorité écrasante pour le mettre en accusation. Plusieurs de ses ministres ont immédiatement démissionné et condamné ses actions comme une tentative de «coup d’État». En quelques heures, le Congrès a assermenté sa vice-présidente, Dina Boluarte, comme successeur du Castillo.

La chute ignominieuse du Castillo, ancien enseignant rural et dirigeant syndical, a mis en évidence non seulement la faillite de son propre gouvernement, mais aussi celle de larges couches de la pseudo-gauche qui ont célébré son élection comme une victoire du «socialisme». Face à l’opposition intransigeante de l’armée et de la droite politique, il s’est avéré incapable et peu désireux de même tenter de mobiliser un quelconque soutien populaire pour se défendre.

Au-delà de son sort personnel, les événements du Pérou laissent présager un virage plus net des classes dirigeantes d'Amérique latine vers la dictature, alors qu'elles cherchent à faire porter tout le poids de la crise économique qui s'aggrave sur les épaules des travailleurs et des masses rurales.

La crise actuelle de la bourgeoisie au Pérou, qui a vu six présidents en un peu plus de quatre ans, ainsi que l'arrestation et l'emprisonnement de tous les chefs d'État survivants pour corruption, a atteint un nouveau niveau d'intensité.

Une inconnue en politique avant de rejoindre Castillo en 2021, Boluarte n’a pas de soutien populaire ni de parti. Alors qu’elle avait précédemment déclaré qu’elle démissionnerait si Castillo était destitué, elle a rapidement changé de discours une fois que cela s’est produit. Les félicitations rapides du Département d’État américain et de l’Union européenne, ainsi que les efforts des grands médias pour la promouvoir comme la première femme présidente du pays, sonnent déjà creux au milieu des manœuvres de la droite pour l’évincer elle aussi et forcer des élections anticipées.

Consciente de sa position précaire, Boluarte a lancé dans son discours inaugural un appel à une «trêve politique pour installer un gouvernement d’unité nationale» et mener «un large dialogue entre toutes les forces politiques représentées ou non au Congrès». En d’autres termes, elle offre ses services en tant que figure de proue d’un gouvernement dominé par la droite.

Il est toutefois peu probable que l’opposition d’extrême droite au Congrès accepte cette offre. Ces éléments ont déjà tenté de l’évincer presque aussi violemment que Castillo, dans le but d’installer le président du Congrès, José Williams, qui est le prochain dans la ligne de succession. Williams est un ancien militaire fasciste qui ne cesse de dénoncer l’«idéologie marxiste». Il était accusé d’entretenir des liens avec les cartels de la drogue et d’avoir tenté de dissimuler le massacre de 69 paysans à Accomarca en 1985.

Jeudi à l’aube, le bureau du procureur a fait une descente dans les bureaux présidentiels et ministériels afin de rassembler des preuves contre Castillo, et potentiellement aussi contre Boluarte.

Depuis son entrée en fonction en juillet 2021, Castillo a nommé cinq cabinets différents et 80 ministres, il a fait face à deux mises en accusation ratées par le Congrès monocaméral et a quitté son parti, «La Peru libre» (Free Peru). Il s’est constamment déporté vers la droite, notamment par ses nominations, ce qui n’a fait qu’enhardir l’extrême droite et ses allégations de corruption et de népotisme.

Le fait est que l’ensemble de l’establishment politique, y compris la police et l’armée, a été profondément discrédité. Les accusations portées contre Castillo étaient insignifiantes par rapport au vaste réseau de corruption qui entoure toutes les institutions de l’État.

Un sondage Datum publié quelques heures avant le débat sur la mise en accusation a révélé que le taux d’approbation ridicule de 24 pour cent de Castillo n’était supérieur qu’à celui de 11 pour cent du Congrès.

La tentative préventive du Castillo pour éviter sa mise en accusation s’est effondrée dès que la police et l’armée, ainsi que leurs supérieurs à Washington, ont refusé de l’appliquer. L’ambassadrice américaine Lisa Kenna a rapidement condamné l’annonce du Castillo mercredi et l’a appelé à «revenir sur sa tentative de fermer le Congrès». Nerveusement, elle a ajouté: «Nous encourageons le public péruvien à garder son calme en ces temps incertains».

La réaction du Castillo a été de prendre la fuite. Ayant obtenu une offre d’asile du président mexicain Andrés Manuel López, il s’est rendu avec toute sa famille en limousine à l’ambassade du Mexique à Lima, avant que le chef de la sécurité nationale n’ordonne à l’escorte de Castillo de le conduire au siège de la police de Lima. Là, il a été arrêté pour «rébellion» et «rupture de l’ordre constitutionnel» et envoyé en prison en vertu d’un ordre de détention préventive.

Le Congrès a ensuite pu faire avancer le débat sur la destitution et a rapidement voté, à une majorité de 101 membres sur 130, en faveur de sa destitution pour «incapacité morale permanente».

Toutefois, avant la tentative de coup d’État du Castillo pour dissoudre le Congrès, tous les rapports laissaient entendre que les partis d’extrême droite étaient encore loin des 87 voix nécessaires pour le destituer, n’ayant recueilli que 55 voix lors de la dernière tentative en mars.

Dans le même temps, des partis du centre officiel comme l’Alliance pour le progrès, l’Action populaire et le parti Morado ont progressivement rejoint la campagne de destitution, alors même que l’extrême droite recourait à des allégations étonnamment réactionnaires de «trahison de la patrie» à l’encontre de Castillo pour avoir même envisagé d’aider la Bolivie enclavée à obtenir un débouché sur la mer.

Loin de se comporter comme des défenseurs de la démocratie, tel que prétendent aujourd’hui les médias, la police et l’armée constituent le même appareil d’État répressif qui a un long historique de répression brutale des manifestations pacifiques et de massacres dirigés contre les paysans et les travailleurs. Il y a seulement deux ans, la police a tué Inti Sotelo et Brian Pintado lors d’une manifestation contre Manuel Merino, dont la présidence n’a duré que six jours.

Le gouvernement Biden a continué à former et à armer ces forces en vue d’une répression plus importante. En août, le gouvernement Castillo et le Congrès ont approuvé l’entrée de troupes américaines pour des exercices conjoints avec l’armée et la police péruviennes qui impliquaient des opérations de combat spéciales, un soutien en matière de renseignement et des opérations psychologiques.

Castillo a adressé ses appels contre l’extrême droite non pas à la classe ouvrière, mais à l’impérialisme américain en envoyant une lettre le mois dernier à l’Organisation des États américains (OEA), une agence complice de nombreux coups d’État soutenus par la CIA. Il a supplié cet organisme dominé par les États-Unis de le défendre contre un «nouveau type de coup d’État».

Au début de son mandat, Castillo – comme les présidents de la pseudo-gauche Petro en Colombie et Boric au Chili – a cherché à se rapprocher de Washington en dénonçant le gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela comme étant antidémocratique. Cette année, après une rencontre en octobre à Lima avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le gouvernement Castillo a publié une condamnation conjointe de l’opération militaire russe en Ukraine.

Le 1er décembre, depuis Washington, les émissaires de l’OEA ont recommandé une «trêve politique», après avoir averti que les actions des deux factions au pouvoir, y compris les enquêtes de corruption contre Castillo et ses menaces de dissoudre le Congrès, «mettent en danger l’institutionnalisme démocratique du Pérou». Cette déclaration a été largement interprétée comme un refus de le soutenir et un feu vert à l’aile droite pour aller de l’avant avec son éviction.

Castillo a combiné un programme de droite consistant à expulser massivement les migrants en les dépeignant constamment comme des criminels et à lever pratiquement toutes les mesures d’atténuation du COVID-19 – bien que le Pérou ait connu le taux de mortalité par habitant le plus élevé au monde – avec des slogans démagogiques tels que «Trop de pauvres dans un pays riche». Mais la seule redistribution des revenus qu’il a mise en œuvre s’est faite vers le haut par le biais de subventions et d’autres incitations aux entreprises, prétendument pour réduire le chômage.

Cette année, il s’est vanté que ses politiques avaient considérablement réduit la pauvreté; cependant, même les réouvertures dangereuses n’ont que légèrement réduit le nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté, qui est passé de 9,93 millions à 8,61 millions au cours de sa première année, contre 6,6 millions avant la pandémie.

L’ensemble de la région a été gravement touchée par les problèmes actuels de la chaîne d’approvisionnement mondiale dus à la pandémie, par l’augmentation des taux d’intérêt par les principales banques centrales et par la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine. La dette publique du Pérou, qu’il détient principalement en euros et en dollars, a rapidement bondi de moins de 20 pour cent de son PIB en 2013 à plus de 36 pour cent. De plus, l’agriculture du pays est fortement dépendante des importations de céréales et d’engrais largement produits en Russie et en Ukraine.

Pendant la récolte de cette année, le gouvernement Castillo a échoué à trois reprises à effectuer un achat international d’engrais, ce qui a été exploité par ceux qui poussent à la destitution.

Ces pressions se sont ajoutées à la dévaluation continue du sol péruvien par rapport au dollar depuis 2014, date à laquelle le boom des matières premières a pris fin. Les ventes de cuivre à la Chine, dont la demande reste anémique et dont les prix n’ont pas réussi à suivre l’inflation, représentent, de loin, la principale exportation du Pérou, suivies par l’or et le gaz.

Alors que les économies du Pérou et de toute l’Amérique latine connaissent un ralentissement spectaculaire, la crise politique à Lima signale surtout que les élites dirigeantes ne pourront pas continuer à réprimer la lutte des classes en promouvant des illusions dans une «marée rose».

(Article paru en anglais le 9 décembre 2022)

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