Québec: le gouvernement Legault entame les négociations collectives en provoquant les travailleurs du secteur public

Les premières offres du gouvernement Legault aux travailleurs du secteur public québécois, dont les conventions collectives arrivent à échéance le 31 mars, ne sont rien de moins qu’une déclaration de guerre.

La Coalition Avenir Québec (CAQ) droitière du premier ministre François Legault offre aux quelque 550.000 employés des secteurs public et parapublic une «hausse» salariale de 9% sur 5 ans. Ce serait un appauvrissement majeur face à une inflation galopante qui atteint actuellement près de 7%.

Le gouvernement propose d’ajouter un montant forfaitaire insultant de 1000 dollars qui ne serait versé qu’une seule fois et ne serait pas indexé aux revenus de retraite et de vacances.Legault veut aussi s’en prendre aux pensions en obligeant celles et ceux ayant 35 ans de service à attendre à 57 ans avant la prise de leur retraite et en sabrant dans le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). D’autres concessions sont exigées au niveau sectoriel.

La CAQ a indiqué qu’elle prévoit centrer les négociations non pas sur les salaires, mais sur l’«organisation du travail» en exigeant aux salariés plus de «flexibilité». Autrement dit, le gouvernement veut appauvrir les travailleurs et les faire travailler davantage, tout en maintenant des conditions de travail exécrables et l’état de décrépitude avancé des services publics dans le but de préparer leur privatisation.

Des travailleurs de l’éducation manifestent le 4 novembre au Queen’s Park de Toronto contre les demandes de concessions du gouvernement conservateur ontarien. [Photo: WSWS]

Les syndicats du «front commun», qui représentent la vaste majorité des employés de l’état – la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) – ont rejeté ces premières offres.

Mais ce geste n’est que de la poudre aux yeux. Comme ils l’ont fait à chaque négociation au cours des dernières décennies, les syndicats vont tout faire pour saboter une mobilisation des travailleurs contre la politique d’austérité de l’élite dirigeante par crainte de voir un tel mouvement déstabiliser le capitalisme québécois et canadien. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils reculent sur leurs demandes et se soumettent aux diktats du gouvernement.

La Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui comme d’habitude rejettent toute collaboration, même limitée, avec les autres instances syndicales, ont timidement critiqué les offres patronales. Ces deux syndicats se font passer pour plus «militants» alors qu’à chaque négociation ils ont imposé à leurs membres essentiellement les mêmes contrats de concessions que ceux des autres centrales.

Les négociations actuelles prennent place dans un contexte encore plus explosif que lors des précédentes, tenues en 2020-2021. En plus d’avoir mis à nu la négligence criminelle du gouvernement et de la classe dirigeante face à la pandémie, les trois dernières années ont vu l’inflation et les prix de base augmenter drastiquement. Sous couvert de la défense de la «démocratie», des milliards de dollars qui pourraient servir à financer les services publics et offrir des niveaux de vie décents à la classe ouvrière sont dépensés par le Canada et ses alliés de l’OTAN dans leur guerre par procuration contre la Russie en Ukraine.

Les syndicats sont conscients de la colère et du ras-le-bol généralisé parmi les travailleurs du secteur public, qui ont subi des décennies de coupures et fait partie des principales victimes de la politique de l’«immunité collective» du gouvernement Legault face à la pandémie.

Plusieurs actes de militantisme se sont multipliés dans la récente période, y compris de nombreux sit-ind’infirmières forcées de faire toujours plus de temps supplémentaire obligatoire (TSO). Comme lors des négos de 2015, les centrales syndicales se sont réunies en «front commun» pour se donner un air militant, mais cette manœuvre est frauduleuse. Leur objectif n’est pas de préparer la mobilisation de leurs membres contre le gouvernement, mais de se donner une couverture pour mieux contrôler et étouffer le militantisme de la base et ainsi imposer les reculs exigés par le gouvernement.

Les offres de Legault, un ancien PDG d’Air Transat et multimillionnaire, s’inscrivent dans le programme de guerre de classe de toute l’élite dirigeante qui vise l’appauvrissement des travailleurs, la privatisation des services publics et les baisses d’impôts pour les riches. Depuis son arrivée au pouvoir, Legault a attaqué les travailleurs à maintes reprises, y compris en agitant la menace de lois spéciales contre les travailleurs de l’état et les ouvriers de la construction. Avec le soutien de tout l’establishment politique, la CAQ alimente le nationalisme québécois et le chauvinisme anti-immigrants pour diviser la classe ouvrière.

Si la CAQ est en mesure d’imposer un tel programme, c’est parce que les bureaucrates syndicaux privilégiés ont tout fait pour démobiliser les travailleurs et saboter systématiquement les mouvements d’opposition sociale qui se sont développés au cours des dernières décennies.

Entre 1996 et 1998, ils ont travaillé avec le gouvernement du Parti québécois (PQ) de Lucien Bouchard et Bernard Landry pour imposer les plus importantes coupes budgétaires de l’histoire du Québec. En 2012, lorsqu’une puissante grève étudiante a profondément secoué le gouvernement libéral de Jean Charest et menacé de déclencher un mouvement de masse contre l’austérité, les syndicats sont intervenus pour l’isoler et y mettre fin en prônant l’élection d’un autre gouvernement du PQ.

La bureaucratie syndicale est aujourd’hui pleinement intégrée dans la gestion de l’état capitaliste et agit comme partenaire d’affaires junior de la classe dirigeante. Elle se vante de son rôle de défenseur de la «paix sociale» et appelle au «dialogue social» avec le gouvernement ultra-droitier de la CAQ.

Cette collaboration de classe s’incarne dans des liens étroits avec l’establishmentpolitique, et plus particulièrement avec le Parti québécois pro-patronal et le mouvement souverainiste auquel les syndicats ont historiquement attaché la classe ouvrière. Dans le reste du Canada, et au Québec de manière moins explicite, les syndicats soutiennent pleinement l’alliance pro-impérialiste signée entre le Nouveau Parti démocratique (NDP) et le gouvernement fédéral minoritaire de Justin Trudeau pour garder ce dernier au pouvoir jusqu’en juin 2025.

La récente expérience des travailleurs de l’éducation en Ontario doit servir de leçon aux employés du secteur public au Québec. Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP/CUPE) a fait entériner le mois dernier un contrat rempli de reculs à 55.000 membres du personnel de soutien scolaire après avoir torpillé une grève de ces travailleurs contre les attaques du gouvernement ultra-conservateur de Doug Ford.

Leur débrayage, qui avait pris la forme d’un défi collectif des membres de la base à une loi spéciale anti-grève visant à les museler, avait suscité un tel enthousiasme populaire qu’il avait fait naître dans la classe ouvrière un puissant sentiment en faveur d’une grève générale provinciale. C’est précisément pour tuer dans l’œuf ce mouvement vers une grève générale que la bureaucratie syndicale a comploté avec le gouvernement Ford dans le dos des travailleurs de la base pour saboter et trahir leur lutte.

D’une part, cette expérience encore fraîche a démontré la puissante combativité qui existe parmi la classe ouvrière canadienne et l’énorme pouvoir social et politique que peuvent exercer les travailleurs, s’ils sont mobilisés et organisés. D’autre part, la lutte en Ontario a montré une fois de plus le rôle traître des appareils syndicaux et la nécessité pour les travailleurs de bâtir de nouvelles formes d’organisations basées sur leurs propres intérêts de classe.

Il n’y aura pas un manque de combativité parmi les travailleurs québécois. La crise s’accentue dans les écoles et les hôpitaux sous-financés, alors que la pandémie de COVID-19 et les nombreux virus respiratoires continuent leurs ravages sans que les syndicats ne lèvent le petit doigt. Ce qu’il faut pour contrer les attaques de Legault et sa CAQ, toutefois, c’est une nouvelle perspective basée sur la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste et tout l’establishmentpolitique, tant fédéraliste que souverainiste.

Les conditions sont réunies pour une telle contre-offensive, comme en atteste l’entrée en lutte dans la dernière période de puissants contingents de la classe ouvrière canadienne – cheminots, travailleurs de l’auto, débardeurs de Montréal, chauffeurs d’autobus de Toronto, travailleurs du secteur public du Nouveau-Brunswick, pour ne citer que ceux-là.

Ces luttes, toutefois, ont été immédiatement confrontées au rôle traître de l’appareil syndical, ce qui soulève l’urgente nécessité pour les travailleurs de bâtir de nouvelles formes et organisations de lutte pour faire valoir leurs intérêts – des comités ouvriers de la base, indépendants des syndicats nationalistes et pro-capitalistes.

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