Inquiétude et colère en Chine après la levée de la politique du COVID zéro

La levée abrupte par le gouvernement chinois de la politique de COVID zéro qui avait permis de contenir la pandémie a été accueillie avec un mélange de stupeur, d’inquiétude, de colère et d’opposition, alors que le virus s’est rapidement propagé dans cette population de 1,3 milliard d’habitants. Alors que le bilan officiel des décès depuis le début du mois de décembre s’élève à 60.000, la modélisation effectuée par Airfinity estime prudemment le chiffre réel à 700.000.

La rue piétonne commerçante Qianmen au premier jour des vacances du Nouvel An lunaire à Pékin, le dimanche 22 janvier 2023 [AP Photo/Andy Wong]

Sous la pression incessante des grandes puissances impérialistes pour qu’il «ouvre» son économie, le régime du Parti communiste chinois (PCC) a profité des petites manifestations de la classe moyenne le mois dernier, qui réclamaient la «liberté» et la fin du «COVID zéro», pour accélérer de façon spectaculaire la levée de toutes les restrictions. En adoptant la politique meurtrière d’immunité collective des gouvernements du monde entier, le PCC a promu les mêmes mensonges selon lesquels les derniers variants sont «bénins», pas pires que la grippe et qu’il faut «vivre avec le virus» pour relancer l’économie.

Les médias traditionnels étant fortement contrôlés par l’État, la seule possibilité d’exprimer son opposition à cette soudaine volte-face réside dans les médias sociaux, qui sont eux-mêmes fortement surveillés et censurés. La plupart des plates-formes de médias sociaux telles que Weibo et Zhihu sont principalement utilisées par des sections de la classe moyenne, y compris les étudiants, ainsi que par les jeunes et les personnes d’âge moyen. Néanmoins, les médias sociaux donnent un aperçu des sentiments des travailleurs qui ne trouvent aucune expression dans la presse officielle – ni d’ailleurs dans les médias occidentaux qui, avec une hypocrisie stupéfiante, accusent désormais la Chine de pratiques répandues ailleurs dans le monde, comme la falsification ou la minimisation des statistiques sanitaires.

Peu de temps après la levée complète des mesures anti-COVID à la mi-décembre et l’augmentation rapide des infections dans tout le pays, les plateformes de médias sociaux étaient complètement dominées par des discussions sur la pandémie. Nombreux étaient ceux qui partageaient leurs symptômes après avoir subi un test positif, expliquaient que la plupart des personnes qu’ils connaissaient étaient infectées et se plaignaient de la difficulté de consulter un médecin ou même d’obtenir un test antigénique. Ceux qui n’étaient pas infectés étaient préoccupés par les mesures préventives. Une ou deux semaines plus tard, alors que le nombre de morts augmentait, les nécrologies de célébrités, d’intellectuels et d’anciens combattants ont commencé à apparaître, ainsi que des messages de travailleurs ordinaires sur la mort d’êtres chers.

Si le débat sur le COVID s’est atténué dans les médias sociaux, il est devenu plus critique. Les thèmes abordés sont les suivants: le contraste frappant entre les expériences quotidiennes et la propagande de l’État; pourquoi la levée du COVID zéro a-t-elle était si précipitée; l’efficacité des vaccins et le risque de réinfection; et les témoignages sur les symptômes du COVID long déjà ressentis par de nombreuses personnes.

Les trois messages ci-dessous et une sélection des réponses donnent une idée des discussions en cours. Ces trois messages sont toujours en ligne.

1. Le premier message publié le 16 janvier sur Weibo, en provenance de la province de Zhejiang, s’intitule «Vous voulez savoir comment mon grand-père est décédé?» Il décrivait en détail comment il allait initialement bien après avoir été infecté, mais que ses symptômes se sont aggravés très rapidement après avoir quitté l’hôpital. Il est mort très rapidement, 15 jours seulement après l’infection. Le message a reçu 9.000 likes, 1.000 commentaires et a été partagé 1.700 fois. Voici quelques-unes des réponses:

On pourrait vraiment dire que votre grand-père a été assassiné par ces experts de la santé qui ont fait valoir qu’[Omicron] n’est qu’un simple rhume, que les [infections] sont toutes asymptomatiques et que le COVID zéro devrait être levé.

Mes condoléances. Vous êtes à Wenzhou [une ville du Zhejiang]? Beaucoup de personnes âgées sont décédées. Je ne comprends pas comment cela a pu devenir aussi terrible.

J’étais à l’hôpital il y a quelques jours mais je n’ai pas pu avoir accès à un lit. J’ai dû rester dans la salle des urgences. Elle était remplie de personnes âgées, et pratiquement chaque jour, quelqu’un mourait… Toute ma vision de la vie a été remise en question pendant ces deux jours.

Un petit groupe de personnes malveillantes et de pleurnichards a suscité [l’opposition] de jeunes gens crédules, ce qui a accéléré la réalisation de cette tragédie catastrophique…

Mon grand-père a eu de la fièvre et s’est évanoui le 27 décembre, s’est fait hospitaliser le 28 décembre, a pu sortir de l’hôpital deux fois, a été conscient tout le temps, mais est décédé le 10 janvier. Y a-t-il raison de célébrer cette nouvelle année?

Mon grand-père est lui aussi décédé de façon très brutale. La veille [de son décès], il m’a dit de ne pas m’inquiéter et qu’il ne voulait pas aller à l’hôpital. Il est parti le lendemain matin, mais l’hôpital n’a même pas voulu inscrire COVID [comme cause] sur son certificat de décès. Dans quel monde vivons-nous! Au même moment, on signale [officiellement] une dizaine d’infections quotidiennes dans tout le pays.

La plupart des personnes à mon bureau [au travail] sont jeunes et fortes et ont moins de 40 ans. Cependant, 90 pour cent d’entre eux présentent encore des symptômes persistants même après un mois entier. Les personnes plus âgées doivent être encore plus prudentes.

2. Une chanson intitulée «Tout ira bien très bientôt» a été composée et publiée à la mi-décembre. Elle a ensuite été publiée à nouveau sur le compte officiel de l’agence de presse étatique Xinhua sur le TikTok chinois le 16 décembre. La chanson a été partagée alors que les infections de masse se multipliaient en Chine et a été interprétée lors du gala du Nouvel An de CCTV, un programme diffusé dans tout le pays et regardé par des centaines de millions de personnes à la veille du Nouvel An chinois. Les paroles de la chanson sont:

Pas de malaise, mon cher?
Bientôt, tout ira mieux.
À la fin d’une année spéciale
Il y a toujours des inquiétudes.
Tu n’as pas à avoir peur.
Parce que je suis toujours là.
Sois courageux! Prends la route avec optimisme!
Nous irons au cinéma ensemble
Nous irons au pub ensemble
Nous nous enfuirons ensemble
Nous rencontrerons des amis et boirons ensemble
Nous parlerons de nos soucis
Nous prendrons du soleil ensemble
Nous passerons du temps ensemble
Ensemble au coucher du soleil
Les masques ne sépareront plus
Nos beaux visages.

La chanson a provoqué des réactions de colère. Certains des commentaires les plus appréciés dans un fil de discussion sur Zhihu à propos de la chanson étaient les suivants:

Les paroles sont si dégoûtantes. Est-ce un réconfort? Non, c’est un vœu pieux et vide. Et aussi la ligne sur les masques, comment peut-on être aussi anti-intellectuel?

Cette chanson irait encore mieux si elle comportait une ligne sur «l’injection d’eau de Javel dans vos veines».

Si un membre de votre famille est décédé, que penseriez-vous de ces paroles? Cette chanson est encore plus sinistre que celle de Liu Huan qui disait aux travailleurs licenciés [dans les années 90] de «recommencer à zéro».

La chanson citée dans la dernière réponse, «Recommencer à zéro», a été publiée en 1997 avec le soutien de l’État, après que les licenciements massifs et les fermetures d’usines d’État ont entraîné la destruction de dizaines de millions d’emplois. De nombreux travailleurs n’ont jamais pu «recommencer à zéro».

3. Un long message publié sur Zhihu le 15 janvier intitulé «Notre fils adorable nous a quittés pour toujours» a reçu 1.204 commentaires. On y lit notamment:

«Mon fils n’avait que deux ans et un mois. Il était habituellement en très bonne santé et n’a eu que quatre fièvres après sa naissance. Nous n’aurions jamais pensé qu’il pouvait nous quitter à cause du COVID. La propagande des médias officiels disait que les enfants infectés par Omicron auraient des symptômes plus modérés, nous pensions donc qu’il pouvait simplement rester à la maison et recevoir des antipyrétiques. Nous savions aussi que l’enfant de notre voisin n’avait pas eu de problème en prenant [de l’Ibuprofène liquide antipyrétique] après avoir été infecté…»

«Sur le rapport de décès, la cause n’était pas le COVID. Nous avons examiné les données des États-Unis, de Hong Kong et de Taïwan, et nous avons vu des cas vraiment similaires de décès par encéphalite induite par le COVID. La plupart d’entre eux étaient âgés de moins de 13 ans, et beaucoup d’enfants de moins de 5 ans. Aucun de ces cas n’a été mentionné par les médias en Chine…»

«J’ai toujours eu l’impression de l’avoir emmené trop tard à l’hôpital. Cependant, à cette époque, les médecins de l’hôpital étaient eux aussi soumis à des conditions très difficiles. La plupart d’entre eux n’arrêtaient pas de tousser pendant leur travail. Maintenant, je me réveille souvent au milieu de la nuit et je pense à lui… Il me manque tellement, mais je ne peux pas revenir en arrière».

Les réponses comprenaient:

Câlins. Je viens de perdre ma fille dans des conditions similaires.

Après la levée du COVID zéro, je vis dans un logement loué parce que je dois aller travailler. Ma mère, ma femme et mes enfants restent à la maison tout le temps. J’apporte tous les produits de première nécessité à leur porte après avoir tout désinfecté à l’éthanol. C’est la seule raison pour laquelle ils n’ont pas été infectés jusqu’à présent. Mon enfant est trop jeune – il n’a que deux mois – et je suis extrêmement inquiète.

Mon enfant a été infecté alors qu’il n’avait qu’un peu plus de 20 jours. Son cœur a été endommagé, et certains indicateurs de santé sont encore élevés 42 jours plus tard.

La même chose est arrivée à ma fille. J’ai encore le cœur brisé en repensant à ce jour [où elle est décédée]. Cela fait un mois, mais elle me manque chaque jour.

Ma belle-mère est médecin. Plus de 90 pour cent des médecins et des infirmières travaillent bien qu’ils soient eux-mêmes malades. Ma belle-mère a commencé à voir des patients le deuxième jour après avoir subi un test positif, et a pratiqué une opération le troisième jour. Elle a plus de 60 ans, mais n’a eu qu’un jour de congé…

(Article paru en anglais le 31 janvier 2023)

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