L’opposition à la bureaucratie syndicale et aux politiques monétaires alimentera la lutte des classes aux États-Unis en 2023

Des travailleurs débrayent à l’usine CNH de Burlington, dans l’Iowa [Photo: UAW Region 4/Facebook]. [Photo: UAW Region 4/Facebook]

Les grèves ont augmenté aux États-Unis de manière significative au cours de l’année 2022 et la lutte des classes s’intensifiera en 2023. Les contrats d’environ 1,6 million de travailleurs arrivent à échéance. Le nombre de grandes grèves qui impliquent plus de 1.000 travailleurs est passé de 16 en 2021 à 22 en 2022, et le nombre total de travailleurs impliqués de 80.700 à 117.300, selon les chiffres du gouvernement.

L’École des relations industrielles et du travail de l’Université Cornell, qui suit également les grèves de moindre ampleur, a indiqué qu’il y a eu 374 arrêts de travail en 2022, soit une augmentation de 39 pour cent par rapport à 2021.

La plus grande grève de l’année dernière a été celle de 48.000 étudiants diplômés de l’Université de Californie à la fin de l’année. Sept des 22 plus grands arrêts de travail concernaient des travailleurs de la santé, ce qui souligne l’opposition à l’impact désastreux sur la santé publique de la suppression de toutes les restrictions liées au COVID-19.

Cependant, même ce chiffre est une sous-estimation importante de l’énorme niveau de colère sociale qui existe, car les bureaucraties syndicales pro-patronales ont empêché des centaines de milliers d’autres travailleurs, en particulier dans les industries clés, de sortir en grève. En décembre, 120.000 cheminots se sont vus imposer un contrat de travail par le Congrès, après que les syndicats aient délibérément prolongé les délais au-delà des élections de mi-mandat pour renforcer la position du gouvernement Biden.

La Maison-Blanche s’est également entendue avec le Syndicat international des dockers et des entrepôts pour empêcher une grève de 20.000 dockers de la côte ouest qui n’ont toujours pas de contrat sept mois après l’expiration de leur contrat. En février dernier, les Métallurgistes unis ont travaillé avec Biden pour empêcher une grève de 30.000 travailleurs de raffineries américaines et imposer un accord. Les bureaucrates des Métallurgistes unis se sont vantés du fait que le syndicat «n’a pas contribué à l’inflation». Les syndicats ont également permis à plus de 100.000 enseignants de New York et de Los Angeles, ainsi qu’à des dizaines de milliers de pilotes, hôtesses de l’air et autres travailleurs de compagnies aériennes de rester en poste bien après l’expiration de leurs contrats.

À la fin de l’année 2022, 17.000 infirmières d’une douzaine d’hôpitaux privés de la ville de New York ont voté à la quasi-unanimité en faveur de la grève. Mais l’association des infirmières de l’État de New York a annoncé un accord de principe dans le plus grand hôpital à la veille de la date limite de grève du 31 décembre.

Deux éléments fondamentaux ont dominé la croissance de la lutte de classe en 2022. Le premier était une opposition substantielle et croissante à la spirale du coût de la vie et aux conditions de travail intolérables. Le second était le conflit croissant entre la classe ouvrière et l’appareil syndical, surtout lorsque ce dernier s’est rapproché du gouvernement Biden pour réprimer les grèves et aider à contenir la croissance des salaires par le biais de contrats inférieurs aux normes. En conséquence, entre septembre 2021 et septembre 2022, la croissance des salaires était en fait plus faible pour les travailleurs syndiqués (3,6 pour cent) que pour les travailleurs non syndiqués (5,4 pour cent).

Cette rébellion a pris sa forme la plus consciente dans la croissance des comités de la base opposés à la fois à la direction et à l’appareil syndical. La campagne du travailleur de l’automobile Will Lehman pour la présidence du syndicat américain de l’automobile (United Auto Workers – UAW) qui appelait à l’abolition de la bureaucratie de l’UAW et à son remplacement par des organes démocratiques de pouvoir de la base, a trouvé un auditoire substantiel malgré les tentatives de l’UAW de passer sous silence la tenue même de l’élection.

L’année dernière, les cheminots de tout le pays ont également formé le Comité des cheminots de la base, qui a joué un rôle de premier plan dans l’organisation d’une opposition à la capitulation du syndicat face au gouvernement. Il a organisé une série de piquets d’information ainsi que des réunions publiques en ligne auxquelles ont participé plus de 1.000 personnes au total. De plus, au moins 106 déclarations de comités de base ont été publiées l’année dernière sur le World Socialist Web Site.

La lutte des classes va continuer à se développer de manière substantielle au cours de l’année 2023. Cette année, au moins 1,6 million de travailleurs aux États-Unis verront plus de 150 conventions collectives arriver à échéance, selon les chiffres compilés par Bloomberg Law.

Il s'agit notamment de:

* 5.000 travailleurs de Caterpillar, le 1er mars

* 200.000 postiers urbains de l’Association nationale des facteurs, le 20 mai

* 35.000 travailleurs des transports en commun de la ville de New York, le 31 mai

* 5.000 membres des Travailleurs unis de l’automobile et du Syndicat international des ouvriers de l’électricité (CWA) chez General Electric Aerospace, le 18 juin

* 150.000 travailleurs de la télévision et du théâtre de SAG-AFTRA, le 30 juin

* Plus de 300.000 travailleurs chez UPS le 31 juillet

* 150.000 membres de l’UAW chez General Motors, Ford et Stellantis (anciennement Fiat-Chrysler) le 14 septembre

* 3.500 membres de l’UAW chez Mack Trucks le 1er octobre

Un élément important de ces luttes sera la lutte contre les factions «réformistes» frauduleuses au sein de la bureaucratie qui ont pris ou sont susceptibles de prendre le contrôle de nombreux grands syndicats. Sean O’Brien, un ancien apparatchik de son prédécesseur, James Hoffa Jr, s’est fait élire à la présidence des Teamsters avec le soutien clé de Teamsters pour un syndicat démocratique. Il y a une réelle possibilité que le syndicat UAW soit contrôlé par Shawn Fain, un fonctionnaire de carrière soutenu par le groupe Unissons tous les travailleurs pour la démocratie.

Quelle que soit la posture adoptée par ces personnalités en matière de «responsabilité» ou de «part équitable» pour les travailleurs, elle sera mise à nu par la collision entre les travailleurs et le capitalisme américain qu’elles défendent. Les États-Unis sont une poudrière en proie à une crise sociale et politique massive, et le rôle assigné à la bureaucratie sera d’empêcher l’opposition des travailleurs d’échapper à son contrôle.

Cette crise va conférer à la lutte des classes un caractère explosif. Les analystes économiques ont déclaré qu’une récession majeure est presque une certitude en 2023. Cependant, il ne s’agit pas seulement du résultat de forces économiques impersonnelles, mais de politiques monétaires délibérées. Depuis l’année dernière, la Réserve fédérale a augmenté les taux d’intérêt dans les proportions les plus élevées depuis des décennies, dans le but avoué de freiner la croissance des salaires et d’augmenter le chômage comme une arme contre la classe ouvrière.

Au cours des six premiers mois de l’année dernière, la croissance mondiale des salaires réels après inflation a chuté de 0,9 pour cent, la première baisse de ce type au 21me siècle, selon l’Organisation internationale du travail. Cette baisse a été la plus marquée en Amérique du Nord, où les salaires réels ont diminué de 3,2 pour cent au cours des six premiers mois, suivie par l’UE, où les salaires ont diminué de 2,4 pour cent. Les chiffres pour le second semestre de l’année dernière seront presque certainement encore plus élevés, car l’impact de la hausse des taux d’intérêt a commencé à se faire sentir de manière plus aiguë.

«L’inégalité des revenus et la pauvreté augmenteront si le pouvoir d’achat des plus bas salaires n’est pas maintenu», a déclaré le directeur général de l’Organisation internationale du travail, Gilbert F. Houngbo. Il a averti que cela «pourrait alimenter de nouveaux troubles sociaux dans le monde entier».

Cependant, même cette baisse n’est pas suffisante pour les gouvernements et les banques centrales du monde entier, pour qui une croissance modeste des salaires, largement dépassée par l’inflation, est considérée comme une ponction intolérable sur les bénéfices. Bloomberg s’est récemment plaint d’une «déconnexion» entre les travailleurs qui «supposent à tort que leurs employeurs leur accorderont des augmentations en fonction de l’inflation» et «l’environnement actuel des prix» qui rendrait cette hypothèse «[non]-réaliste». La compagnie a souligné «l’écart entre les augmentations que les travailleurs attendent pour l’année prochaine – 5,5 pour cent, selon [la société de conseil Gartner Inc.] – et les prévisions budgétaires des entreprises, qui se situent généralement entre 3,5 et 4,5 pour cent».

L’une des principales causes de cette croissance des salaires absolus, selon un commentaire du magazine Fortune sur la politique monétaire de la Réserve fédérale le mois dernier, est la diminution de la taille de la population active, après 2 millions de départs à la retraite «excédentaires», motivés par la dégradation des conditions et la peur du COVID-19, et 400.000 décès liés au COVID parmi les Américains en âge de travailler.

Fortune ajoute: «La façon dont la Réserve fédérale gérera un marché du travail robuste, avec son effet sur l’inflation, pourrait s’avérer périlleuse. Powell et d’autres responsables de la Réserve fédérale ont déclaré qu’ils espéraient que leurs hausses de taux ralentiraient les dépenses de consommation et la croissance de l’emploi. Les entreprises supprimeraient alors un grand nombre de leurs offres d’emploi, ce qui atténuerait la demande de main-d’œuvre. Avec moins de concurrence pour l’accès aux travailleurs, les salaires pourraient commencer à augmenter plus lentement».

Déjà, on a licencié des dizaines de milliers de travailleurs dans le secteur de la technologie ces dernières semaines, Amazon ayant annoncé 18.000 suppressions de postes. Mais ce phénomène ne se limitera pas aux cols blancs. Mary Barra, PDG de General Motors, a récemment déclaré que le géant de l’automobile serait «très prudent» sur les coûts au cours de l’année prochaine.

Elle a ajouté, à propos du contrat de cette année: «Que veulent les gens? Ils veulent la sécurité de l’emploi et ils veulent être reconnus… et rémunérés de manière appropriée». Toutefois, cela n’était pas réaliste. «Ce sera intéressant, compte tenu de l’inflation et de la toile de fond économique [incertaine]», a-t-elle ajouté. «Peut-on prédire ce que sera la situation économique l’année prochaine? Je ne pense pas que quiconque le sache».

Le décor est planté pour une croissance massive de la lutte des classes en 2023, qui ne sera pas si facilement contenue par les méthodes traditionnelles.

Un conflit politique croissant émerge entre la classe ouvrière, d’une part, et le gouvernement Biden et tout l’establishment politique, d’autre part. Cela inclut ses éléments supposément «de gauche», tels que les membres des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA) qui ont voté pour imposer le contrat ferroviaire. La lutte des classes s’entrecroisera aussi puissamment avec la crise politique aux États-Unis.

La lutte de classe entre les travailleurs et le capital met aux prises des intérêts sociaux totalement antagonistes et mutuellement exclusifs. Avant tout, on verra l’apparition à la fois des conditions préalables et d’une prise de conscience de la nécessité pour la lutte de la classe ouvrière de se développer en un mouvement politique conscient contre le capitalisme.

(Article paru en anglais le 6 janvier 2023)

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