Au moins cinquante-neuf migrants se noient au large des côtes italiennes, parmi eux vingt enfants dont un nouveau-né

Au moins 59  migrants sont morts après le naufrage de leur embarcation en bois sur des rochers au large des côtes calabraises. Parmi les victimes, il y a vingt enfants dont un nouveau-né. De nombreux corps se sont échoués sur le rivage, près d’une station balnéaire.

On sait que quatre-vingt une personnes ont survécu ; vingt d’entre elles ont été hospitalisées, dont une en soins intensifs. Selon les survivants, il y avait environ cent cinquante personnes à bord. Elles avaient quitté la Turquie trois ou quatre jours auparavant.

La responsabilité de ce crime terrible incombe à tous les gouvernements d’Europe qui ont conspiré pour transformer le continent en «forteresse» contre des gens désespérés, et aux États-Unis et à leurs alliés, dont la violence impérialiste a démembré des sociétés entières au Moyen-Orient et en Afrique, forçant plus de personnes que jamais à fuir leurs foyers.

Des sauveteurs récupèrent un corps sur une plage près de Cutro, dans le sud de l’Italie, dimanche  26  février 2023 après qu’un bateau de migrants se soit brisé dans une mer agitée. Selon les responsables des secours, un nombre indéterminé de migrants sont morts dans le naufrage ; des dizaines ont été secourus. [AP Photo/Giuseppe Pipita]

Avec une hypocrisie répugnante, la Première ministre fasciste de l’Italie, Giorgia Meloni, a déclaré sa «profonde tristesse», avant de s’engager à renforcer la politique responsable de l’hécatombe aux frontières de l’Europe, en fermant les routes vers l’Europe par la «prévention des départs». Son ministre de l’Intérieur s’est vanté la semaine dernière que de telles mesures, effectuées avec la Libye et la Tunisie, avaient déjà «évité l’arrivée» de près de 21.000  personnes en y piégeant les migrants dans des conditions infernales, poussant d’innombrables autres à risquer des voyages plus dangereux.

On pouvait entendre le même message que celui de la fasciste Meloni de la part de n’importe quel autre dirigeant européen.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est dite «profondément attristée» par les décès, avant d’ajouter, «nous devons redoubler d’efforts en ce qui concerne le pacte (européen) sur les migrations et l’asile, et le plan d’action pour la Méditerranée centrale». On en avait précisé les termes au sommet de l’UE au début du mois. Celui-ci avait discuté d’un «paquet intégré d’infrastructures mobiles et fixes… des véhicules aux caméras, des miradors à la surveillance électronique» pour refuser l’entrée aux demandeurs d’asile et faciliter l’expulsion massive des réfugiés ; et une collaboration renforcée avec les régimes brutaux faisant la police sur les côtes nord-africaines.

«La forteresse Europe» a déjà signifié la mort ou la disparition en 2022 de 2.406  personnes en Méditerranée selon l’Organisation internationale pour les migrations ; près de 26.000 depuis 2014. Mais, cela ne dit rien des horreurs subies sur la route pour atteindre les côtes turques, ou les côtes nord-africaines, ou encore du réseau de camps d’internement où des dizaines de milliers de réfugiés sont emprisonnés et privés de droits démocratiques fondamentaux.

Depuis qu’en 2015 la photo d’un jeune garçon syrien gisant mort sur une plage de Turquie a produit une onde de choc et de colère populaire, la politique des gouvernements a fait d’enfants morts échoués sur les côtes une chose régulière. En novembre 2020, un garçon de cinq ans a été retrouvé mort sur les côtes de l’île grecque de Samos. Son père l’avait perdu de vue lorsque leur bateau avait chaviré sur des rochers. Accusé d’avoir mis la vie de son fils en danger, il risque à présent 10  ans de prison. La Police l’a emmené en menottes pour identifier le corps.

Le mois suivant, les corps de quatre enfants âgés de 5 à 10 ans ont été retrouvés sur une plage à l'ouest de la capitale libyenne, Tripoli. Cinq mois plus tard, trois autres enfants, dont un bébé de six mois et un enfant de trois ans, ont été retrouvés morts sur la même portion de côte. Un mois plus tard, un enfant d'un an était retrouvé sur la côte norvégienne après s’être noyé avec sa famille en essayant d’atteindre l’Angleterre depuis la France.

En mai 2021, une analyse du Guardian établissait un lien entre 2.000  décès et les opérations de refoulement de l’UE, illégales au regard du Droit international, visant à repousser les migrants loin des frontières européennes, y compris par la violence et les humiliations. Ce n’est là que la partie visible d’un iceberg de souffrances dont les pires abus sont confiés à des forces en Libye et en Tunisie qui interceptent les navires de migrants et renvoient ceux-ci dans des camps où la torture, le viol, l’extorsion, le meurtre et l’esclavage sont monnaie courante.

Une autre stratégie consiste à livrer les réfugiés à la mer. Un rapport publié en 2021 par le commissaire européen aux droits de l’homme révèle que les gouvernements européens avaient redéployé des navires loin des zones où ils étaient le plus susceptibles de trouver des migrants en détresse.

De nombreuses petites ONG sont intervenues pour faire respecter l’obligation internationale de sauver des vies en mer. Le gouvernement de Meloni est le fer de lance des efforts visant à rendre illégaux ces opérations de secours. Jeudi, le Parlement a adopté une loi exigeant que les navires de sauvetage rejoignent immédiatement un port après avoir effectué un sauvetage, plutôt que de trouver d’autres bateaux en détresse.

Un corps et l’épave d’un bateau chaviré sur une plage près de Cutro, dans le sud de l’Italie, dimanche  26  février 2023. [AP Photo/Giuseppe Pipita]

Mais si le gouvernement italien est allé le plus loin juridiquement, il ne fait que codifier la politique commune de toutes les puissances européennes. Vendredi, 15  États de l’UE ont publié une déclaration appelant au soutien financier pour «tous types d’infrastructures de protection des frontières, y compris les barrières physiques». Ils ajoutent que «le soutien de Frontex devrait également être accru et pleinement déployé dans les États membres les plus touchés» et demandent «davantage de possibilités de procédures [d’expulsion] accélérées suivies de rejets en cas de demandes d’asile infondées».

Des navires de sauvetage ayant à bord des centaines de réfugiés sont régulièrement laissés en mer pendant des semaines, les pays refusant l’un après l’autre l’accès à leurs ports. En 2020, Amnesty International a publié un rapport intitulé «La solidarité à l’épreuve dans la forteresse Europe». Celui-ci condamne la façon dont « les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile qui aident les réfugiés et les migrants sont soumis à des procédures pénales infondées, à des restrictions indues de leurs activités, aux intimidations, au harcèlement et à des campagnes de diffamation dans plusieurs pays européens».

L’un des cas cités est l’enquête en cours du gouvernement grec sur un groupe de 24  travailleurs bénévoles – qui ont secouru des migrants au large des côtes de Lesbos – pour trafic d’êtres humains, blanchiment d’argent et fraude présumés. Des accusations initiales d’espionnage ont dû être abandonnées. Un membre de ce groupe est Sarah Mardini dont l’histoire, au cours de laquelle elle a aidé d’autres réfugiés à venir en Grèce par la mer depuis la Turquie, a inspiré le film «Les nageurs» [The Swimmers].

Mardini a fui la guerre dévastatrice de Syrie entre les forces islamistes mandataires de l’OTAN et le gouvernement de Bachar al-Assad. Les réfugiés qui se sont noyés dimanche venaient d’Afghanistan, du Pakistan, de Somalie et d’Iran, tous pays soumis à l’occupation, aux interventions militaires, aux frappes aveugles de drones et aux sanctions paralysantes de la part des États-Unis, et victimes aussi des inégalités mondiales et du changement climatique. Ces facteurs ont créé une population record de plus de 100  millions de personnes déplacées de force, considérées comme autant de débris humains par les gouvernements capitalistes du monde.

Près de quatre millions de personnes déplacées vivent en Turquie, y compris jusqu’à récemment les naufragés de Calabre. Six millions et demi de personnes sont déplacées à l’intérieur de la Syrie. Beaucoup ont vu leur vie dévastée une seconde fois par le tremblement de terre du début du mois, qui a tué au moins 50.000  personnes et fait des millions de sans-abri.

La réponse des gouvernements européens en dit long sur les priorités de la classe dirigeante. Jusque-là, la Commission européenne n’a promis que 6,5  millions d’euros d’aide aux victimes du séisme, alors que l’an dernier elle avait débloqué 754  millions d’euros pour sa force frontalière Frontex. Cette agence, en collaboration avec le gouvernement grec, a intensifié ses patrouilles autour de la mer Égée en prévision de l’arrivée de ceux nombreux qui cherchent à échapper à la catastrophe. «Le déplacement massif de millions de personnes n’est pas la solution», a menacé Notis Mitarachi, ministre grec de la Migration.

L’assaut contre les migrants et le déni des droits démocratiques a lieu à l’échelle mondiale. La semaine dernière, le président américain Joe Biden a annoncé une politique d’immigration qui interdit l’entrée et l’asile à presque tous les migrants à la frontière sud des États-Unis, en violation flagrante du droit international.

Ces événements démolissent la fiction que les États-Unis et les pouvoirs européens mènent contre la Russie une guerre pour la «démocratie» et la «liberté» en Ukraine. En fait, la guerre de l’OTAN et l’attaque des migrants sont inextricablement liées. Une guerre majeure en Europe est incompatible avec des droits démocratiques et exige une attaque massive du niveau de vie de la classe ouvrière. Celle-ci touchera le plus vite et le plus lourdement ses sections les plus vulnérables, déjà contraintes de fuir leurs foyers et leurs communautés.

(Article paru d’abord en anglais le 27 février 2023)

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