Les syndicats du rail britanniques RMT et ASLEF ne combattront pas les lois anti-grèves

Le gouvernement britannique a annoncé jeudi son intention d’imposer des restrictions radicales au droit de grève, permettant au patronat de forcer un nombre minimum de travailleurs à rester au travail pendant les grèves. Sa nouvelle loi s'appliquera entre autres aux pompiers, à la santé, aux transports et à l'éducation.

Des conducteurs de train de LNER montent un piquet à Leeds, le 13 août 2022 [Photo : WSWS]

Réagissant à la déclaration imminente du gouvernement, la confédération syndicale TUC a désavoué de manière préventive toute lutte contre la nouvelle loi. « Nos syndicats trouveront toujours des moyens […] de prendre des mesures efficaces [c'est-à-dire de se soumettre à la loi anti-grève] mais nous la contesterons légalement, » a déclaré au Financial Times sonsecrétaire général Paul Nowak

« Nous allons la contester politiquement et nous la contesterons devant les tribunaux, » a-t-il déclaré à LabourList.

Nowak donnait le ton aux dirigeants syndicaux pour dire aux travailleurs qu'ils devaient accepter ces attaques pendant que le cirque juridique et parlementaire suivrait son cours. Toute la bureaucratie syndicale lui a emboîté le pas, y compris ses représentants prétendument de gauche et militants.

Les nouvelles lois anti-grèves ont d'abord été conçues comme une réponse aux grèves nationales des chemins de fer. Mais leurs deux principaux dirigeants – Mick Lynch du syndicat RMT (Rail, Mer, Transports) et Mick Whelan du syndicat des conducteurs de train ASLEF – se sont précipités pour faire clairement comprendre qu'ils étaient en phase avec le TUC.

Le dirigeant du RMT, Mick Lynch, s'exprimant lors du rassemblement ‘Enough is Enough’ à Londres, le 1er octobre 2022 [Photo : WSWS]

Le jour où cette nouvelle législation a été annoncée, Lynch a accordé une interview au magazine Tribune. Il a été salué par tous les milieux bureaucratiques syndicaux, par la pseudo-gauche et par les grands médias comme la figure de proue d'un syndicalisme renouvelé et combatif. Mais malgré sa description précise des graves implications des plans du gouvernement, il n'avait rien à proposer aux travailleurs comme riposte.

Traitant la législation de «répressive», de «conscription» et d’«énorme suppression de nos droits humains», Lynch a expliqué que les employeurs obtenaient «le droit de réquisitionner des travailleurs […] S'ils ne franchissent pas les piquets de grève, ils peuvent être renvoyés. Et ce serait automatiquement un licenciement légal. Toute forme de dissidence à ce sujet peut entraîner une amende au syndicat pour Dieu sait combien d'argent ».

La loi annulerait effectivement « le droit d'être exempté de poursuites judiciaires pour pertes subies par des entreprises ou des particuliers si l’on fait grève », en place depuis 1913.

Cela signifiait que « faire grève deviendrait probablement inefficace dans de nombreux cas » et même gagner des scrutins de grèves deviendrait « extrêmement difficile ». Reconnaissant que ses propres membres en étaient la « cible immédiate », il a averti: « Cela n'est aussi que le début. Vous pouvez être sûr qu'ils feront encore d’autres lois».

Rien de ce que Lynch a ensuite préconisé ne pourrait en aucun cas combattre ce qu'il a appelé une «menace historique». Évoquant en passant la résistance « éventuellement par le biais de grèves », il a précisé le lendemain que son syndicat respecterait les restrictions du gouvernement et que la grève, si elle était déclenchée, se limiterait à « une grève du zèle […] le refus des heures supplémentaires, des débrayages partiels ».

Au lieu d’un plan coordonné et agressif de grèves mobilisant l'ensemble de la classe ouvrière, le dirigeant du RMT a déclaré dans son interview à Tribune que la campagne contre les lois anti-grève avait besoin du soutien « des églises, des mosquées, des gurdwaras, elle a besoin de tous les groupes religieux. Elle a besoin de la société civile et de tous les autres groupes militants, des écologistes aux organisations de défense des droits de l'homme ».

C'est là la politique anti-lutte de classe, libérale petite-bourgeoise du groupe de campagne Enough is Enough (Assez c’est Assez) dont Lynch est la figure de proue. Elle a été prêchée des décennies durant par la « gauche » travailliste et le Parti communiste stalinien qui ont joué un rôle clé dans la formation idéologique de son dirigeant, Jeremy Corbyn.

Enough is Enough a été mis en place par les restes de la gauche travailliste en déclin et par plusieurs syndicats pour aider à dissiper la colère des travailleurs et à détourner les critiques visant le Parti travailliste et les revendications pour une grève plus large. Son communiqué de presse sur la loi anti-grève dit seulement qu’une pétition était prévue, accompagnée « de réunions locales, de rassemblements et manifestations dans toute la Grande-Bretagne dans les semaines à venir ».

Une grande partie de la réputation de Lynch auprès des travailleurs est due à ses références l'automne dernier à la nécessité d'une grève générale pour battre les attaques du gouvernement conservateur. Aujourd'hui, malgré le nombre beaucoup plus important de travailleurs qui se mobilisent, toute cette rhétorique a été abandonnée afin de ne pas nuire à l'orientation résolue du TUC et de ses syndicats vers le Parti travailliste et d’autres partis d'opposition.

Lynch a déclaré à Tribune qu'une campagne contre les lois anti-grèves signifiait « revigorer les municipalités, les gouvernements régionaux et les institutions locales qui ont perdu leur pouvoir », pour orienter les travailleurs vers le Parti travailliste, le Parti national écossais et Plaid Cymru (parti nationaliste gallois).

Encouragé par son intervieweur, il a insisté sur la nécessité « de faire participer le courant dominant du Parti travailliste [...] Ils doivent lancer des appels pour que la législation soit stoppée ou, si nécessaire, abrogée ».

Son appel est basé sur une promesse du leader travailliste Sir Keir Starmer d'abandonner la loi des conservateurs s'il entrait en fonction. Mais cela n’a absolument aucune valeur.

Starmer a présenté le programme conjoint d'austérité et de réduction des salaires des travaillistes et des conservateurs, affichant clairement son hostilité aux grèves et à la classe ouvrière. Ses promesses ne valent rien. Il n’y a pas besoin de rappeler à Lynch que l'idole politique de Starmer, Tony Blair, avait promis de renationaliser les chemins de fer alors qu'il était dans l'opposition, abandonnant rapidement cette politique comme « trop chère » une fois au pouvoir.

Une dure leçon est donnée par les États-Unis et le rôle de l'organisation mère de Tribune,Jacobin, le journal des DSA (Socialistes démocratiques d’Amérique). Les DSA approuvèrent les candidats du Parti démocrate et soutinrent la campagne présidentielle de Joe Biden comme le moyen de combattre Donald Trump et les républicains, affirmant que cela donnerait «de l'espace » aux « militants syndicaux » pour agir. En réalité, cela a donné plus de moyens aux bureaucrates syndicaux de s’enrichir.

Lorsqu'il s'est agi d'une véritable lutte de la classe ouvrière dans l'industrie ferroviaire américaine, Biden et le Parti démocrate, en collusion avec les députés soutenus par les DSA comme Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, ont interdit la grève prévue. Sanders joua ce rôle quelques semaines seulement après été l’invité vedette d’un meeting de lancement d’Enough is Enough en Angleterre.

Lynch utilise la promesse sans valeur de « lendemains qui chantent » de Starmer pour excuser le refus du syndicat de lutter contre la loi anti-grèves maintenant, alors que les conservateurs sont toujours au pouvoir et qu’ils mènent une guerre de classe totale.

La réelle position de la bureaucratie syndicale a été présentée sans fard par Mick Whelan dans une interview à Sky News. Interrogé sur les lois anti-grèves, il a répondu sans détours: « Si nous devons nous y soumettre, nous le ferons ».

Le dirigeant de l'ASLEF, Mick Whelan [Photo : ASLEFunion /Twitter] [Photo: ASLEFunion/Twitter]

La seule contestation serait d'ordre juridique. Whelan a noté qu’« il était actuellement, avec onze autres syndicats, en train d'intenter une action en justice contre le dernier ensemble de lois qu'ils ont mis en place ». C’était des lois promulguées plus tôt cette année (article en anglais) permettant aux sociétés d'utiliser des travailleurs intérimaires comme briseurs de grève.

Il y a près de six ans, en 2017, des lois encore plus draconiennes ont été adoptées dans le cadre de la loi sur lessyndicats (article en anglais) sans que la bureaucratie syndicale n’organise aucune opposition. Cela s’inscrivait dans les maintenant quatre décennies de refus de combattre les lois anti-syndicales des conservateurs depuis celles introduites à l’époque de la Loi sur le travail de Margaret Thatcher en 1982, et cela malgré un vote de la conférence spéciale du TUC cette année-là pour le faire. Les recours judiciaires contre sa législation, portées devant la Cour européenne des droits de l'homme, la ligne de conduite préconisée une fois de plus par le TUC, ont toutes échoué.

Au cours des quatre décennies qui ont suivi, les syndicats ont présidé à l'aggravation des inégalités et à une chute sans précédent de la position sociale de la classe ouvrière, citant toujours les restrictions juridiques conservatrices comme la raison pour laquelle rien ne pouvait être fait.

Si les lois anti-grèves visent les syndicats, elles sont plus fondamentalement dirigées contre la classe ouvrière qui y est organisée. Elles visent à renforcer la détermination de la bureaucratie à affronter les revendications combatives des membres et mettent les syndicats plus fermement sous le contrôle de l'État. En même temps, elles fournissent à celle-ci l'excuse, désormais éculée, pour limiter ou abandonner toute action qui pourrait échapper à son contrôle.

Une lutte contre les plans draconiens du gouvernement conservateur ne peut réussir qu’à travers une lutte politique pour se débarrasser de l’emprise de la bureaucratie syndicale et rendre le contrôle à la base. De nouveaux organes dirigeants, des comités de la base dans les syndicats et parmi les trois quarts des travailleurs qui ne sont membres d'aucun syndicat, démocratiquement élus et directement responsables, peuvent mobiliser le mouvement de masse nécessaire pour renverser les lois de ce gouvernement et des décennies de baisse du niveau de vie.

(Article paru en anglais le 6 janvier 2023)

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