Alors que l’opposition s’intensifie à la base, les syndicats d’enseignants de l’Ontario tentent d’amadouer leurs membres en vue de concessions majeures

Êtes-vous un enseignant ou un travailleur de soutien en éducation de l’Ontario? Faites-nous connaître votre opinion sur la capitulation du SCFP face à la lutte des travailleurs de soutien en éducation et sur les efforts des syndicats d’enseignants pour supprimer le mouvement de masse contre le gouvernement Ford. Contactez le Comité de base des travailleurs de l’éducation de l’Ontario au ontedrfc@gmail.com.

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Les 200.000 enseignants de l’Ontario sont en plein conflit de travail avec le gouvernement progressiste-conservateur de droite radicale du premier ministre Doug Ford. Les contrats des enseignants des écoles publiques et séparées (catholiques) – représentés par la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), la Fédération des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, (FEÉO), l’Association des enseignants franco-ontariens (AEFO) et l’Ontario English Catholic Teachers’ Association (OECTA) – ont expiré le 1er septembre de l’an dernier.

Tous les syndicats restent muets quant à leurs «revendications» et sur le contenu de leurs négociations avec Ford et son homme de main, le ministre de l’Éducation Stephen Lecce. Ces derniers se sont engagés à réduire de plusieurs centaines de millions de dollars le budget de l’éducation dans les années à venir. La dernière déclaration publique d’importance des syndicats d’enseignants porte sur le jugement rendu par la Cour supérieure de l’Ontario en novembre dernier, qui a déclaré inconstitutionnel le Projet de loi 124. Cette loi profondément impopulaire plafonnait les augmentations salariales pour un million de travailleurs du secteur public de l’Ontario à 1 % par année pendant trois ans à partir de 2019. Afin de dissimuler leur propre rôle dans l’application de la Loi 124 en acceptant des contrats remplis de concessions pour tous leurs membres, les syndicats d’enseignants ont alors salué la décision judiciaire comme une grande «victoire» pour les travailleurs, même si elle n’a rien fait pour inverser les réductions massives de salaire en termes réels qu’ils ont subies en raison de la loi illégale. Le gouvernement Ford est actuellement en train de faire appel de la décision du tribunal.

La grève des travailleurs de l’éducation de l’Ontario de novembre dernier, qui, à son apogée, menaçait d’entraîner un mouvement de grève générale à l’échelle de la province, a marqué une nouvelle étape dans l’opposition de la classe ouvrière à l’austérité capitaliste et aux réductions de salaires. Ci-dessus, des grévistes et leurs partisans manifestant devant l’Assemblée législative de l’Ontario, le 4 novembre 2022.

L’AEFO, qui représente 12.000 enseignants de langue française en Ontario, a dit qu’elle avait besoin de plus de temps pour se préparer. L’ETFO, qui représente 83.000 enseignants de l’élémentaire, a formulé quant à elle une vague demande de plafonnement plus strict de la taille des classes. Pourtant elle a bien accédé à une augmentation de la taille des classes dans le dernier contrat imposé par le gouvernement Ford en partenariat avec les syndicats au début de la pandémie de COVID-19 en 2020. L’OECTA, qui représente 45.000 enseignants des écoles séparées, n’a rendu publique pour sa part aucune information concernant ses négociations. Enfin, l’OSSTF, qui représente près de 60.000 enseignants du secondaire, n’a pas rendu aucun détail public, bien qu’elle ait présenté une offre d’ouverture au gouvernement, selon un reportage du Globe and Mail.

Une réunion publique organisée par la FEESO avant les vacances scolaires a révélé les tensions croissantes entre les dirigeants du syndicat et les enseignants de la base. Un membre du personnel enseignant qui a assisté à la réunion a accepté de parler au World Socialist Web Site sous couvert de l’anonymat.

Lors de la réunion, la présidente de la FEESO, Karen Littlewood, a prétendu de façon mensongère que les enseignants étaient confrontés à un gouvernement doté d’un fort mandat populaire. Selon le membre du personnel enseignant, Littlewood est allée jusqu’à dire que «ce gouvernement a une forte majorité et qu’il nous sera difficile de le combattre.»

En fait, Ford a «remporté» sa réélection en juin dernier avec le soutien de seulement 17,5 % de l’électorat.

L’expérience de la grève du personnel de soutien de l’automne dernier est encore plus importante pour comprendre la profondeur de l’opposition populaire à Ford et le rôle perfide des appareils syndicaux. Cinquante-cinq mille aides-enseignants, concierges, éducateurs de la petite enfance et personnel administratif ont défié la criminalisation préventive de leur grève par le gouvernement en vertu du Projet de loi 28 et l’utilisation de la «clause dérogatoire» antidémocratique pour ce faire. Leur action a galvanisé l’hostilité populaire de masse au programme d’austérité capitaliste du gouvernement, amenant Ford et Lecce au bord de céder.

Alors que l’on s’acheminait vers une grève générale, les dirigeants des principaux syndicats du Canada, dont Unifor, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et tous les syndicats de l’éducation de l’Ontario, sont intervenus avec l’appui du gouvernement fédéral Trudeau pour étouffer la grève et lancer une bouée de sauvetage à Ford. En échange de la promesse de Ford d’annuler le Projet de loi 28, les dirigeants syndicaux ont arbitrairement mis fin à la grève, sans la moindre consultation de leur base et sans qu’aucune des demandes des travailleurs ne soit satisfaite.

Cette trahison criminelle, qui avait déjà été précédée par la réduction de moitié des revendications salariales alors qu’on approchait de la grève, a permis au Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario, affilié au SCFP, d’adopter à toute vapeur un contrat de capitulation pourri. Il s’est ensuit une réduction massive des salaires en termes réels des travailleurs de soutien en éducation, qui sont les moins bien payés du secteur, et un abandon total de demandes d’augmentation des investissements en éducation.

L’OSSTF de Littlewood et les autres syndicats d’enseignants ont joué un rôle particulièrement odieux pendant la grève des travailleurs de soutien en éducation. Les quatre syndicats d’enseignants ont ordonné à leurs membres de franchir les piquets de grève et retransmis les menaces du gouvernement Ford qu’il prendrait des mesures disciplinaires contre quiconque ne se présentant pas au travail. Si l’on accepte l’affirmation de Littlewood selon laquelle Ford est en position de force, c’est principalement parce que les syndicats ont saboté un mouvement de masse qui aurait pu se battre pour des augmentations de salaire contre l’inflation pour tous les travailleurs de l’éducation et pour un financement accru de l’éducation publique, et lancer une action de la classe ouvrière pour faire tomber le gouvernement conservateur ontarien détesté défenseur des intérêts de la grande entreprise.

Les bureaucrates syndicaux agissent de la sorte parce qu’ils ne s’intéressent qu’à la défense de leurs privilèges de négociation collective, c’est-à-dire leur «droit» de s’asseoir autour d’une table avec Ford et Lecce et d’élaborer les concessions à imposer aux travailleurs. Littlewood a bien souligné ce fait lorsqu’elle a signalé en entrevue à la CBC que les relations de travail sont amicales entre son équipe de négociation et les représentants d’un gouvernement qui a voulu priver les travailleurs de l’éducation de leur droit de grève moins de trois mois auparavant, les soumettant à trois ans de «restriction salariale» et les forçant à retourner dans des écoles non sécuritaires au plus fort de la pandémie: «Le ton à la table est vraiment positif. C’est collégial. Nous avons réussi à signer quelques petits points.»

Bien que la capitulation du SCFP/CSCSO ait matériellement affaibli les travailleurs de l’éducation dans leur lutte, les conditions restent très favorables au développement d’un mouvement de masse de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste et pour la fin des réductions de salaires en termes réels. Les enseignants, comme tous les travailleurs, subissent de lourds coups portés à leurs moyens de subsistance en raison de l’inflation. Selon Statistique Canada, l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 6,3 % sur un an en décembre, soit une légère baisse par rapport aux 6,8 % du mois précédent. Toutefois, ce chiffre est trompeur. Une partie considérable du chèque de paie de tout travailleur est consacrée à l’achat de nourriture et d’essence. Les prix des produits alimentaires ont augmenté en moyenne de 11 % par rapport à l’année précédente au cours des cinq derniers mois, les fruits frais et les céréales ayant connu la plus forte hausse. Le prix de l’essence a augmenté de 28,5 % en moyenne annuelle.

Dans de telles conditions, l’engagement de Ford d’imposer aux enseignants un pourcentage d’augmentation annuelle encore plus faible que la misérable «augmentation» annuelle de 3,6 % qui a été imposée au personnel de soutien scolaire équivaut à un coup de poing sur la gueule.

Ford, l’héritier politique de la «révolution du bon sens» thatchérienne de Mike Harris, préside un gouvernement profondément isolé. La tentative de criminaliser le droit démocratique fondamental de faire la grève pendant la lutte des travailleurs de l’éducation de l’automne dernier est perçue à juste titre par les travailleurs comme un moyen manifestement autoritaire de mettre en œuvre un programme profondément impopulaire qui n’a aucun soutien dans la classe ouvrière. Ce programme comprend le financement et la privatisation de l’éducation publique, des soins de santé et d’une foule d’autres services publics, tout en offrant des contrats lucratifs et des occasions d’affaires à ses amis de la grande entreprise – la récente controverse sur le détournement de certaines parties de la ceinture verte de la région de Toronto à des fins de développement n’étant que l’exemple le plus frappant.

Pour bloquer l’émergence d’une lutte unifiée pour des augmentations de salaire et de financement, les syndicats d’enseignants intensifient leur promotion des politiques identitaires. Le membre du personnel enseignant de la FEESO qui a parlé au WSWS a relaté le fait que pratiquement rien n’était fait pour mobiliser les enseignants du secondaire, et encore moins pour les unir à leurs collègues du primaire, du secteur francophone et des écoles séparées. Au lieu de cela, il dit que la FEESO prévoit limiter son opposition aux attaques de Ford en mettant l’accent sur les questions d’«équité».

L’ETFO va probablement emboiter le pas. Faisant écho à la rhétorique des «antiracistes» comme Ibram X Kendi, l’ETFO publiait la semaine dernière un document soulignant la nécessité de «démanteler les structures suprématistes blanches qui sont ancrées dans: le programme et l’enseignement; l’évaluation; les politiques disciplinaires; et l’embauche, la promotion et la rétention». La bureaucratie syndicale invoque délibérément les politiques identitaires pour brouiller les pistes et empêcher les enseignants de formuler des revendications qui découlent de leur position de classe. De plus, l’accent mis sur l’embauche et le maintien en poste est révélateur des éléments carriéristes situés dans les échelons supérieurs de la bureaucratie syndicale, qui utilisent les politiques identitaires comme moyen de se disputer les privilèges et le pouvoir, et de profiter d’opportunités de carrière lucratives.

Les questions soulevées lors de la réunion publique de la FEESO reflètent la division entre les bureaucrates privilégiés et les enseignants de la base. Lorsqu’un enseignant a remis en question la nature secrète du processus de négociation, Littlewood n’a pu répondre qu’en disant qu’ils ne voulaient pas rendre publique leur stratégie parce que «ce n’est pas le moment de la transparence».

Interrogée sur la question de sortir en grève, Littlewood a rétorqué: «La grève est un processus stratégique. Nous devons aller en conciliation, sans conseil, puis attendre 17 jours avant de pouvoir adopter une position de grève légale. La grève doit être déclenchée au bon moment.»

L’invocation de barrières bureaucratiques pour justifier la prostration de la bureaucratie devant les attaques du gouvernement Ford ne convainc personne, surtout si l’on garde à l’esprit que les contrats des enseignants sont expirés depuis presque cinq mois, ce qui est plus que suffisant pour surmonter tous les obstacles de la «négociation collective» mis en place pour étouffer l’opposition de masse qui prévaut dans la classe ouvrière. Plus important encore, Littlewood prend apparemment ses auditeurs pour des imbéciles, puisqu’il n’y aurait pu y avoir de «moment» plus favorable pour organiser une grève qu’en coordination avec les travailleurs de soutien en éducation faiblement rémunérés et en faisant appel au soutien le plus large possible de tous les travailleurs pour la défense de l’éducation publique.

Dans l’état actuel des choses, la vague de soutien massive qui a trouvé sa première expression lors de la grève du personnel de soutien scolaire de novembre dernier reste forte. Pour que les enseignants puissent profiter de l’appui massif à l’éducation publique qui prévaut dans la classe ouvrière, ils doivent se joindre au Comité de base des travailleurs de l’éducation de l’Ontario (CBTEO) et le développer. Le CBTEO est la seule organisation qui se bat pour unifier tous les travailleurs de l’éducation et plus largement tous les travailleurs dans leur ensemble, dans une lutte commune contre le gouvernement Ford pour obtenir des augmentations de salaire supérieures à l’inflation, annuler les concessions imposées par les syndicats depuis des décennies et obtenir des milliards de dollars de nouveau financement pour les écoles.

(Article paru en anglais le 24 janvier 2023)

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