Après l’agression fasciste de Brasilia, Lula évoque la menace d’un coup d’État militaire

Jeudi, le nouveau président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, du Parti des travailleurs (PT), a donné des détails sur les réactions de son gouvernement et de l'armée à l'attaque lancée par des partisans fascistes de l'ancien président Jair Bolsonaro, le 8 janvier, contre les centres du pouvoir à Brasilia.

Le président Luiz Inácio Lula da  Silva lors d’un petit-déjeuner avec des journalistes au palais du Planalto, le vendredi  13  janvier 2023. [Photo: Marcelo Camargo/Agência Brasil] [Photo: Marcelo Camargo/Agência Brasil] [Photo: Marcelo Camargo/Agência Brasil]

Lors d’une conférence de presse, Lula a présenté cette conclusion inquiétante: s’il avait accepté d’appeler à une opération de Garantie de maintien de l’ordre (Garantia da lei e da ordem – GLO) comme l’avait proposé son ministre de la Défense, José Múcio Monteiro Filho, «alors oui, le coup d’État que ces gens voulaient se serait produit. Lula cessait d’être le gouvernement pour qu’un général puisse prendre le pouvoir».

L’invasion des bâtiments qui abritent les trois branches du gouvernement brésilien dimanche dernier représentait tant le point culminant de l’offensive de Bolsonaro et de ses alliés civils et militaires pour promouvoir un coup d’État visant à renverser l’élection, que le premier épisode d’une nouvelle étape politique du mouvement fasciste en développement au Brésil.

Les quelque 5.000  manifestants fascistes qui, après avoir quitté les portes du quartier général de l’armée, ont pris d’assaut les bâtiments de la Praça dos Três Poderes [Place des Trois Pouvoirs] ne demandaient pas une révision du résultat d’élections prétendument «truquées» pour déclarer Bolsonaro vainqueur. Ils ont bien plutôt appelé leur manifestation une «prise de pouvoir par le peuple» et exigé une «intervention des forces armées» inaugurant un nouveau régime militaire dictatorial au Brésil.

Les remarques de Lula jeudi ont dévoilé une voie concrète par laquelle les objectifs de ces forces fascistes auraient pu être réalisés.

Le dimanche après-midi, alors que les partisans de Bolsonaro occupaient toujours les bureaux du gouvernement, le ministre de la Défense Múcio, en réunion avec le commandant de l’armée, le général Júlio César de Arruda, a téléphoné à Lula et lui a proposé d’imposer un GLO. Selon les médias, le commandant avait affirmé avoir 2.500  soldats «en attente» pour intervenir à Brasilia. Lula, qui se trouvait à 800  km de la capitale, avait répondu «avec humeur à la possibilité que l’armée agisse pour contenir les putschistes au moyen d’une GLO», rapporte Folha de São Paulo.

La GLO est un dispositif juridique permettant au président brésilien, face à un «trouble de l’ordre public» dans lequel «on aurait atteint l’épuisement des instruments» prévus par la constitution, d’appeler à une opération «menée par les forces armées». Le recours de plus en plus fréquent à des missions de GLO, notamment sous les précédents gouvernements du PT, a été l’un des vecteurs de la réémergence de l’armée en tant qu’acteur principal dans la sphère politique brésilienne.

Comme Lula l’a admis lors de sa conférence de presse, avec la GLO proposé par Múcio et Arruda, il aurait été impossible de différencier les commandants de l’opération militaire des «agents de perturbation de l’ordre public» qu’elle était censée réprimer.

«De nombreux membres de la police militaire étaient de connivence, il y avait beaucoup de gens de l’intérieur des forces armées qui étaient de connivence», a déclaré Lula. Et de poursuivre: «Je suis convaincu qu’on a ouvert la porte du Palais présidentiel pour que les gens puissent y entrer, parce que la porte n’a pas été cassée.... Dans les vidéos que j’ai vues, j’ai vu des soldats de l’armée parler aux envahisseurs, j’ai vu des soldats chanter avec les envahisseurs».

Dans un autre aveu grave, Lula a décrit comment les militaires, après avoir permis à ceux qui avaient envahi les bureaux du gouvernement de retourner au campement devant le quartier général de l’armée, avaient empêché l’exécution d’un ordre d’arrestation visant les manifestants dimanche soir. Le président a déclaré qu’alors qu’on se servait de «deux chars» pour protéger le campement fasciste de l’action de la police, «le général m’a appelé pour me dire “Président, c’est très dangereux d’entrer dans le campement la nuit, il y a trop de gens, une catastrophe pourrait se produire”».

Le journal en ligne Métropoles, après s’être entretenu avec les ministres de Lula, a rapporté que les responsables gouvernementaux pensaient qu’«aux premières heures du matin, les militaires ont fait sortir les soldats de réserve et leurs familles du campement, empêchant qu’ils soient arrêtés». Parmi les participants notables au camp, souligne le journal, il y avait des proches du général Eduardo Villas Bôas, qui avait posté des photos de la scène.

Villas Bôas avait été nommé commandant de l’armée en 2015 par la présidente Dilma Rousseff, du PT, qui l’avait présenté comme un légaliste. Le général s’est ensuite fait connaître en rompant le silence relatif des militaires dans la vie politique brésilienne et en se prononçant contre l’octroi d’une ordonnance d’habeas corpus qui aurait permis à Lula, emprisonné pour corruption, de se présenter aux élections de 2018 contre Bolsonaro.

Alors qu’il contestait l’élection qu’il avait perdue, Bolsonaro a eu des réunions privées avec Villas Bôas, un mentor politique tout au long de son gouvernement. En novembre, le général s’est exprimé publiquement pour soutenir la «population [qui] continue de se rassembler aux portes des casernes en demandant de l’aide des forces armées». Il a averti que les tentatives des médias d’«isoler les manifestations» créeraient un autre «facteur de mécontentement», et a conclu: «L’histoire enseigne que les personnes qui luttent pour la liberté ne seront jamais vaincues».

Les faits présentés par le président brésilien jeudi conduisent à des conclusions inévitables.

Premièrement, l’attaque fasciste qui s’est produite à Brasilia dimanche dernier n’était pas simplement une attaque spontanée organisée par un groupe d’«extrémistes». Elle a été soigneusement conçue en collaboration avec des forces et des individus haut placés dans l’armée et l’État.

Deuxièmement, les forces militaires impliquées dans cette conspiration ont cherché à utiliser cet épisode comme levier pour étendre leur pouvoir politique sur l’État.

Troisièmement, cet épisode n’a pas signifié une défaite pour les forces fascistes qui l’ont promu. Elles continuent d’occuper des positions de pouvoir et continueront à préparer un coup d’État autoritaire.

Le PT et les forces politiques qui le soutiennent évitent soigneusement de tirer ces conclusions dont ils ont peur. Alors qu'ils voient les véritables dangers qui pèsent sur le gouvernement de Lula, leur réponse est une tentative désespérée d'apaiser les forces qui recherchent activement un coup d'État et de négocier avec elles .

Bien qu’il ait reconnu que son ministre de la Défense lui avait conseillé en pratique d’abdiquer le pouvoir et de le remettre aux généraux, Lula a insisté pour que Múcio reste en poste. On l’a maintenu pour essayer de forger un pont permanent entre le gouvernement et les militaires putschistes.

Même si le gouvernement du PT a refusé d’imposer une GLO en réponse à l’assaut fasciste de Brasilia, il dépend de plus en plus directement de la protection de l’armée. Le quotidien O Estado de São Pauloa rapporté mercredi que «face à l’appel à une nouvelle manifestation bolsonariste pour “reprendre le pouvoir”… des responsables du gouvernement Lula reconnaissent déjà demander l’aide des forces armées pour protéger les bâtiments publics de Brasilia».

Dans un acte de lâcheté remarquable, le ministre de la Justice de Lula a organisé vendredi une «cérémonie en l’honneur des agents qui ont agi dans la répression des actes de vandalisme sur la Praça dos  Três Poderes le dimanche  8», rapporte l’Estado. Le ministre Flávio Dino, qui gouvernait l’État du Maranhão au nom du Parti communiste maoïste du Brésil (PCdoB), a plaidé lamentablement auprès des putschistes: «Pour l’amour de Dieu, l’élection de 2022 est terminée, comprenez-le bien».

Les deux premières semaines de Lula au pouvoir confirment l’évaluation faite par le Groupe de l’égalité socialiste au Brésil (GSI) sur le rôle politique réactionnaire assigné au gouvernement du PT. À la veille des élections, le GSI déclarait:

Du point de vue de la classe dirigeante, un tel gouvernement «de gauche» ne représentera qu’un interrègne durant lequel elle pourra mieux se préparer à la mise en place d’une dictature pure et simple contre la classe ouvrière, comme celle que Bolsonaro préconise aujourd’hui. Le bilan de Lula et du PT, en particulier leur réponse aux menaces dictatoriales actuelles, ne laisse aucun doute qu’ils feront toutes les concessions aux putschistes.

Les efforts du PT et de ses alliés de la pseudo-gauche, comme le Parti Socialisme et Liberté (PSOL), pour convaincre la classe ouvrière et la jeunesse brésiliennes qu’il est possible de faire face aux menaces du fascisme par le biais d’un «large front» de la bourgeoisie contre Bolsonaro, ont été démasqués comme une fraude totale.

Le tournant de la classe dirigeante brésilienne vers le fascisme et d’autres formes de réaction politique est une réponse au développement des contradictions du capitalisme et à une explosion potentielle de la lutte des classes. Cette réaction bourgeoise ne peut être combattue que par une lutte pour un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière contre le capitalisme, ce qui signifie une confrontation directe avec le gouvernement du PT.

(Article paru d’abord en anglais le 14 janvier 2023)

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