La législation britannique contre les grèves passe en troisième lecture au parlement

Les nouvelles lois antigrève de la Grande-Bretagne devraient entrer en vigueur d’ici l’été. Elles sont parmi les plus draconiennes au monde.

Le prochain vote sur le projet de loi sur les grèves (niveaux de service minimum) aura lieu le 30 janvier, avant qu’il ne soit soumis à la Chambre des Lords. Le projet de loi permettra au gouvernement d’imposer des niveaux de service minimum (MSL) à six secteurs de la main-d’œuvre, publics et privés, couvrant des industries clés. Les premiers à être soumis à la législation sont les services d’ambulance, d’incendie et de secours et les services ferroviaires. La législation sera ensuite imposée aux services de santé et d’éducation, à la sécurité des frontières et au démantèlement nucléaire.

Grève des ambulanciers à Sheffield, le 23 janvier 2023

Cela signifierait qu’une proportion importante de travailleurs (environ 20 pour cent) dans des secteurs vitaux de l’économie devrait continuer à travailler pendant une grève syndicale.

La loi vise à empêcher des millions de travailleurs de mener des grèves efficaces. Elle couvrira tous les pays du Royaume-Uni, à l’exception de l’Irlande du Nord.

La législation couvrira initialement plus de 130.000 travailleurs. Mais elle sera ensuite largement étendue pour couvrir bien plus de 5 millions de travailleurs. Il s’agit des 2,5 millions d’employés du secteur de l’éducation et d’environ 2,5 millions dans le domaine de la santé, et de plus de 650.000 travailleurs dans les transports, dont 310.000 dans les secteurs liés au transport de masse des passagers.

La loi sur les syndicats de 2016 a été la première législation britannique à définir ces secteurs comme des «services publics importants», en ajoutant «sauvetage» aux «services d’incendie» et en élargissant la définition des «services d’éducation» pour inclure «l’éducation des moins de 17 ans». Elle a imposé des seuils de scrutin pour les grèves et des seuils plus onéreux pour celles des industries clés.

À l’époque, le Parti travailliste n’avait fait qu’ergoter sur la formulation, déposant un amendement rejeté qui demandait que le seuil de 40 pour cent de participation aux scrutins ne s’applique qu’aux personnes travaillant dans des «services essentiels» tels que définis par l’Organisation internationale du travail: «dont l’interruption mettrait en danger la vie, la sécurité personnelle ou la santé de la population, en totalité ou en partie».

En vertu de la nouvelle législation, un pourcentage fixe de services déterminés par le gouvernement doit être autorisé à fonctionner pendant les grèves. Les travailleurs seraient nommés et chargés de travailler par les entreprises, en fait conscrits, même après avoir voté pour la grève lors d’un scrutin légal. Actuellement, seuls les agents de police, les membres des forces armées et certains agents pénitentiaires sont interdits de grève.

Le non-respect de ces lois par les travailleurs et les syndicats aura des conséquences draconiennes.

Le projet de loi met fin aux protections contre les licenciements abusifs consacrés par la loi de 1992 sur les syndicats et les relations de travail, dont la bibliothèque de la Chambre des communes note qu’elle «protège les employés contre les licenciements pour cause de participation à une action syndicale, en rendant ces licenciements automatiquement abusifs, à condition que l’action syndicale à laquelle ils participent soit protégée (ce qui signifie que le syndicat a respecté toutes les exigences juridiques)».

Un amendement au nouveau projet de loi «supprimerait cette protection pour tout employé qui prendrait part à une grève contrairement à un avis de travail valide d'un employeur qui a identifié un employé et lui a demandé de travailler».

La nouvelle loi ne permet pas seulement de licencier un travailleur qui défie un ordre de travailler. Elle permet le licenciement massif de tous les travailleurs impliqués dans une action de grève s’il est considéré qu’un syndicat n’a pas pris de mesures raisonnables pour s’assurer que les travailleurs spécifiés respectent les avis de travail.

Le document d’information de la Chambre des communes explique: «Étant donné que les actes visant à inciter les travailleurs à participer à des grèves ne seraient plus protégés contre une action en responsabilité civile délictuelle en vertu de l'article 219 si le syndicat “ne prend pas de mesures raisonnables” au titre du nouvel article 234E (b), tous les travailleurs qui participent à ces grèves perdraient leur protection contre le licenciement au titre de l’article 238A, même s’ils respectaient personnellement les avis de travail».

Enseignants en grève à l’école Knightswood, à Glasgow, le janvier 2023

Imposer la législation à des millions de travailleurs est au cœur des plans du gouvernement visant à réprimer la vague de grève qui touche actuellement des millions de travailleurs dans l’éducation et le service national de santé. Le 30 janvier, un vote de grève de plus de 33.000 membres de la Fire Brigades Union sera clôturé, un vote en faveur de la grève étant attendu. Le gouvernement a fait en sorte que les réglementations relatives au service minimum puissent être utilisées contre toute grève ayant lieu à partir du jour suivant la promulgation de la législation, même si le scrutin de grève correspondant aurait eu lieu avant l’adoption du projet de loi.

Le Parti travailliste s’est engagé à voter contre la loi, sachant que son adoption est une formalité étant donné l’importante majorité parlementaire des conservateurs. Cependant, la principale raison pour laquelle il s’oppose au projet de loi est qu’il est satisfait de l’ensemble de la législation antigrève adoptée par Margaret Thatcher, que le gouvernement Blair-Brown de 1997-2010 a maintenu dans son intégralité malgré l’énorme majorité du Parti travailliste.

Plus fondamentalement, le chef travailliste, sir Keir Starmer, soutient qu'il faut compter sur les syndicats pour réprimer les grèves en construisant un arrangement corporatiste dans lequel la bureaucratie syndicale travaille en étroite collaboration avec les grandes entreprises et le gouvernement.

S’opposant au projet de loi, la vice-présidente du Parti travailliste, Angela Rayner, a affirmé qu’un problème majeur de la législation est que, en France et en Espagne, où de telles lois sont en vigueur, ils «perdent beaucoup plus de jours de grève que la Grande-Bretagne. Est-ce que le ministre des Transports a pris le temps de parler à leurs gouvernements ou à leurs syndicats pour en tirer de véritables leçons?»

Les syndicats ont déclaré qu’ils n’engageraient que des actions juridiques pour s’opposer au projet de loi. Ni le Trades Union Congress (TUC) ni aucun de ses 48 syndicats affiliés n’organisent de grève pour le combattre. Le secrétaire général du TUC, Paul Nowak, s’est engagé à ce que les syndicats respectent les dispositions de la loi une fois qu’elle sera adoptée, en attendant qu’un futur gouvernement travailliste l’abroge.

Paul Nowak, chef désigné du Trades Union Congress, s’exprimant lors du rassemblement du CWU

Les syndicats appellent non seulement les députés travaillistes à s’opposer au projet de loi, mais aussi les députés conservateurs du parti au pouvoir qui le fait adopter.

En cherchant à légitimer ses plans, le gouvernement a fait valoir que «même l’Organisation internationale du travail – la gardienne des droits des travailleurs dans le monde, à laquelle le TUC lui-même souscrit – dit que les niveaux de service minimum sont un moyen proportionné d’équilibrer le droit de grève avec la nécessité de protéger le grand public».

De nombreuses restrictions aux grèves, y compris les exigences de services minimums, sont en effet autorisé par l’OIT, ce qui témoigne du caractère corrompu de la bureaucratie syndicale dans le monde entier et de la manière avec laquelle elle désarme les travailleurs face à une offensive brutale de guerre de classe menée par la classe dirigeante à l’échelle internationale.

Dans un article de décembre dernier, le World Socialist Web Site mettait en garde contre les implications du projet de loi alors en cours d’élaboration par le gouvernement, et son intention déclarée d’utiliser les forces armées contre le mouvement de grève en pleine expansion. Nous avons noté que «la législation sur les services minimums est déjà largement utilisée en Europe et a été le fer de lance du passage à la répression directe de l’État pour imposer une austérité brutale depuis l’effondrement financier mondial de 2008».

Le briefing de la Chambre des communes donne de nombreux exemples de la manière dont l’élite dirigeante prévoit utiliser ces mesures autoritaires auxquelles se soumettra la bureaucratie syndicale.

Il note qu’en Espagne, «le 23 septembre 2010, pour la première fois, une convention collective a été conclue entre le gouvernement [du Parti socialiste] et les deux principaux syndicats pour organiser un service minimum pendant la grève générale qui devait avoir lieu six jours plus tard. L’accord couvrait principalement le secteur des transports, les négociations dans tous les autres secteurs ayant échoué».

Quel que soit le mensonge que Starmer, Rayner et compagnie racontent maintenant, il est probable qu’un gouvernement travailliste découvre, une fois au pouvoir, les mérites de conserver les niveaux minimums de service, tout comme l’ont fait ses prédécesseurs des partisans de Tony Blaire en maintenant la dernière série de lois antigrèves du Parti conservateur.

(Article paru en anglais le 28 janvier 2023)

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