Des milliers de travailleurs portuaires sri-lankais protestent contre les hausses d’impôts

Lundi, plus de 6.000  salariés du port ont manifesté pendant leur pause déjeuner d’une heure devant l’entrée principale du port de Colombo. Leur principale revendication au gouvernement était qu’il retire ses hausses d’impôt sur le revenu ; ils protestaient aussi contre la montée de l’inflation.

Des employés du port de Colombo sortent le 30  janvier 2023 pour participer à la manifestation de midi contre l’augmentation de l’impôt sur le revenu par le gouvernement.

La manifestation a rassemblé des travailleurs des terminaux portuaires publics, ainsi que 1.500  employés de la société privée Colombo Dockyard Company. C’était la deuxième manifestation des travailleurs portuaires sur ces questions au cours des deux dernières semaines.

Une série de grèves et de manifestations contre les taux d’imposition sur le revenu se déroulent dans tout le Sri Lanka depuis le 20  janvier. Y participent des dizaines de milliers de travailleurs, notamment des médecins, des ingénieurs, des employés de banque et des travailleurs du secteur pétrolier.

Les nouveaux taux d’imposition font partie du budget d’austérité  2023 du président Ranil Wickremesinghe, annoncé en novembre. Ce budget prévoit une réduction drastique des dépenses publiques à travers la destruction de milliers d’emplois du secteur public, la privatisation d’entreprises publiques, la réduction des subventions et d’autres mesures. Ces mesures sont conformes aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention d’un prêt de sauvetage de 2,9  milliards de dollars.

Les travailleurs ont montré leur détermination à lutter contre ces attaques mais les syndicats ont délibérément limité les protestations à l’impôt sur le revenu, dans l’espoir de bloquer une lutte nationale unifiée contre toutes les mesures d’austérité du gouvernement.

La classe ouvrière est poussée à l’action par la pandémie de COVID-19 qui cause les ravages, l’hyperinflation – qui dépasse maintenant 50  pour cent – la famine et la malnutrition généralisées, les pertes d’emploi, l’érosion des soins de santé publique et l’interruption de l’éducation de ses enfants.

L’opinion publique est aussi de plus en plus préoccupée par les actions antidémocratiques répressives de Colombo. On utilise notamment la loi sur la prévention du terrorisme pour détenir des étudiants et on déploie massivement une police lourdement armée pour réprimer violemment les travailleurs et les étudiants qui manifestent.

La nouvelle vague de protestations et de grèves à travers le Sri Lanka, s’inscrit dans le cadre d’une recrudescence des luttes de la classe ouvrière au niveau international. Cela terrifie le régime de Wickremesinghe, ainsi que les partis parlementaires d’opposition et les syndicats.

La bureaucratie syndicale sri-lankaise a réagi à ces développements en insistant pour dire que de nouvelles protestations forceraient le gouvernement à retirer ses augmentations d’impôts sur le revenu.

Dans le même temps, les syndicats tentent de subordonner les travailleurs aux partis d’opposition Samagi Jana Balawegaya (SJB) et Janatha Vimukthi Peramuna (JVP). Ces partis capitalistes prétendent faussement qu’un nouveau gouvernement, sous leur direction, résoudrait la crise sociale désespérée à laquelle sont confrontées les masses.

Les dirigeants syndicaux portuaires ont à nouveau entretenu ces illusions lors de la manifestation de lundi.

Niroshan Gorakana, secrétaire général du All Ceylon General Port Employees Union, affilié au JVP, a déclaré que si le gouvernement ne révisait pas sa hausse des taxes «dans les deux prochaines semaines», alors «Ranil [Wickremesinghe] peut rentrer chez lui».

Les syndicats portuaires, a-t-il dit, mèneront une action conjointe avec les travailleurs de la Ceylon Petroleum Corporation et de la Ceylon Electricity Board. La semaine dernière, Gorakana a déclaré aux travailleurs portuaires que le régime de Wickremesinghe devait démissionner, ouvrant ainsi la voie à un nouveau gouvernement sri-lankais, c’est-à-dire au JVP.

Prasanna Kalutharage, leader du Sri Lanka Freedom Employees Union, qui est affilié au Sri Lanka Freedom Party (SLFP), a déclaré aux manifestants: «Nous sommes prêts à payer des impôts» si le gouvernement reprend l’argent qu’il a donné aux gros businessmen ».

Udeni Kaluthantri, dirigeant d'un syndicat portuaire affilié au SJB, a déclaré à la foule : « Élisons un dirigeant démocratique, organisons une élection, puis nous verrons si nous pouvons payer des impôts. »

Des milliers de travailleurs portuaires se sont rassemblés devant l’entrée principale du port de Colombo le 30  janvier 2023. Ils exigeaient que le gouvernement Wickeremesinghe retire les nouveaux taux d’imposition sur le revenu.

Ces proclamations démagogiques dissimulent le fait que les augmentations de l’impôt sur le revenu ont été dictées au régime Wickremesinghe par le FMI et que tout futur gouvernement SJB ou JVP mettra en œuvre les exigences de celui-ci.

Ces partis sont tous voués au programme d’austérité du FMI et toutes les différences qu’ils ont avec le gouvernement Wickremesinghe sont tactiques. Leur principale préoccupation est que le régime actuel de Wickremesinghe ne sera pas en mesure de supprimer l’opposition de la classe ouvrière qui représente une menace mortelle pour l’élite capitaliste sri-lankaise.

Le président Wickremesinghe et son gouvernement ont insisté à maintes reprises sur leur détermination à imposer les exigences du FMI. S’adressant à une récente réunion de moines bouddhistes, Wickremesinghe a déclaré que son budget  2023 ne changerait pas.

Si l’augmentation des impôts sur le revenu et des mesures similaires n’étaient pas mises en œuvre, a-t-il déclaré, «les pays étrangers ne nous soutiendront pas. Il est très difficile d’argumenter avec eux. Sur trois ans, nous devons augmenter les recettes de l’État de 75  pour cent».

Wickremesinghe n’a pas expliqué que cette énorme augmentation des recettes de l’État avait pour but de rembourser les investisseurs étrangers et les banques pour les dettes massives accumulées par l’élite capitaliste sri-lankaise.

Signe de la détermination du gouvernement à supprimer des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur public, le ministre Bandula Gunawardana a déclaré mardi aux médias que Colombo allait intensifier les suppressions d’emplois dans toutes les institutions gouvernementales en mettant en place un «mécanisme d’auto-retraite».

Les membres du Parti de l’égalité socialiste (SEP) sont intervenus dans la manifestation des travailleurs portuaires lundi, distribuant des centaines de tracts et expliquant la source des attaques gouvernementales.

Les membres du SEP ont expliqué comment et pourquoi les syndicats empêchaient les travailleurs de développer une lutte sociale et politique unifiée contre ces attaques gouvernementales, et la nécessité de construire des comités d’action indépendants des syndicats.

Le SEP se bat pour une mobilisation indépendante de la classe ouvrière, capable de rallier les pauvres des zones rurales, dans une lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan. Ce gouvernement mettra en œuvre une politique socialiste dans le cadre de la lutte pour le socialisme international. Afin de faire avancer cette lutte, le SEP a appelé à un Congrès démocratique et socialiste des travailleurs et des pauvres ruraux. Celui-ci sera basé sur des délégués élus par des comités d’action construits sur chaque lieu de travail, dans chaque plantation et dans chaque grand centre économique.

Hostiles à cette perspective, certains bureaucrates syndicaux en colère ont essayé d’empêcher les membres du SEP de parler aux travailleurs portuaires. Les travailleurs ont cependant, rejeté la censure des bureaucrates et défendu les droits démocratiques des militants du SEP.

Un travailleur de l’autorité portuaire de plus de 20  ans d’expérience à la division de la navigation a dit aux militants du SEP: «Le gouvernement applique le programme du FMI. Cette semaine, on a coupé un total de 4.000  roupies (10  dollars américains) au salaire de base et à d’autres allocations. Cela montera encore le mois prochain».

Il a fait référence aux manifestations de masse et aux grèves de l’année dernière qui ont forcé la démission du président de l’époque, Gotabaya Rajapakse, et de son gouvernement. «On aurait eu un gouvernement de la classe ouvrière», a-t-il déclaré, «si on avait donné aux travailleurs une véritable direction».

«Je pense que les syndicats ont travaillé pour empêcher ce genre de lutte parce qu’ils représentent les partis politiques déjà présents au parlement. La vérité est qu’ils [les syndicats] sont le véritable obstacle [à nos luttes]», a-t-il ajouté.

Un jeune dessinateur du chantier maritime a expliqué que les nouveaux taux d’imposition réduiraient son salaire de 86.000  roupies (235  dollars US). «Wickremesinghe n’a pas réussi à répondre aux besoins du peuple», a-t-il déclaré, mais il espère qu’un nouveau groupe de «personnes honnêtes» dans un nouveau parlement résoudra la crise sociale.

Un ouvrier du chantier naval privé de Colombo a déclaré: «Tous les employés de notre entreprise verront leurs salaires réduits par ces augmentations d’impôt». Il a également fait référence aux manifestations de masse d’avril à juillet contre le gouvernement. «Bien que le peuple se soit manifesté, les dirigeants ont eu peur. Les dirigeants syndicaux ont passé des accords avec les politiciens», a-t-il dit.

(Article paru d’abord en anglais le 2 février 2023)

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