Témoignages de travailleurs de la santé sur les conditions dévastatrices de la vague d’épidémies triple aux États-Unis et au Canada

Une vague d’infection se propage en Amérique du Nord, mettant à rude épreuve le système de soins de santé déjà surchargé et poussant le personnel soignant à ses limites. Le COVID-19, le virus respiratoire syncytial (VRS) et la grippe constituent la «triple menace» qui crée des conditions mortelles et insoutenables dans les hôpitaux pour enfants et pour adultes.

Les données les plus récentes montrent que le nombre quotidien moyen de cas de COVID-19 aux États-Unis a augmenté de près de 40 % au cours des deux dernières semaines, les décès ayant également augmenté de 25 %. Et deux mois seulement après le début de la saison de la grippe traditionnelle, les cas et les hospitalisations ont déjà largement dépassé les chiffres d’avant la pandémie.

De nombreux hôpitaux sont remplis à plus de 100 % de leur capacité. Les médecins, les infirmières et les autres professionnels de la santé s’efforcent de faire face au déluge de patients qui franchissent les portes des salles d’urgence et dont beaucoup ont besoin de lits d’hôpital. Les maisons de retraite manquent également de personnel et de nombreux résidents sont atteints de virus respiratoires.

Des infirmières portent un équipement de protection avant d’entrer dans la chambre d’un patient à l’unité de soins intensifs COVID-19 du centre médical Dartmouth-Hitchcock, à Lebanon, au New Hampshire, le lundi 3 janvier 2022 [AP Photo/Steven Senne] [AP Photo/Steven Senne]

Une aide-soignante certifiée (ASI) de la côte ouest, qui a choisi de rester anonyme, a résumé la situation à laquelle elle et ses collègues sont confrontés dans un établissement de soins de longue durée lors d’un entretien avec les journalistes du World Socialist Web Site.

Cette infirmière auxiliaire a déclaré: « Il y a du COVID partout, de la grippe partout, toutes les autres maladies imaginables de la tête, du ventre et de l’estomac partout... Je fais du mieux que je peux, mais en même temps je compte les jours jusqu’à ce que je tombe inévitablement malade ou que j’essaie de m’occuper de quelqu’un et que je réalise qu’il est mort. Mes résidents sont âgés de 70 à 95 ans, mais ce n’est pas une raison pour ne pas tenir compte du dernier chapitre de leur vie et de la façon dont ils meurent. J’ai entendu plusieurs de mes collègues parler récemment du pavillon où je travaille comme le «pavillon de la mort».

Ces conditions sont le résultat direct des politiques désastreuses du gouvernement en matière de soins de santé et de pandémie. La décision, non fondée sur les moindres données scientifiques, d’abandonner les mesures de protection les plus minimales – telles que le port du masque, l’isolement et la recherche des contacts – ainsi que l’ouverture des écoles et le retour au travail en personne ont intensifié les infections et les réinfections. Certaines des personnes les plus vulnérables du pays sont particulièrement touchées: les enfants, les personnes âgées, les malades chroniques et les personnes immunodéprimées.

Malgré la déclaration du président Biden selon laquelle «la pandémie est terminée», les taux d’hospitalisation et de décès liés au COVID-19 sont actuellement en hausse, comme le montrent les données récentes du Centre de ressources sur les coronavirus de l’Université Johns Hopkins. Ces données montrent que la moyenne des hospitalisations sur 7 jours est de 40.413, contre 27.880 durant la semaine de Thanksgiving.

Le nombre de décès augmente également, passant d’une moyenne de 299 décès sur sept jours la semaine de Thanksgiving à une moyenne actuelle de 425 décès sur sept jours. Tous ces chiffres sont probablement inférieurs à la réalité, car de nombreux États ne comptabilisent plus les décès et les cas quotidiens ou ne communiquent pas régulièrement leurs chiffres aux Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC).

Au cours des trois dernières années, la pandémie de COVID-19 a continué d’exacerber les conditions déjà difficiles des soins de santé. La bataille sans fin sur les lignes de front – sans approche systématique pour contenir le virus avec des mesures de santé publique de base – a épuisé les travailleurs et poussé beaucoup d’entre eux à quitter les soins de santé.

Les travailleurs de la santé de tout le pays et de toutes les disciplines ont parlé aux journalistes du WSWS sur les médias sociaux. Nombre d’entre eux ont partagé les mêmes thèmes, à savoir l’épuisement professionnel, la pénurie de main-d’œuvre et la colère face à l’inégalité dans le secteur des soins de santé, où les PDG continuent de vivre confortablement tandis que les travailleurs subissent le poids de la crise et sont laissés à eux-mêmes, fonctionnant à la va-vite et percevant des salaires qui ne suivent pas l’inflation.

Une infirmière praticienne du sud des États-Unis, qui a préféré garder l’anonymat, a dressé un tableau des dégâts réels causés par le manque de personnel et le trop-plein de patients dans les hôpitaux. Elle a déclaré au WSWS: «Il y a tellement d’histoires. J’ai récemment vu un patient en post-dialyse dont le sang coulait de son abcès. Le patient a été “laissé à lui-même”sans [un] rapport de chevet parce que l’infirmière avait six autres patients et que l’infirmière de dialyse devait retourner à son patient, qui était surveillé par une autre infirmière qui avait deux patients en cours.»

Une infirmière canadienne travaillant actuellement dans un établissement de soins de longue durée a décrit ses conditions quotidiennes. Elle a déclaré: «Ce soir, je vais être la seule infirmière dans un bâtiment de deux étages comptant 95 résidents. J’ai deux HCA [assistants de soins de santé] à un étage et trois à l’autre.

«Du point de vue du COVID, nous venons juste de sortir de notre troisième ou quatrième épidémie. Nous ne testons plus vraiment les gens comme nous le faisions auparavant. Il y a beaucoup de résidents qui présentent des symptômes en ce moment, mais ceux qu’on teste sont négatifs. Nous avons dû en envoyer deux à [l’hôpital] en moins de 24 heures, l’un avec une pneumonie et je ne sais pas pour le second. J’ai dû les envoyer à 6h45 ce matin».

En réponse à une question sur l’épuisement professionnel, elle a déclaré: « Nous n’étions pas préparés à une pandémie. Notre première épidémie ... a duré plus d’un mois et nous avons perdu près d’un quart de nos résidents. Nous manquions de fournitures, les ambulances étaient débordées, même les autres foyers de soins ont dû appeler l’armée ou quelqu’un pour obtenir de l’aide. Il y a eu des moments où j’étais la seule infirmière pour le bâtiment avec trois HCA. ... Depuis le COVID, nous avons toujours été à court de personnel. Nous avons toujours manqué de ce médicament, de cet antibiotique, de ces fournitures. Après quelques années de cela, nous sommes épuisés. Le personnel part, ce qui aggrave encore la crise de pénurie.»

Lorsqu’on lui a demandé d’illustrer les problèmes de sécurité des patients causés par ces conditions, elle a répondu: «Vous n’avez aucune idée de la façon dont les soins aux résidents sont compromis. Les infirmières de jour et de soir sont également débordées, et elles manquent tellement de personnel qu’elles ne peuvent pas non plus s’occuper correctement des résidents. ... J’arrive à l’étage et ils sont dans un état critique ou déjà morts. J’ai dû envoyer plusieurs personnes à l’hôpital avec des septicémies ou même des infections graves. Certains n’en sont jamais revenus.»

L’éloge autrefois omniprésent des «héros de la santé» s’est révélé totalement creux alors que les travailleurs de la santé continuent de lutter contre un nouveau niveau d’épuisement, se battant en première ligne pour une troisième année, tandis que les PDG des hôpitaux et les politiciens célèbrent la fin imaginaire de la pandémie.

Dans une lettre adressée à l’administration Biden à la mi-novembre, 33 groupes médicaux ont dressé un tableau dévastateur de la crise qui frappe les services d’urgence dans tout le pays. Les médecins et les infirmières ont demandé que des mesures soient prises de toute urgence pour résoudre la crise qui fait que les services d’urgence débordent et sont submergés de patients qui attendent d’être examinés et que les hôpitaux sont surchargés et n’ont pas de lits disponibles pour accueillir les patients gravement malades.

Il n’est pas surprenant que ces appels tombent dans l’oreille d’un sourd, car la situation actuelle est le résultat d’une politique délibérée menée pendant des années et des décennies par les partis de l’établissement. Les travailleurs de la santé ont également discuté de l’irrationalité des soins de santé gérés pour le profit avec les journalistes du WSWS.

Un autre infirmier qui a choisi de rester anonyme a partagé ses sentiments sur un fil de discussion concernant la vague actuelle de «triple épidémie». «C’est la partie où notre système de soins de santé va maintenant prendre de plus en plus de vitesse vers l’effondrement. Les conditions de travail, les salaires, etc., sont terribles depuis des décennies pour tous ces postes. La direction s’est emparée de tous les bénéfices et augmentations de salaire et n’a pratiquement rien donné aux travailleurs... alors qu’ils sont éloignés des dangers (exposition dangereuse à toutes les maladies imaginables, radiations, violence, etc.) et ont des revenus à 6 ou même 7 chiffres.

Il a poursuivi: «Aucune tentative sérieuse pour réparer quoi que ce soit n’a lieu à l’échelle nationale. Des gens meurent par manque d’accès aux soins, les travailleurs de la santé sont poussés au suicide, aux troubles du stress post-traumatique, à l’effondrement mental ou à l’épuisement professionnel, et ceux qui ont le pouvoir de faire quelque chose ne font ... rien. En fait, c’est pire que rien, car les cadres, les compagnies d’assurance et les dirigeants continuent de profiter des travailleurs de la santé et de les exploiter. Si, en tant que nation, nous ne prenons pas des mesures d’urgence absolues, je ne peux exprimer combien de souffrances, de morts inutiles et, franchement, de dommages sociétaux continueront à se produire et s’accéléreront jusqu’à atteindre des niveaux dystopiques.»

T.J., un technicien des urgences originaire du Nord-Est, a exprimé des niveaux similaires d’épuisement professionnel et de mépris pour le système de santé à but lucratif. «En ce qui concerne les travailleurs, j’ai l’impression que nous sommes à un point de basculement», a déclaré T.J.. «Les soins de santé ont des taux astronomiques d’épuisement professionnel et de personnes fuyant le domaine. Je pense qu’environ un tiers des travailleurs de la santé ont quitté le secteur depuis le début de la pandémie. Ce n’est pas viable. Cela provient d’un mélange de blessure morale et de surmenage. Dans un système de soins de santé à but lucratif, vous ne pouvez pas maximiser les profits en planifiant et en augmentant le personnel et les lits. Cela réduit les bénéfices.»

Un responsable de radiologie de l’Oklahoma s’est fait l’écho de ces sentiments. «Pendant de nombreuses années, les hôpitaux ont réduit le personnel et ont coupé de plus en plus pour réduire les coûts et augmenter les revenus au détriment de la sécurité des patients. Cela bouillonnait sous la surface, mais lorsque le COVID est arrivé, il a révélé les dessous des soins de santé. Cette montée en puissance était prévisible, mais quand on essaie toujours de se sortir du trou du COVID, comment peu-on vraiment être prêt?

«Les soins de santé ne fonctionnent absolument pas. Le profit a pris le pas sur les personnes. La mentalité du «faire plus avec moins» est, à mon avis, la raison pour laquelle tant de personnes ont quitté le secteur pendant le COVID. Les soins de santé sont un service altruiste, mais si nous ne nous défendons pas, qui le fera?»

C’est la classe ouvrière, toutes industries confondues, qui doit se défendre et qui le fait. Une opposition croissante se développe dans le monde entier contre l’aggravation de l’austérité, les politiques de «laisser-faire» du COVID, les charges de travail insoutenables et plus encore. Au Royaume-Uni, des dizaines de milliers de travailleurs de la santé du NHS sont les derniers à rejoindre la vague croissante de grèves des travailleurs de la santé, protestant contre la dégradation de leurs conditions de travail et luttant pour le droit de garantir des soins de santé gratuits et de qualité pour tous et pour mettre fin à leur privatisation accélérée.

Le débordement des hôpitaux est une condamnation du système capitaliste et de son traitement des plus vulnérables de la société. Elle souligne la nécessité d’éliminer la motivation du profit dans les soins de santé, ce qui est lié à la lutte pour des soins de santé véritablement socialisés, donnant la priorité aux besoins médicaux des patients et défendant les conditions des travailleurs de la santé.

Pour mener à bien cette lutte, les travailleurs de la santé doivent être organisés indépendamment de l’appareil syndical, des entreprises qui les soutiennent et des deux partis du grand capital. Aujourd’hui plus que jamais, la formation de comités de la base dans tous les domaines de la santé est une nécessité urgente.

(Article paru en anglais le 17 décembre 2022)

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