Un demi-million de travailleurs britanniques font la grève

Jusqu’à 500.000 travailleurs ont pris part à des grèves nationales coordonnées mercredi, impliquant six grands syndicats. Il s’agit de la plus grande grève en une seule journée depuis le 30 novembre 2011, lorsque deux millions de personnes avaient fait grève contre les réductions de pensions de la coalition conservateurs/libéraux-démocrates.

Grévistes et manifestants lors du rassemblement du Trades Union Congress (Congrès des syndicats britanniques) à Whitehall, le 1er février 2023

Environ 300.000 enseignants étaient en grève dans 23.000 écoles (plus de huit écoles sur dix), à l’appel du Syndicat de l’éducation nationale (NEU). Selon les chiffres du gouvernement, 51,7 pour cent des écoles financées par l’État étaient partiellement ou totalement fermées. Les grèves ont également entraîné la fermeture des 150 universités, en raison du débrayage de 70.000 enseignants membres du Syndicat des universités et des collèges. Il s’agissait du premier des 18 arrêts de travail prévus au cours des deux prochains mois.

Des milliers d’enseignants de l’Educational Institute d’Écosse ont fait grève au cours de la troisième semaine de grèves reconductibles.

100.000 fonctionnaires, membres du Syndicat des services publics et commerciaux (PCS), ont également fait grève. Leur arrêt de travail a touché les départements de Whitehall, les régulateurs et autres agences, les musées et les agences pour l’emploi. Les postes-frontière ont été également touchés, le gouvernement ayant fait appel à du personnel militaire pour vérifier les passeports.

Les transports ferroviaires ont été également durement touchés. Un tiers des services étaient maintenus sur l’ensemble du réseau. Les 12.500 conducteurs de train membres des syndicats ASLEF et le Syndicat Rail, Maritime et Transport (RMT) ont mené une action commune.

Les grèves ont été organisées pour coïncider avec l’adoption lundi par le Parlement d’une nouvelle législation antigrève, qui devrait entrer en vigueur d’ici l’été. Le projet de loi sur les grèves (niveaux de service minimum) donne aux ministres le pouvoir d’imposer des niveaux de service minimum (NSM) pendant les grèves dans des secteurs clés de l’économie. Les grèves ferroviaires et les services d’urgence (ambulances, pompiers et sauveteurs) seront les premiers à faire l’objet de mesures restrictives. Elles s’appliqueront ensuite à toutes les grèves dans les secteurs des transports, de la santé et de l’éducation.

La principale manifestation du Congrès des syndicats britanniques (TUC) à Londres a vu 40.000 personnes défiler de Portland Place à Whitehall où un rassemblement a eu lieu près de Downing Street. De plus petits rassemblements de quelques centaines à plusieurs milliers de personnes ont eu lieu dans des villes comme Birmingham, Sheffield, Leeds, Bristol et Manchester.

Les grèves et les manifestations expriment la détermination de millions de travailleurs qui sont en lutte prolongée avec un gouvernement conservateur et des employeurs qui refusent toute concession. Parmi les participants aux marches et aux rassemblements figuraient les pompiers qui viennent de voter à une large majorité la grève pour une augmentation de salaire.

Pompiers défilant à Sheffield lors de la manifestation contre le projet de loi sur les grèves, le 1er février 2023

Lors de la manifestation de Londres, Jack, un enseignant du secondaire, a déclaré au WSWS: «Je pense que les réductions du financement de l’éducation ont tout simplement paralysé l’ensemble de notre personnel et les salaires ont baissé dans toutes les matières. Nous ne pouvons pas trouver suffisamment d’enseignants et c’est une conséquence directe du gouvernement conservateur. Cela concerne les enfants, car s’ils n’ont pas d’enseignants correctement payés, je ne vois pas comment ils vont pouvoir se développer comme ils le devraient. Les enfants qui sont à l’école aujourd’hui n’ont connu que l’austérité, alors je pense que c’est le moment que nous essayions de mettre un terme à cela».

Jack, enseignant du secondaire

Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait des milliards dépensés pour la guerre contre la Russie en Ukraine, Jack a répondu: «Le gouvernement conservateur utilise la guerre en Ukraine comme prétexte pour dire “nous ne pouvons pas financer ceci”, “nous ne pouvons pas financer cela”, mais ces problèmes [les réductions du financement de l’éducation] existaient avant la guerre en Ukraine et continueront d’exister après la guerre. C’est un symptôme de la façon dont le Royaume-Uni est gouverné».

Concernant la promesse du chef travailliste sir Keir Starmer d’abroger en cours de mandat la loi sur les grèves, Derek a déclaré: «Je pense que si nous comptons attendre que Keir Starmer fasse quelque chose pour les travailleurs, nous attendrons longtemps!»

Le nombre de grévistes et de manifestants aurait été bien plus important si les syndicats avaient cherché à mobiliser la classe ouvrière contre la criminalisation des grèves et la plus grande menace jamais organisée contre les droits démocratiques des travailleurs. Les grèves auxquelles les travailleurs ont pris part mercredi étaient des protestations continues réclamant une augmentation de salaire et s’opposant aux attaques contre les conditions de travail et les pensions. Bien que des centaines de milliers d’infirmières et d’ambulanciers du National Health Service aient participé à des grèves ces dernières semaines, les syndicats de la santé ont veillé à ce que pas un seul travailleur du NHS ne participe à la grève de mercredi.

Le projet de loi sur les grèves a été présenté au Parlement le 10 janvier et la loi a été adoptée en deuxième lecture (16 janvier) et en troisième lecture (30 janvier) sans qu’aucune grève ne soit déclenchée. Il se trouve maintenant à la Chambre des Lords, où sa première lecture a été adoptée mardi.

Le TUC a cherché à maintenir l’opposition au projet de loi aussi discrète que possible, organisant même certains de ses rassemblements «Protégeons le droit de grève» le mercredi dans des pubs!

Dans la lignée de sa répression de la lutte des classes, la bureaucratie syndicale a maintenu la campagne contre le projet de loi limitée à l’appel aux députés, y compris les députés conservateurs, à s’y opposer. À cette fin, le chef du TUC Paul Nowak a remis une pétition contre le projet de loi à Downing Street à la fin du rassemblement de Londres.

Paul Nowak, chef du TUC, lors du rassemblement à Whitehall, le 1er février 2023

Loin d’appeler à de nouvelles actions syndicales, les dirigeants syndicaux ont supplié le gouvernement de conclure un accord salarial «raisonnable» qui est inférieur à l’inflation – mais qui pourrait être présentable à leurs membres. Au lendemain de pourparlers de dernière minute avec le gouvernement pour tenter d’éviter l’action de mercredi, les co-secrétaires généraux du NEU, Mary Bousted et Kevin Courtney, ont lancé un appel peu enthousiaste: «Aujourd’hui, nous avons la secrétaire à l’éducation à l’oeil. Elle a jusqu’à notre prochain jour de grève en Angleterre, le 28 février [dans un mois!], pour changer de position».

Le chef du RMT, Mick Lynch, a fait son discours démagogique habituel, déclarant: «Nous sommes la classe ouvrière, et nous sommes de retour». Mais il l’a fait après avoir accepté de soumettre un accord au rabais traitre à ses 40.000 membres dans le but de mettre fin à leur grève.

Tout en lançant l’appel occasionnel à une grève générale de protestation d’une journée contre le projet de loi MSL, il exhorte les travailleurs à faire pression sur les députés conservateurs pour qu’ils votent contre. Il a déclaré cette semaine: «Nous devons atteindre les députés… Divisons le parti conservateur sur ce projet de loi».

Mick Lynch, chef du syndicat RMT, s’exprime lors du rassemblement à Whitehall, le 1er février 2023

Le programme de Lynch est basé sur la mobilisation de tout le monde sauf de la classe ouvrière, comme il l’a articulé lundi soir lors d’une réunion publique aux côtés de l’ancien chef travailliste Jeremy Corbyn dans sa circonscription d’Islington North.

Il a fait l’éloge des rassemblements «Enough is Enough» (trop c’est trop), parce que «dans le cadre de notre action, j’ai été dans des cathédrales, des églises paroissiales, des temples, des gurdwaras, des mosquées, des mairies, des centres communautaires locaux comme celui-ci…»

Il a déclaré à propos de toutes les canailles politiques: «Nous devons mobiliser tout le monde. Que vous soyez un nationaliste écossais, un nationaliste gallois, un libéral-démocrate» – et, dans un clin d’œil désobligé à ses apologistes de pseudo-gauche, «un socialiste pur et dur, quoi que vous soyez, d’un pays imaginaire». Lançant un appel direct à la paix avec Starmer et la droite blairiste, il a exhorté: «Abandonnons nos divisions. Laissons tomber nos différences… Oublions l’histoire dont ce mouvement est criblé. Nous devons trouver la capacité de nous unir».

La voie à suivre pour la classe ouvrière consiste à rejeter la politique réactionnaire de Lynch et de toutes les autres factions de la bureaucratie travailliste et syndicale.

Le Parti de l’égalité socialiste a distribué sa déclaration sur les piquets de grève, «Une stratégie socialiste pour vaincre les lois antigrève», dans laquelle nous expliquons: «Les travailleurs doivent prendre leur destin en main. Nous appelons à la construction de comités de base qui fonctionneront indépendamment de la bureaucratie syndicale afin de planifier une action commune parmi les plus larges sections de la classe ouvrière dans une lutte pour mobiliser la grève générale afin de faire tomber le gouvernement conservateur que tant de travailleurs réclament…»

«Les travailleurs ne peuvent pas s’opposer à l’offensive du gouvernement conservateur, qui a le soutien de fait de tous les partis d’opposition, sans adopter une stratégie internationale basée sur l’unification des travailleurs du monde entier contre les coupes sauvages imposées dans tous les pays et la menace existentielle d’une troisième guerre mondiale menée avec des armes nucléaires».

Nous avons souligné qu’en tendant la main aux millions de travailleurs français qui protestent actuellement contre le détesté «président des riches» Macron et d’autres dans toute l’Europe, ils peuvent «forger une force imparable capable d’affronter et de vaincre les gouvernements bellicistes et les entreprises mondiales, les banques et l’oligarchie financière qu’ils servent tous».

(Article paru en anglais le 2 février 2023)

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