Perspective

Le candidat socialiste Will Lehman dénonce la suppression massive du vote aux élections de l'UAW

Le 19  décembre, le candidat à la présidence de l’UAW, Will Lehman, a déposé une protestation officielle contre les résultats de l’élection 2022 des dirigeants syndicaux, «dans leur intégralité».

La protestation écrite de Lehman au contrôleur nommé par le tribunal pour superviser le scrutin est un comte-rendu historique encyclopédique de l’élection. Il détaille de manière exhaustive chaque facette de la conspiration anti-démocratique de la bureaucratie en place pour s’accrocher au pouvoir en supprimant le vote.

La protestation de 50  pages et les dizaines de pages de pièces jointes, compilant les informations recueillies par les réseaux grandissants de membres de la base établis durant la campagne de Lehman, démontrent que la bureaucratie a violé de nombreuses fois le droit américain du travail et que l’élection était illégale.

Lehman, le seul candidat socialiste de cette élection, a remporté près de 5.000  voix chez les travailleurs de la base dans l’automobile et dans les universités de tout le pays. Mais à moins que sa protestation ne soit validée, son nom sera exclu du second tour de l’élection le mois prochain ; l’élection se limitera alors aux principaux candidats de l’appareil bureaucratique syndical: Ray Curry et Shawn Fain, qui ont chacun obtenu moins de 4  pour cent du total des votes admissibles dans un contexte de suppression massive du vote.

Un million sur le 1,1  million de membres éligibles n’a pas voté à cette l’élection parce que la direction de l’UAW les a délibérément tenus dans l’ignorance. Ce n’est pas là une question d’opinion, mais un fait avéré. La protestation de Lehman décrit par exemple comment la page Web nationale de l’UAW, Member News (Infos pour les membres), intégrée à de nombreux sites Web de syndicats locaux, n’a fait absolument aucune mention de l’élection entre le 29  juillet et le 29  novembre.

Alors qu’elle conspirait pour faire le silence sur une élection interne au syndicat, la bureaucratie consacrait de vastes ressources à faire campagne pour le Parti démocrate aux élections nationales de mi-mandat. À ces élections, qui se sont déroulées en même temps que l’élection syndicale, la bureaucratie a utilisé des techniques avancées, organisé des événements publics, bombardé les membres du syndicat de publicités dans le but d’augmenter la participation en rappelant aux travailleurs les dates limites de vote.

Il n’y a pas d’explication innocente à ce contraste. Si le syndicat avait consacré les mêmes ressources à sa propre élection qu’à son soutien aux démocrates pour les élections de mi-mandat, la participation aurait indiscutablement été bien plus forte.

Une annonce adéquate est une condition élémentaire pour qu’une élection soit considérée comme démocratique. Les travailleurs ne peuvent pas voter dans une élection s’ils ne savent même pas qu’elle a lieu.

La bureaucratie de l’UAW avait clairement un motif impropre pour supprimer le vote. Les bureaucrates craignaient que des membres informés ne les mettent à la porte, les privant ainsi de leurs salaires à six chiffres, de leur accès aux 1,5  milliard de dollars d’actifs accumulés avec l’argent des cotisations et de tous leurs privilèges malsains, directs et indirects.

La protestation de Lehman documente le fait que le peu de préavis donné par le syndicat l’a été en grande partie par le biais d’un canal de communication – le système d’information des syndicats locaux (LUIS) – mis en place pour que les bureaucrates communiquent entre eux, et qui «excluait les membres», selon les termes du juge de district David Lawson, lors d’une audience dans l’affaire Lehman contre UAW, en novembre.

Résultat: les responsables syndicaux et leurs associés ont généralement été informés de l’élection et ont voté, mais la base n’a généralement pas voté. Cela a faussé le vote en faveur des candidats favorisés par la bureaucratie et a supprimé le vote pour Lehman, dont la campagne reflétait les intérêts et les aspirations de la base.

L’absence de notification fut aggravée par des carences généralisées des listes d’adresses postales et électroniques du syndicat, que celui-ci refuse obstinément de tenir correctement. Cela a entraîné le retour par la poste de plus de bulletins de vote non distribuables que ceux effectivement déposés. Beaucoup de travailleurs informés de l’élection, très souvent uniquement par la campagne de Lehman, n’ont pas pu voter n’ayant pu obtenir un bulletin de vote à temps.

En novembre, Lehman a intenté un procès pour demander une prolongation de 30  jours des délais dans lesquels les travailleurs devaient demander et envoyer les bulletins de vote. Cette demande a été rejetée après que le secrétaire au Travail du gouvernement Biden, Marty Walsh, les avocats représentant l’appareil de l’UAW et le contrôleur nommé par le tribunal s’y soient opposés.

«Si les bulletins continuent d’être envoyés à ce rythme chaque jour jusqu’à la date limite du 28  novembre», a averti Lehman durant le procès, «la participation totale sera d’environ 104.000». L’avertissement de Lehman fut étonnamment précis ; il s’est avéré qu’on a compté au total 104.776  bulletins.

Le taux de participation de 9  pour cent est l’un des plus faibles de toutes les élections syndicales directes de l’histoire américaine, voire le plus faible de tous les temps. Mais la participation parmi les travailleurs universitaires de la côte ouest fut encore plus faible et indique une discrimination délibérée de ces nouveaux membres, moins susceptibles de voter pour les candidats de l’appareil existant.

La section  4123 par exemple qui, selon son site Web, compte «plus de 11.000  membres», n’a reçu que 2.296  bulletins de vote, dont seuls 29 ont été envoyés au vote.

La section  5810 de l’UAW, qui représente les chercheurs universitaires et postdoctorants, n’a envoyé que 328  suffrages à l’élection de la direction nationale, mais 4.756 votes lors de la ratification d’un contrat, quelques semaines plus tard,. Cela prouve de manière irréfutable que c’est le manque de notification qui a causé le faible taux de participation et non l’«apathie» – mensonge insultant que la bureaucratie et ses complices promulguent à présent.

La protestation de Lehman documente également l’intimidation systématique dirigée contre les bénévoles de sa campagne sur les lieux de travail de tout le pays, dont une menace implicite de violence physique par le directeur de la région  4 de l’UAW, Brandon Campbell, le 17  décembre.

En outre, la protestation documente la façon dont le syndicat a délibérément mal informé ses membres sur les délais de vote et l’éligibilité, dans le but de supprimer le vote. Les bureaucrates ont dit aux travailleurs temporaires à temps partiel (TPT) qu’ils ne pouvaient pas voter même s’ils recevaient un bulletin de vote, et aux travailleurs de GM Arlington au Texas, et ailleurs, que le délai de vote était déjà passé alors que ce n’était pas le cas.

Pour couronner toute cette montagne d’inconduite, comme la cerise sur le gâteau, le vote de Will Lehman n’a manifestement pas été comptabilisé, bien qu’il ait posté son bulletin bien avant la date limite.

«Si l’UAW était un pays », écrit Lehman dans sa protestation, « l’appellerait-on une démocratie? Avec 9  pour cent, le taux de participation était plus de moitié inférieur à celui du pays où la participation aux élections nationales est la plus faible au monde, Haïti. C’est un taux de participation inférieur à celui des pays que l’indice de démocratie de The Economistclasse dans la catégorie des «régimes autoritaires».

Les élections directes de cette année – les premières dans l’histoire de l’UAW – ont été imposées au syndicat suite à un scandale de corruption qui a duré des années et s’est soldé par la condamnation, ou le plaidoyer de culpabilité, pour conspiration criminelle envers les membres, de nombreux membres du conseil exécutif, dont deux anciens présidents. Le ministère américain de la Justice a constaté l’existence d’une «culture de la corruption» parmi ces prétendus «dirigeants syndicaux» qui dépensaient des millions de dollars provenant des cotisations des travailleurs pour se payer un style de vie personnel grotesquement luxueux. Cela, tout en acceptant des pots-de-vin des directions d’entreprise pour imposer à leurs membres des contrats défavorables.

Le gouvernement américain a imposé à l’UAW un contrôleur nommé par un tribunal et la perspective d’élections directes ; non par quelque amour de la démocratie ouvrière, mais parce que sinon la bureaucratie syndicale n’aurait pas pu survivre. On a considéré ces élections comme un moyen de réhabiliter un syndicat qui pendant des décennies a été un instrument décisif pour contenir les revendications économiques des travailleurs, pour les garder politiquement sous la coupe du Parti démocrate et pour promouvoir les intérêts de l’impérialisme américain à l’extérieur.

La protestation formelle de Will Lehman place maintenant le syndicat, le gouvernement Biden et le contrôleur nommé par le tribunal face à un dilemme: 1) où ils reconnaissent que le candidat socialiste a raison et refont l’élection, déstabilisant ainsi encore plus un pilier crucial de la domination capitaliste en Amérique ou 2) ils continuent avec des résultat électoraux qu’un nombre croissant de membres de la base ne reconnaîtront jamais comme légitimes.

Il n’y a aucun doute que tout au long de cette élection, c’est Will Lehman et ceux qui ont soutenu sa campagne qui ont été à l’avant-garde de la lutte pour les intérêts et les droits démocratiques des travailleurs et travailleuses de la base, en opposition aux directions des entreprises, au gouvernement Biden, à l’appareil syndical de l’UAW dans son ensemble et au contrôleur nommé par le tribunal.

Cette lutte est menée alors qu’un nouveau cycle révolutionnaire s’ouvre et que des forces sociales massives se mettent de plus en plus en mouvement dans toutes les industries du monde. Directement et indirectement, sous de nombreuses formes différentes, les travailleurs s’opposent au système de profit et à ses défenseurs.

Dans les syndicats, cela se manifeste par une rébellion de la base contre des bureaucraties nationalistes corrompues qui répondent à leur tour par des méthodes anti-démocratiques et autoritaires. Dans ce contexte, la campagne de Lehman représente objectivement la manifestation la plus nette d’un élément de conscience de classe dans cette dynamique globale.

Si Lehman n’avait pas été candidat aux élections de l’UAW, il est probable que la suppression massive des votes aurait quand même eu lieu, même si elle n’aurait pas eu les mêmes virulentes proportions. Mais sans la participation active d’un candidat socialiste, des centaines de milliers de membres de la base et de retraités n’auraient pas pu voir aussi complètement toute l’étendue des conspirations antidémocratiques de la bureaucratie contre les membres.

C’est le travail actif de Lehman et des travailleurs et sympathisants du même avis – qui ont répondu aux appels à volontaires, ont été aux portes des usines avec des tracts et ont refusé de reculer face à l’intimidation et aux représailles – qui a rendu tout cela possible. Une campagne authentiquement socialiste a entièrement transformé, ce n’est pas une exagération, la dynamique politique de l’élection.

L’appareil de l’UAW préférerait maintenant oublier l’élection et poursuivre ses activités comme si de rien n’était. Mais même si la bureaucratie aimerait bien prétendre que l'élection était légitime, elle ne l'était pas, ni d’un point de vue légal ni aux yeux d’un nombre croissant de membres. La protestation formelle de Lehman n’est que la première étape de la campagne pour une nouvelle élection dans laquelle les membres exprimeront vraiment leur volonté démocratique.

«Je proteste en mon nom propre, comme membre et comme candidat, et au nom d’un million de mes frères et sœurs syndiqués qui n’ont pas voté à cette élection», écrit Lehman dans sa protestation. «Qu’ils aient voté pour moi ou pour un autre candidat, nous avions tous le droit de participer à une élection démocratique significative – ce que cette élection n’était pas».

La campagne de Lehman ne s’est jamais limitée à rassembler des votes. Il s’agissait de construire les fondations du pouvoir de la base, d’affirmer les besoins et aspirations indépendants de la classe ouvrière et de défier l’influence de la bureaucratie corrompue et anti-ouvrière.

Avec la protestation formelle de Lehman contre le résultat des élections, cette campagne entre maintenant dans une nouvelle phase. Il est essentiel que le contenu de cette protestation soit diffusé et discuté aussi largement que possible.

(Article paru d’abord en anglais le 30 décembre 2022)

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