Les travailleurs sri-lankais font grève et défient les ordonnances du gouvernement sur les services essentiels

Un demi-million de travailleurs du secteur public et privé du Sri Lanka se sont joints aux grèves et manifestations de mercredi en opposition aux mesures brutales du Fonds monétaire international, imposées par le gouvernement. Celles-ci comprennent l’imposition des salaires des travailleurs à la source (PAYE), la hausse des taux d’intérêt sur les prêts bancaires; la baisse du paiement des heures supplémentaires, les privatisations et des dizaines de milliers de suppressions d’emplois dans le secteur public.

Des travailleurs des télécommunications manifestent devant les bureaux de Sri Lanka Telecom à Colombo, le 1er  mars 2023. [Photo by Telecom workers]

Ont participé aux grèves les travailleurs du pétrole, de l'électricité, de l'approvisionnement en eau, des ports, des banques, des soins de santé, de la poste, des chemins de fer, des écoles et des universités. Les grèves, qui défient la loi sur les services essentiels du président Ranil Wickremesinghe, ont duré soit un jour, soit une demi-journée, pris la forme de congé de maladie collectifs, de grèves du zèle, de piquets de grève à la mi-journée et d'autres formes de protestation.

Les membres du Parti de l’égalité socialiste (SEP) sont intervenus dans la grève en faisant circuler des copies d’une déclaration du parti intitulée :«Soutenez la grève contre les attaques d’austérité du gouvernement! Retirez les ordonnances draconiennes sur les services essentiels! Luttez pour un programme socialiste pour défendre les droits sociaux et démocratiques»!

Les travailleurs de la santé, dont les médecins, ont organisé des débrayages et manifestations d’une demi-journée dans toute l’île. Des milliers de travailleurs ont organisé une grève d’une demi-journée au National Eye Hospital et au Lady Ridgeway Children Hospital de Colombo. Ils ont exigé le retrait des taux d’intérêt bancaires élevés, celui du nouvel impôt sur le revenu PAYE et ils ont demandé une baisse des tarifs d’électricité et d’autres réductions de prix.

À l’Hôpital national de Kandy, les soignants, les médecins, les aides-soignants et d’autres travailleurs hospitaliers ont débrayé de 8  heures à midi, ce qui a entraîné la fermeture du service de consultation externe et de plusieurs cliniques de traitement. Seuls les services d’urgence ont été assurés. L’armée a été déployée dans l’établissement pour briser la grève.

Les membres du Comité d’action des travailleurs de la santé de l’hôpital de Kandy, qui a été formé à l’initiative politique du SEP, ont soutenu la grève et ont distribué la déclaration du SEP à leurs collègues. De nombreux travailleurs de la santé l’ont lue avec grand intérêt et ont discuté avec les membres du comité.

Des médecins, soignants et autres travailleurs de la santé en grève manifestant devant l’hôpital de Kandy le 1er  mars 2023.

La plupart des travailleurs de la santé qui se sont exprimés ont déclaré qu’ils ne pensaient pas que la grève pouvait être gagnée par une grève limitée et ont exigé une action continue impliquant tous les travailleurs de la santé. Beaucoup ont reproché à la direction du syndicat d’empêcher une lutte unifiée.

Citant une enquête du gouvernement, le Daily Mirror de mercredi rapporte que 44.540  fonctionnaires sur 148.451 ont fait grève dans les six provinces du Sri Lanka. Ils étaient 36  pour cent dans le nord-ouest, 40  pour cent dans le centre-nord, 49  pour cent dans le sud, 25  pour cent dans le centre, 21  pour cent dans l’est et 19  pour cent à Uva.

L’enquête a également révélé une large participation des médecins du gouvernement dans toutes les provinces. Ils étaient 914 sur 1.322 dans le nord-ouest, 434 sur 690 dans le centre-nord, 1.547 sur 2.472 dans la province centrale, 942 sur 1.339 dans le sud, 454 sur 1.338 dans l’est et 730 sur 918 à Uva.

Les travailleurs de l’hôpital national de Colombo manifestent le 1er  mars 2023 contre l’augmentation de l’impôt sur le revenu.

Quelques milliers de travailleurs du terminal de la Ports Authority et de la société privée Colombo Dockyard Company ont manifesté devant l’entrée principale du port de Colombo pendant leur pause déjeuner d’une heure. Les travailleurs des terminaux portuaires publics ont également organisé un arrêt de travail de 24  heures, à partir de 7  heures du matin mercredi.

Des centaines de travailleurs du centre d’installation pétrolière de Kolonnawa et de la raffinerie de Sapugaskande ont fait grève et ont organisé des manifestations anti-privatisation pendant leur pause déjeuner.

Les membres du Ceylon Bank Employees Union (CBEU) ont organisé une grève d’une journée dans 637 de ses succursales à travers le pays et à son siège social, avec des milliers de participants. Les travailleurs des banques privées se sont également mis en grève, paralysant les opérations bancaires dans tout le pays. Le CBEU est membre du Collectif syndical des professionnels, un organisme qui chapeaute 15  syndicats ; parmi eux, l’Association des médecins fonctionnaires, le Syndicat des ingénieurs de la Commission d’électricité de Ceylan et la Fédération des associations de professeurs d’université.

Les travailleurs du secteur de l’énergie et les employés de l’entreprise publique Ceylon Electricity Board (CEB) ont organisé une journée de protestation avec congés de maladie. 22.000  travailleurs y ont participé, soit 90  pour cent de l’effectif total.

Les travailleurs de la «Commission de l’approvisionnement en eau et du drainage» (Water Supply and Drainage Board) ont organisé une marche et tenu une manifestation devant leur siège social à Ratmalana, à environ 15  km au sud du centre-ville de Colombo.

Les professeurs des universités d'État telles que Moratuwa, Kelaniya, Jayewardenepura, Peradeniya, Jaffna et l'Université ouverte de Nawala à Colombo ont organisé des grèves symboliques, et des dizaines de milliers d'enseignants de toute l'île ont protesté en portant des vêtements noirs. Des centaines d'enseignants et de directeurs d'école ont rejoint une manifestation à Kottawa, dans la banlieue de Colombo.

Les grèves et manifestations de mercredi montrent avec force la détermination des travailleurs à lutter contre les attaques sociales du gouvernement. En revanche, les syndicats ont fait tous qu’ils pouvaient pour limiter les grèves. Comme Wickremesinghe, ils craignent que l’opposition croissante de la classe ouvrière à l’austérité du Fonds monétaire international (FMI) ne se transforme en soulèvement de masse comme celui qui, l’an dernier, a chassé le président Gotabhaya Rajapakse et son gouvernement.

Au cours des manifestations de mercredi, les dirigeants syndicaux ont fait les habituelles dénonciations creuses tout en permettant au gouvernement de gagner du temps et de préparer une répression d’État contre la classe ouvrière. Dans la plupart des cas, les syndicats ont limité les grèves et les manifestations à une seule question – l’impôt PAYE qui touche de nombreux travailleurs des secteurs public et privé.

Le secrétaire général du Syndicat général des employés du port de Ceylan (All Ceylon General Port Employees Union – ACGPEU), Niroshan Gorakana, a déclaré que l’extension lundi soir par Wickremasinghe de l’ordonnance sur les services essentiels au secteur des transports, dont les ports, ne mettrait pas fin aux grèves des travailleurs portuaires ni aux grèves du zèle. Ce syndicat est affilié au parti Janatha Vimukthi Peramuna (JVP).

Si Wickremasinghe ne retirait pas l’ordonnance sur les services essentiels, a-t-il déclaré, son syndicat était prêt à s’unir aux travailleurs de la santé, des banques, des universités, du pétrole, de l’électricité, de l’eau et des télécommunications et à «répondre par une grève générale illimitée la semaine prochaine».

La démagogie vide de Gorakana était une tentative grossière de dissimuler la capitulation des syndicats portuaires et de son propre syndicat face à l’ordonnance du gouvernement sur les services essentiels, en réduisant sa grève d’un jour prévue à une campagne de «ralentissement».

Le président du CBEU, Channa Dissanayake, a déclaré: «Notre grève est un succès [et] c’est notre début. Nous sommes prêts à payer des impôts, mais les seuils d’imposition doivent être raisonnables. Les professionnels et les intellectuels traversent une grave crise et décident s’ils doivent ou non quitter le pays».

En d’autres termes, le leader de la CBEU ne s’oppose pas à l’impôt PAYE, mais appelle le gouvernement à faire des changements de façade. Mais comme Wickremesinghe l’a clairement indiqué, il ne modifiera pas cet impôt.

Contrairement à ce que prétendent les dirigeants syndicaux, les mesures d’austérité brutales ne seront pas changées en faisant pression sur le gouvernement. En fait, la plupart de ces syndicats sont affiliés aux partis politiques de l’establishment bourgeois, et totalement attachés au programme du FMI.

Comme l’explique la déclaration du SEP: «Ce qui est apparu objectivement, c’est que la classe ouvrière affronte directement le pouvoir de l’État. En opposition aux préparatifs réactionnaires de la classe dominante, la classe ouvrière doit organiser sa propre contre-offensive indépendante…»

«Les travailleurs doivent prendre eux-mêmes en main la lutte pour leurs droits sociaux et démocratiques. Le SEP appelle à la formation de leurs propres comités d’action, indépendants de tous les partis capitalistes et des syndicats, dans chaque lieu de travail, usine, plantation et dans leurs quartiers. De même, les pauvres des zones rurales doivent prendre des mesures pour créer de tels comités d’action».

La déclaration du SEP explique la signification de sa campagne pour construire un Congrès démocratique et socialiste des travailleurs et des masses rurales sur la base de ces comités d’action. Ceci, poursuit-il, permettra de développer la base d’un mouvement révolutionnaire de masse de la classe ouvrière et de rallier les pauvres des zones rurales pour instaurer un gouvernement ouvrier et paysans défendant un programme socialiste ; cela, comme partie d’une lutte plus large pour le socialisme en Asie du Sud et à l’international.

Les militants du SEP ont interviewé des manifestants, dont beaucoup se sont dits mécontents de la direction du syndicat. Un employé de la division navigation de la Port Autority a déclaré que le 28  février, les travailleurs étaient prêts pour une grève générale, mais avaient été trahis par la direction syndicale.

Ce jour-là, à 14  heures, les syndicats, dont l’ACGPEU, dirigé par le JVP, le Sri Lanka Freedom Employees Union, affilié au Sri Lanka Freedom Party, et le syndicat affilié à l’United National Party, avaient organisé une discussion et appelé à un «ralentissement » pour remplacer une vraie grève. Ils ont affirmé que cela permettrait de faire pression sur le gouvernement. Les travailleurs de la division navigation s’y sont opposés.

Les membres du SEP ont distribué des déclarations du parti devant l’entrée principale du port de Colombo. Un travailleur attaché au syndicat SLFP leur a parlé. Il avait participé aux manifestations du 22  février à la gare de Fort où les dirigeants syndicaux avaient auparavant annoncé une grève générale pour le 1er  mars.

«On nous a demandé d’organiser un piquet [de protestation] pendant notre pause déjeuner», a-t-il déclaré. «Une discussion a eu lieu entre 40  syndicats et le gouvernement, mais elle a échoué. Le gouvernement n’a pas donné son accord. Ils ne se soucient pas de nous, mais nous devons continuer à faire pression [sur le gouvernement].» Il a toutefois reconnu que le gouvernement allait «poursuivre ses mesures de privatisation» et les autres mesures du FMI.

Des médecins, des professeurs d’université, des employés de banque et des travailleurs de l’électricité manifestant à Jaffna le 1er  mars 2023.

R. Prabha, une employé de bureau de la CEB à Jaffna qui a participé à la manifestation, a déclaré: «Le prix des produits de première nécessité est monté en flèche, mais notre salaire n’est en aucun cas suffisant pour faire face au coût de la vie. Nous sommes obligés de contracter des prêts pour faire face aux dépenses. C’est pourquoi nous en sommes arrivés à cette lutte. Depuis deux ans, nous n’avons reçu ni indemnités de congé maladie ni notre prime, et la direction a supprimé toutes nos heures supplémentaires».

Elle a également critiqué l’annulation par le gouvernement Wickremesinghe des élections locales prévues le 9  mars: «Ils ont précédemment annoncé les élections mais disent maintenant qu’il n’y a pas d’argent. Mais ce n’est pas un problème d’argent, ils se rendent simplement compte que nous ne voterons pas pour le gouvernement. Sachant qu’ils allaient perdre les élections, ils les ont arrêtées de façon antidémocratique».

(Article paru d’abord en anglais le 2 March 2023)

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