Sri Lanka : plus de 50 000 travailleurs font grève et manifestent contre les mesures d’austérité du gouvernement Wickremesinghe

Plus de 50.000  travailleurs se sont joints mercredi à des grèves et manifestations dans toute l’île pour lutter contre la dernière série d’attaques sociales décidées par le Fonds monétaire international (FMI) et mises en œuvre par le gouvernement Wickremesinghe. Si l’action s’est principalement concentrée sur les nouvelles taxes sur les salaires, les manifestants ont également dénoncé l’augmentation insupportable du coût de la vie.

Des travailleurs de la Petroleum Corporation manifestent au Fort de Colombo, le 8  février 2023. [Photo : WSWS]

Des milliers de travailleurs de l’entreprise publique Petroleum Corporation ont fait grève une demi-journée, ainsi qu’une trentaine de milliers d’employés des banques publiques et privées. Environ 5.000  enseignants des universités publiques et 20.000  médecins des hôpitaux publics ont fait grève une journée. La grève des médecins a exempté les services de traitement du cancer, les maternités, les services d’urgence et les services pour enfants.

Environ 6.000  travailleurs des ports ont fait une demi-journée de grève du zèle. Des milliers de travailleurs de l’Office de l’électricité de Ceylan (CEB), à l’exception de ceux qui s’occupent des pannes, ont participé à une campagne de congé de maladie.

À Colombo, des milliers de travailleurs portuaires et d’employés du Service des eaux et d’assainissement ont participé à une manifestation à l’heure du déjeuner devant la gare ferroviaire de Fort pour protester contre les hausses de prix. Ils ont exigé que le gouvernement retire ses hausses d’impôts. Cette manifestation fut suivie d’une autre d’une heure, organisée par plusieurs syndicats de la Ceylon Petroleum Corporation ; et environ 4.000  employés du CEB ont manifesté devant le siège de celui-ci. Plus tard dans l’après-midi, environ 4.000  médecins, professeurs d’université, ingénieurs et autres professionnels ont manifesté dans le Hyde Park de Colombo.

Des travailleurs portuaires manifestent au Fort de Colombo contre l'augmentation de l'impôt sur le revenu, le 8 février 2023.

Indiquant qu’il était prêt à déchaîner la violence de l’État contre la classe ouvrière, le gouvernement Wickremesinghe a déployé des centaines de policiers, dont la police anti-émeute équipée de camions-canons à eau, près des sites de manifestation à Colombo. Il a également dépêché l’armée dans la zone du Fort, mais elle s’est tenue à distance.

Les grèves et les manifestations d’hier sont le stade la plus récent d’un mouvement croissant des travailleurs qui a débuté à la fin de l’année dernière contre le président Ranil Wickremesinghe et son gouvernement.

Début décembre, les employés de Sri Lanka Telecom, des assurances et des banques ont manifesté à Colombo contre les privatisations et autres mesures d’austérité. Le 9  janvier, des milliers de travailleurs de la santé publique ont organisé une grève d’un jour pour réclamer des hausses de salaire et s’opposer aux mesures d’austérité. À la mi-janvier, des dizaines de milliers de travailleurs de la Petroleum Corporation, d’employés de banque, de médecins et d’ingénieurs ont organisé une semaine de protestations. Cela fut suivi le 25  janvier de manifestations par 5.000  travailleurs portuaires contre la nouvelle taxe gouvernementale ‘Pay as you Earn’ [impôt à la source], qui déduit entre 6 et 36 pour cent des salaires mensuels, à partir d’environ 100.000  roupies (273  dollars ou 254 euros).

Les mesures du gouvernement Wickremesinghe dictées par le FMI comprennent également la privatisation et la restructuration des entreprises du secteur public afin de supprimer des emplois et de réduire les salaires et les conditions de travail; de fortes réductions des dépenses publiques, y compris des subventions; et de nouvelles augmentations des tarifs de l’électricité, de l’eau et d’autres services publics.

Alors que les travailleurs ont montré avec force leur volonté d'agir contre les attaques sociales du gouvernement, les syndicats ont maintenu les travailleurs séparés et ont limité les manifestations à l'impôt sur le revenu, dans l'espoir d'empêcher une lutte sociale et politique à l'échelle du pays.

Lorsque la police est arrivée à la gare de Fort dans l’espoir de perturber la manifestation, elle a été dénoncée par les manifestants en colère. Un travailleur a crié: «Si vous nous attaquez avec des canons à eau, nous arrêterons le travail dans les ports». Un autre travailleur a dit: «Si vous nous attaquez, nous verrons ce qui se passera ensuite». Craignant de provoquer une réaction immédiate de grèves, la police n’a pas continué.

Craignant que l'opposition des travailleurs ne se développe hors du contrôle du syndicat, le secrétaire général du syndicat portuaire All Ceylon General Port Employees Union, Niroshan Gorakana, est intervenu pour tenter de calmer les travailleurs en colère. Le syndicat est affilié au parti Janatha Vimukthi Peramuna (JVP).

'Ces activités vont se poursuivre. Nous vous donnerons l'occasion d'exprimer votre colère. Ne vous engagez pas dans des actes perturbateurs », a déclaré Gorakana avec anxiété aux travailleurs.

Gorakana a poursuivi en déclarant que si Wickremesinghe n’abolissait pas la nouvelle politique fiscale d’ici le 17  février, «nous nous rassemblerons tous et ferons une grève totale. Nous rassemblerons tout le monde au même endroit et nous mènerons la lutte». C’était là un appel à Wickremesinghe que s’il ne changeait pas de cap, les syndicats pourraient ne pas être en mesure de contrôler le mouvement croissant de travailleurs sri-lankais.

S’adressant aux travailleurs protestataires du CEB, Ranjan Jayalal, leader du syndicat des employés de l’électricité affilié au JVP, a déclaré: «Nous allons mettre le gouvernement à genoux et obtenir nos revendications. Nous ne permettront pas que le CEB soit vendu. Nous nous opposons aux fardeau que la population devra supporter avec ces prix élevés de l’électricité».

Les remarques démagogiques de Jayalal et Gorakana sont une tentative de tromper leurs membres. Le JVP, avec lequel leurs syndicats sont alignés, n’a aucune différence fondamentale avec les exigences du FMI. Il tente cyniquement d’exploiter la colère populaire croissante afin de gagner le pouvoir lors des prochaines élections générales. S’il réussit, il appliquera les mêmes mesures.

Une partie des troupes de l’armée sri-lankaise mobilisées le 8  février 2023 près des manifestations du Fort de Colombo. [Photo: Facebook Malainadu ]

Contrairement aux affirmations des syndicats, la pression de masse ne pourra pas repousser le programme d’austérité de Wickremesinghe. Celui-ci a présenté sa déclaration de politique générale au Parlement pendant les manifestations, déclarant qu’il ne changerait pas le nouveau régime fiscal. Indiquant qu’il appliquerait les mesures du FMI à la lettre, il a déclaré: «Souvenez-vous, je ne suis pas ici pour être populaire… Je suis prêt à prendre des décisions impopulaires pour le bien de la nation».

Le Parti de l’égalité socialiste (SEP) est intervenu dans les manifestations d’hier en distribuant une déclaration intitulée «Travailleurs, comment lutter contre l’austérité du gouvernement?» Les militants du SEP ont discuté avec les travailleurs de la signification de leur action et du programme nécessaire pour la faire avancer.

Le SEP est solidaire des travailleurs qui s’avancent pour combattre les mesures d’austérité, dit la déclaration, qui souligne qu’ils «font partie de la montée des luttes de classe internationales contre les attaques des gouvernements capitalistes dans le monde entier». Elle fait remarquer que les syndicats ont appelé aux actions de mercredi pour entretenir le faux espoir que les travailleurs peuvent faire pression sur le gouvernement et, de cette façon, «détourner la colère croissante des travailleurs et la diluer».

La déclaration appelait encore les travailleurs à former leurs propres comités d’action sur les lieux de travail, dans des usines et les quartiers, indépendants de tous les partis parlementaires et des syndicats, afin de prendre en mains propres la lutte contre les attaques du gouvernement. Elle expliquait la nécessité d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière qui rallie à lui les pauvres des campagnes par le biais des comités d’action, et orienté vers la convocation d’un Congrès démocratique et socialiste des travailleurs et des masses rurales. Un tel congrès lutterait pour un gouvernement ouvrier et paysan attaché à la politique du socialisme international.

Alors que de nombreux travailleurs ont pris avec enthousiasme le tract du SEP, les leaders syndicaux présents à la manifestation des travailleurs du port ont tenté de provoquer une agression physique contre les militants du SEP. Plusieurs travailleurs sont cependant intervenus pour défendre le droit des membres du SEP à faire campagne. La tentative des leaders syndicaux d’arrêter la distribution de la déclaration du SEP a échoué.

Plusieurs travailleurs ont parlé aux militants du SEP des attaques sociales du gouvernement et du rôle joué par les syndicats.

Un travailleur du [chantier naval] Colombo Dock Yard a déclaré: «Le gouvernement impose des taxes sur les salaires que nous avons gagnés il y a trois ans. En dehors de ce travail, je n’ai pas d’autres revenus, mais le prix de toutes les denrées a augmenté».

«Nous n’avons personne à qui parler de cette situation. Ils [les dirigeants syndicaux] sont sourds. Comment pouvons-nous croire qu’un nouveau gouvernement sera capable de gouverner correctement? Jusqu’à présent, ce gouvernement n’a rien fait pour nous et maintenant personne ne peut résoudre les problèmes».

Il a exprimé quelques illusions à l’égard du JVP. «Il faut voter pour [le JVP]et le mettre au pouvoir et voyons s’il est capable de bien gouverner. Pour le moment, on n’entend que la voix du JVP», a-t-il dit.

Les militants du SEP ont expliqué qu’un futur gouvernement JVP défendrait les profits de la classe capitaliste. Il a répondu en disant qu’il voulait connaître le SEP et son appel à la répudiation de toutes les dettes étrangères sous un gouvernement de travailleurs et de paysans.

Un jeune travailleur du CEB présent à la manifestation a déclaré que l’affirmation des syndicats que les travailleurs pouvaient faire pression sur le gouvernement avaient «échoué». Si le CEB est privatisé, «l’électricité sera coupée pour les pauvres, qui n’ont pas les moyens de payer», a-t-il dit.

Les membres du SEP ont également fait campagne à l’hôpital de Peradeniya près de Kandy, faisant circuler des copies de la déclaration du parti parmi les médecins et autres travailleurs de la santé qui manifestaient. Un groupe d’infirmières a dit qu’elles avaient envisagé de voter pour le JVP, espérant qu’il résoudrait les difficultés auxquelles les gens ordinaires étaient confrontés.

Les membres du SEP ont expliqué que le JVP était attaché au programme du FMI et ont fait passer un clip vidéo du leader du JVP, Anura Kumara Disanayaka, déclarant au parlement que des décisions défavorables qui étaient «en conflit avec le peuple» devraient être prises. Les infirmières ont déclaré qu’elles n’avaient jamais entendu cela auparavant et que cela montrait que le JVP appliquerait lui aussi les mesures d’austérité.

(Article paru d’abord en anglais le 9 février 2023)

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