Au milieu des protestations massives contre l’austérité du FMI, le président autocratique du Sri Lanka annule les élections locales

En violation flagrante de la constitution du pays et des droits démocratiques fondamentaux, le président non élu du Sri Lanka, Ranil Wickremesinghe, a annulé les élections locales qui devaient se tenir sur l’île le 9  mars.

Depuis des semaines, le gouvernement de Wickremesinghe, qui impose les mesures d’austérité brutales du Fonds monétaire international (FMI), s’efforce de saboter les élections, car il craint qu’elles ne se soldent par une défaite massive et humiliante.

La semaine dernière, la commission électorale a déclaré à la Cour suprême que le scrutin ne pourrait pas avoir lieu comme prévu le 9  mars car le gouvernement avait refusé de fournir l’argent nécessaire à l’impression des bulletins de vote. Le Trésor a invoqué un ordre présidentiel de ne financer que les «dépenses gouvernementales essentielles».

Avant-Hier, s’exprimant devant le Parlement, Wickremesinghe a déclaré avec arrogance qu’il n’y aurait pas d’élections et qu’il mettrait la police aux trousses de tout fonctionnaire qui tenterait de les organiser.

Une partie des troupes de l’armée sri-lankaise mobilisées le 8  février 2023 près des manifestations du Fort de Colombo [Photo: Facebook Malainadu]

Prenant des airs de dictateur, il a cyniquement déclaré: «Les élections n’ont pas été reportées. Il n’y a pas en premier lieu d’élections qu’on puisse reporter». Il a justifié cela par l’affirmation absurde – qui n’a jamais été faite auparavant – que la Commission électorale n’avait pas atteint le quorum approprié pour lancer des élections. En réalité, la Commission aurait violé la loi – sans parler de tous les droits démocratiques des Sri Lankais – si elle n’avait pas procédé à l’organisation des élections, qui avaient déjà un an de retard. Le gouvernement lui-même l’a reconnu par la publication préalable, dans son journal officiel, tant de l’appel à candidatures que de la date des élections.

Wickremesinghe a poursuivi en déclarant que si le secrétaire au Trésor donnait de l’argent à la Commission électorale, «je devrais le démettre de ses fonctions et demander à la police d’engager une action en justice contre lui. Il en sera de même pour l’imprimeur du gouvernement [qui est chargé d’imprimer les bulletins de vote]. Ils perdront tous leur emploi».

Wickremesinghe n’a pris aucun engagement – non qu’un tel engagement vaille une seule roupie – quant à la date, si jamais les élections auront lieu.

À d’autres occasions, ces derniers jours, il a déclaré que les élections n’auraient pas lieu sans une «reprise économique» et que cette «reprise économique» – c’est-à-dire en faisant payer les travailleurs et les ouvriers appauvris du Sri Lanka des excédents de revenus suffisants pour reprendre le paiement de la dette au capital international – dépendrait de «l’ordre public».

En réalité, Wickremesinghe et la bourgeoisie sri-lankaise sont terrifiés par la reprise du soulèvement populaire de masse qui avait secoué l’île d’avril à juillet 2022 et qui avait chassé Gotabaya Rajapakse de la présidence, après avoir contraint son frère, Mahinda Rajapakse, à démissionner de son poste de premier ministre.

S’exprimant la semaine dernière, Wickremesinghe a juré qu’il ne «permettrait pas au pays de s’engager sur la voie de l’anarchie». Il entend par là qu’il est déterminé à utiliser toute la force de l’État capitaliste en piétinant les droits démocratiques les plus fondamentaux, afin de réprimer la contestation de masse naissante du «programme de relance économique» de la classe dirigeante. Celui-ci consiste à réduire sauvagement les dépenses sociales, à privatiser et à augmenter les tarifs d’électricité et d’autres. Il a déjà entraîné un appauvrissement massif ; 35  pour cent de la population a du réduire le nombre de repas qu’elle prend par jour.

Deepal Jayasekara, secrétaire général du SEP, s’adressant à la conférence de presse tenue à Colombo le 23  février 2023

Le Parti de l’égalité socialiste (SEP), la section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale, appelle les travailleurs à s’opposer vigoureusement à l’annulation autocratique des élections locales par le gouvernement. «Nous, le Parti de l’égalité socialiste, dénonçons fermement les mesures prises par le gouvernement du président Ranil Wickremesinghe pour bloquer les élections locales», a déclaré Deepal Jayasekera, secrétaire général du SEP, lors d’une conférence de presse à Colombo. «C’est une attaque flagrante contre les droits démocratiques fondamentaux des travailleurs».

Le SEP est intervenu dans ces élections locales afin d’intensifier sa lutte pour mobiliser la classe ouvrière en tant que force politique indépendante avançant sa propre solution socialiste à la crise socio-économique qui ravage l’île – une solution qui commence par les besoins des masses, et non par ce que le capitalisme sri-lankais et international en faillite peut se permettre.

Depuis des semaines, les 53  candidats que le SEP a présentés pour trois conseils municipaux (à savoir: Karainagar dans le district de Jaffna au nord, Maskeliya dans le district central des plantations et Kolonnawa près de Colombo) se battent pour rallier le soutien à un programme socialiste international en opposition à la guerre contre la Russie fomentée par les États-Unis et l’OTAN et à l’austérité du FMI.

«L’acte de Wickremesinghe», a déclaré Jayasekera, «fait partie des attaques plus larges de son gouvernement contre les droits démocratiques des masses. Il a lieu comme préparation à la répression des luttes croissantes contre les mesures d’austérité dictées par le FMI».

Le secrétaire général du SEP a expliqué que le gouvernement craignait qu’une défaite cuisante aux élections locales – un récent sondage d’opinion montrait qu’il n’était soutenu que par 10  pour cent de la population – n’intensifie les luttes intestines au sein de l’establishment politique. Mais sa plus grande crainte était qu’une telle défaite ne serve à démasquer encore plus son caractère illégitime et à mobiliser l’opposition populaire.

Représentant notoire des grandes entreprises et larbin pro-américain, Wickremesinghe était le seul représentant de son parti au Parlement lorsqu'il a été propulsé à la présidence en juillet dernier, grâce à une conspiration de la classe dirigeante, menée par le SLPP, le parti de Rajapakse, mais dont étaient complices les partis d'opposition soutenus par les syndicats.

Jayasekera a passé en revue les leçons des événements tumultueux de l’année dernière du point de vue de la préparation de la classe ouvrière et des masses opprimées à la prochaine étape de la lutte. Le soulèvement de masse a démontré l’immense pouvoir social de la classe ouvrière et son potentiel à surmonter les divisions communautaires incitées par la bourgeoisie. Mais il a également souligné l’urgence pour la classe ouvrière de se forger en force politique indépendante, en ralliant les masses rurales derrière elle.

Malgré le militantisme des masses et l’ampleur du mouvement de masse, la classe dirigeante avait pu utiliser le départ de Rajapakse et l’opposition parlementaire avait soutenu les appels à un gouvernement intérimaire pour réorganiser le gouvernement et reprendre l’initiative.

Dès le début du soulèvement de masse, le SEP s’était battu pour construire des comités d’action, totalement indépendants des syndicats pro-capitalistes et de tous les représentants politiques de la bourgeoisie, comme moyen d’organiser la résistance aux attaques du gouvernement et des employeurs et de développer une lutte pour le pouvoir des travailleurs.

«Nous avons dit», a poursuivi Jaysekera, «qu'il n'y a pas de solution aux problèmes sociaux et démocratiques brûlants dans le cadre capitaliste». Par la suite, «nous avons lancé une campagne pour un Congrès démocratique et socialiste des travailleurs et des masses rurales, basé sur les délégués démocratiquement élus par ces comités d'action, en tant qu'organe de pouvoir indépendant des travailleurs et alternative politique révolutionnaire » au gouvernement intérimaire capitaliste qui a été mis en place par les copains parlementaires discrédités de Rajapakse.

La conférence de presse de jeudi a été suivie par des journalistes de six grands médias, dont Sirasa TV, MTV, TNL, ABC Capital et Virakerasari, le principal journal en langue tamoule.

Lorsqu’un des journalistes a demandé si le SEP aller collaborerait avec les différents partis d’opposition pour contester l’annulation des élections par le gouvernement, Jayasekera a expliqué que ces partis, tels que l’opposition officielle, le SJB et le JVP, avaient eux-mêmes une longue histoire de complicité dans l’attaque des droits démocratiques, notamment à travers la promotion d’un chauvinisme anti-tamoul enragé. En outre, ils soutenaient les mesures d’austérité anti-démocratiques du FMI mises en œuvre par le gouvernement.

Hostiles aux besoins et aux aspirations sociales et démocratiques des travailleurs et des ouvriers du Sri Lanka, les partis d’opposition ont répondu à l’annulation des élections par Wickremisinghe en faisant appel aux puissances impérialistes occidentales.

Tous ces pays, à commencer par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, ont une longue et sanglante histoire de banditisme et d’intrigues impérialistes. Cela comprend le soutien de dictatures brutales contre la classe ouvrière, depuis Pinochet et le Shah d’Iran il y a 50  ans, jusqu’à l’Égyptien al-Sisi aujourd’hui. Et ils ont soutenu l’État sri-lankais dans sa guerre civile sanglante de trois décennies contre la minorité tamoule.

Sous la houlette de Washington, ces pays ont déclenché une guerre avec la Russie, qu’ils sont en train d’intensifier de façon spectaculaire, rapprochant ainsi le monde d’une conflagration nucléaire, dans une tentative désespérée de compenser leur crise par le pillage et la conquête.

En outre, Washington et son allié, l’Inde, ont exploité impitoyablement la crise économique du Sri Lanka pour rallier l’île encore plus complètement à l’offensive militaro-stratégique américaine contre la Chine. La semaine dernière encore, une délégation de 20  fonctionnaires du Pentagone s’est rendue au Sri Lanka pour des entretiens secrets avec le gouvernement.

Et bien sûr, toutes les puissances occidentales soutiennent sans réserve le programme d’austérité du FMI.

Le SJB s’est plaint au bureau de l’ONU à Colombo des «tentatives inconstitutionnelles» du gouvernement de reporter les élections locales.

S’exprimant devant le Parlement mercredi, le secrétaire à la propagande du JVP, Vijith Herath, a tenté de présenter les vautours du FMI comme les gardiens de la démocratie. Il a déclaré: «Le FMI a clairement indiqué que le gouvernement du Sri Lanka devait avoir un mandat populaire pour recevoir de l’aide». Herath a déclaré que son parti organiserait des manifestations, engagerait des actions en justice et «informerait les diplomates de l’Union européenne, des Nations unies et des organisations de défense des droits de l’homme».

Le Freedom People’s Congress (Congrès du peuple de la liberté) est un groupe qui s’est détaché du parti de l’ancien président Rajapakse l’année dernière. Il a envoyé une lettre aux missions étrangères «exprimant sa profonde inquiétude quant à la situation actuelle concernant le droit de vote du peuple».

Les travailleurs du monde entier doivent considérer les développements au Sri Lanka comme un signe avant-coureur et un avertissement. Partout, la bourgeoisie rompt avec les formes démocratiques de gouvernement, cherche à criminaliser les luttes de la classe ouvrière et déchaîne la réaction fasciste. La défense des droits démocratiques, comme la lutte contre la guerre impérialiste et contre l’austérité capitaliste, nécessite la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière, l’unification de ses luttes par-delà les frontières et les continents, et la lutte pour le pouvoir des travailleurs.

(Article paru d’abord en anglais le 24 février 2023)

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