Les manifestations s’intensifient au Pérou, au moins 21  personnes tuées par des forces de sécurité entraînées par les États-Unis.

L’armée et la police péruviennes, toutes deux formées par le Pentagone, ont intensifié leur répression après la déclaration de l’état d’urgence national mercredi et l’imposition d’un couvre-feu régional vendredi.

Manifestants et policiers s’affrontent à Lima, la capitale péruvienne, à la suite de la destitution du président Pedro Castillo (Photo: VOA) [Photo: VOA]. [Photo: VOA]

L’assaut ordonné par le régime nouvellement installé de la présidente Dina Boluarte, soutenue par Washington et l’Union européenne, a tué au moins 21  manifestants. Des vidéos montrent des bataillons militaires chargeant et tirant à balles réelles. On y voit des policiers tirer des grenades lacrymogènes létales directement dans la foule, y compris depuis des hélicoptères, procéder à des détentions arbitraires et frapper brutalement des manifestants non armés.

Si les premières manifestations ont été déclenchées par la destitution et l’arrestation le 7  décembre du président élu du Pérou, Pedro Castillo, qui avait tenté de dissoudre le Congrès de manière préventive, l’agitation montante est causée par une masse de griefs sociaux visant l’ensemble de l’élite dirigeante. Entre autres, l’inflation, le chômage de masse, la faim, le taux de mortalité COVID le plus élevé au monde, la corruption généralisée et la destruction de l’environnement.

Les protestations ont pris la forme de grandes marches, de dizaines de barrages routiers et de plusieurs occupations d’aéroports. Les participants sont principalement les jeunes issus des zones pauvres et marginales des villes dominées par le manque et la précarité des services sociaux et des logements. Des contingents importants des zones rurales du sud, où se concentre le soutien à Castillo, ont également rejoint les manifestations.

La plus grande marche jusqu’à présent a eu lieu le 15 décembre à Lima. Des dizaines de milliers de personnes y ont demandé la démission de Boluarte, qui était la vice-présidente de Castillo, la dissolution du Congrès et des élections immédiates. Dans la soirée la police s’est déchaînée, frappant brutalement des manifestants, des journalistes, des secouristes et des passants.

Boluarte n’a pas réussi à apaiser la colère en promettant d’organiser des élections en 2024 puis en 2023 et en déclarant aux congressistes «Nous partons tous»! Elle a même envoyé, geste absurde, ses condoléances aux «mères d’Ayacucho», la ville où son gouvernement a tué plusieurs adolescents pour avoir manifesté.

Pendant ce temps, les forces de l’État ont tenté de prétendre que les manifestations étaient menées par des agitateurs «terroristes et criminels». Le chef de la police antiterroriste, Óscar Arriola, a tenté de criminaliser les manifestations en affirmant avoir identifié une poignée de personnes liées au défunt mouvement de guérilla maoïste Sendero Luminoso, au Movadef, un groupe formé pour demander l’amnistie des prisonniers du Sendero, et au Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA). Mais vu la nature généralisée de l’explosion sociale, il a été obligé de saper effectivement son propre argument en déclarant qu’il n’y avait «aucun leader » que c’était une « situation sui generis» et qu’il y avait «une haine de classe dans chaque comportement».

Les députés d’extrême droite qui ont chassé Castillo du pouvoir demandent maintenant une répression plus dure. Selon les mots du député Héctor Valer lors d’une session du Congrès, «un groupe de personnes ne peut pas pousser l’État contre le mur… Ces personnes méritent plus d’autorité et une main plus dure».

Appliquant la «justice» des vainqueurs après le coup d’État parlementaire réussi contre Castillo, les procureurs et les tribunaux contrôlés par l’extrême droite ont ordonné que Castillo reste en détention pendant 18  mois. On a arrêté le président déchu et son ancien premier ministre Aníbal Torres ensemble alors qu’ils se rendaient à l’ambassade du Mexique, lorsque on a ordonné à leurs escortes de les livrer. Castillo s’est vu refuser un avocat à l’audience sommaire en ligne de jeudi qui a abouti à sa condamnation à la prison. Torres, âgé de 79  ans et éminent juriste péruvien, s’est caché. Tous deux font l’objet d’une enquête vindicative sur l’accusation montée de toutes pièces de «rébellion», qui, du point de vue juridique, désigne strictement un «soulèvement armé».

Castillo avait jusqu’à présent concentré ses plaidoyers de défense sur l’impérialisme américain. Maintenant, il a publié une autre note manuscrite sur les médias sociaux où il déclare: «La visite de l’ambassadeur [américain] au palais [présidentiel]… avait pour but de donner l’ordre de déployer les troupes dans la rue. Leur objectif était de massacrer mon peuple sans défense et d’ouvrir les routes pour l’exploitation par les compagnies minières…»

Alors que le gouvernement et l’impérialisme américain intensifient la répression, la bureaucratie syndicale et les groupes de la pseudo-gauche exploitent le caractère spontané des manifestations pour les détourner de tout appel à la classe ouvrière, au Pérou et dans le monde. Ils essaient de les orienter vers l’illusion qu’une nouvelle Constitution et des élections dans le même cadre nationaliste de la politique capitaliste pourraient satisfaire d’une certaine manière les revendications sociales urgentes de la jeunesse, des travailleurs et des pauvres des zones rurales.

La Confédération générale des travailleurs péruviens (CGTP), qui comprend les principaux syndicats de mineurs, de la construction, de la métallurgie et d’autres secteurs, a refusé d’organiser une grève et a convoqué une vague «journée nationale de protestation» jeudi prochain.

Tout en dénonçant le Congrès comme «illégitime», la direction de la CGTP à œuvré pour légitimer le régime que le Congrès et l’impérialisme américain ont mis en place. Mardi, après avoir rencontré Dina Boluarte, le président de la CGTP, Luis Villanueva, a déclaré: «Nous pensons qu’une mauvaise décision a été prise mais qu’elle a été corrigée par une succession constitutionnelle. Nous somme cependant face à une crise beaucoup plus forte. Nous pensons que la décision est entre les mains de la présidente Dina Boluarte et du Congrès».

Cette rencontre visant à légitimer Boluarte démasque pleinement les demandes à consonance radicale de la bureaucratie comme une simple tentative d’imiter verbalement l’humeur de la rue, uniquement pour détourner le mouvement vers l’impasse de la politique capitaliste.

De même, le Front agraire et rural du Pérou, qui comprend un large éventail d’organisations, a appelé à une «insurrection populaire contre le coup d’État néo-fasciste» et à la libération et la restitution de Castillo. Mais sa demande d’une nouvelle «Constitution patriotique, égalitaire, écologique et plurinationale» et de nouvelles élections cherche également à pousser les manifestations dans le même cadre capitaliste.

C’est là le scénario que leurs homologues de Bolivie et du Chili ont utilisé pour réprimer les soulèvements de masse ayant éclaté dans ces pays en 2019. En Bolivie, la demande de nouvelles élections supervisées par le régime putschiste soutenu par les États-Unis n’a servi qu’à le légitimer, lui et ses assassinats de manifestants, tout en maintenant l’armée comme arbitre politique ultime. Au Chili, un nouveau projet de Constitution méprisé – rejeté dans les urnes – et l’élection d’un président pseudo de gauche, Gabriel Boric, n’ont résolu aucune des questions liées aux retraites privatisées, à l’éducation, aux inégalités et à la répression d’État qui ont motivé les manifestations.

Le discrédit de l’ensemble de l’establishment politique – reflété dans la demande «Sortez-les tous!» – pose la question clé de savoir ce qui va le remplacer et quelle classe sociale en décidera ? L’élection d’un autre politicien capitaliste et la rédaction d’une autre constitution capitaliste ne résoudront pas la crise du pouvoir bourgeois au Pérou. Cela ne servira qu’à démoraliser politiquement, à rendre confus et à démobiliser les masses alors que les oligarchies locales et l’impérialisme se préparent à réimposer des dictatures sous la supervision des forces armées formées par les États-Unis.

Au Pérou, deuxième plus grand producteur de cuivre, les mines appartiennent à une poignée de sociétés mondiales dirigées par BHP Billiton, Glencore, Freeport, Teck et Grupo Mexico. Entre-temps, 37  Péruviens possèdent plus de 100  millions de dollars et il y a au moins cinq milliardaires. Dans de telles conditions d’inégalité et de domination impérialiste, la démocratie est impossible et la corruption une conséquence inévitable.

Comme le démontre la réponse de tous les gouvernements de la région à la pandémie et à l'inflation, il n'y a pas de limite aux morts et aux souffrances que la bourgeoisie infligera aux travailleurs et aux pauvres des zones rurales pour créer des conditions plus rentables pour le capital financier national et mondial.

Les droits sociaux et démocratiques des travailleurs du Pérou ne peuvent être garantis que par la mobilisation de la classe ouvrière, indépendamment de tous les politiciens et bureaucraties syndicales pro-capitalistes et nationalistes. Une nouvelle direction politique doit être construite au Pérou sur la base de la perspective de la révolution socialiste mondiale et du pouvoir des travailleurs, une section du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 17  décembre2022)

Loading