L’Union européenne accélère la production de munitions et organise une économie de guerre

La réunion des ministres de la Défense de l’Union européenne tenue mercredi à Stockholm a été dominée par l’escalade de la guerre de l’OTAN contre la Russie. L’objectif était de fournir rapidement à l’armée ukrainienne des quantités massives de munitions afin de repousser l’armée russe sur le front de l’est de l’Ukraine et de passer à la contre-offensive.

Le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius, à droite, s’entretient avec des soldats lors d’une visite du bataillon de chars 203 de la Bundeswehr à la caserne du maréchal Rommel à Augustdorf, en Allemagne, le mercredi 1er février 2023. [AP Photo/Martin Meissner]

Fait à noter, le ministre ukrainien de la Défense, Olexiy Resnikov, a également participé à la réunion. Il a appelé les États membres de l’UE à fournir à l’Ukraine un million de pièces de munitions d’une valeur de 4 milliards d’euros afin que Kiev puisse «continuer à se défendre».

Les ministres de l’UE se sont mis d’accord à Stockholm pour fournir des munitions à Kiev. Josep Borrell, responsable de la politique étrangère de l’UE, a parlé d’un «accord fondamental sur une procédure». Il a proposé de débloquer dans un premier temps un milliard d’euros de la Facilité européenne pour la paix afin de fournir à l’Ukraine des munitions qui proviennent de ses propres stocks.

Parallèlement, d’autres mesures sont déjà en cours de préparation en coulisses. «Pour aider l’Ukraine, l’UE doit débloquer rapidement de l’argent frais», a déclaré le ministre estonien de la Défense, Hanno Pevkur. À l’issue de la réunion, le ministre suédois de la Défense, Pal Jonson, a fait cette promesse: «Nous agirons rapidement pour répondre à la demande de munitions de l’Ukraine».

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui a assisté à la réunion, a déclaré que des travaux étaient en cours pour augmenter massivement la production de munitions. «Les pays de l’OTAN ont conclu des accords avec l’industrie de la défense pour augmenter la production», et plusieurs pays de l’OTAN se sont déjà mis d’accord sur des «projets communs pour l’acquisition de divers types de munitions ainsi que le stockage des munitions», a-t-il annoncé à Stockholm. «La demande est énorme et le taux actuel de consommation et de production de munitions n’est pas viable».

Selon les rapports, environ 300.000 obus d’artillerie de 155 mm sont produits en Europe chaque année. C’est à peu près autant que ce que l’armée ukrainienne tire en trois mois. Pour répondre à la demande, reconstituer leurs propres stocks et se préparer à une guerre longue et globale contre la Russie, les États européens sont en train d’organiser une véritable économie de guerre.

Cet objectif a été ouvertement formulé à Stockholm. Pour augmenter ses capacités, l’industrie de l’armement doit passer en mode «économie de guerre», a exigé le commissaire européen Thierry Breton. Borrell a dit la même chose. Il a dit qu’il était désolé de dire cela, mais qu’une «mentalité de guerre» était nécessaire. Après tout, nous sommes en «temps de guerre».

Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius (social-démocrate), a commencé par déclarer qu’il «n’adhère absolument pas au concept d’économie de guerre». L’UE et l’Allemagne ne sont «pas en guerre» et une «économie de guerre» signifierait «que nous subordonnons tout à la production d’armes et de munitions».

En fait, c’est exactement ce qui se passe. Pistorius n’a laissé aucun doute à ce sujet dans les remarques qu’il a faites à Stockholm. Il a notamment déclaré qu’il était «utile» de subventionner l’industrie de la défense lors de la montée en puissance de la production de munitions. «En fait, l’industrie de l’armement gagne de l’argent, c’est macabre, mais en temps de guerre, c’est comme ça, la demande augmente et les ventes augmentent aussi», a-t-il expliqué avec cynisme. C’est pourquoi «il est d’autant plus important que nous réagissions avec souplesse».

C’est surtout l’impérialisme allemand qui est à l’origine du réarmement massif de l’Europe et du passage à une économie de guerre. À l’occasion du premier anniversaire de sa déclaration d’une «nouvelle époque» pour la politique étrangère allemande, le chancelier Olaf Scholz a affirmé jeudi dernier au parlement allemand que lui et Pistorius discutaient actuellement avec l’industrie de la défense «d’un véritable changement de voie vers un approvisionnement rapide, prévisible et efficace en armements pour la Bundeswehr et d’autres armées européennes». Cela nécessite «une production continue d’armes, d’équipements et de munitions» et «des contrats à long terme et des acomptes pour renforcer les capacités de fabrication» et «une base industrielle ici en Allemagne».

Dans le dos de la population, ces projets sont mis en œuvre de manière agressive. En novembre dernier, des représentants de l'industrie de l'armement ont rencontré à la Chancellerie les hauts fonctionnaires concernés du gouvernement fédéral pour un «sommet sur les armes et les munitions» afin d'augmenter la production. Selon certaines publications, l'Allemagne prévoit de dépenser 20 milliards d'euros pour les seules munitions au cours des prochaines années.

Ce faisant, les mêmes entreprises qui ont joué un rôle central dans l’économie de guerre des nazis et réarmé la Wehrmacht pour la Seconde Guerre mondiale en l’espace de quelques années se frottent à nouveau les mains. Peu avant le fameux sommet de la Chancellerie, Rheinmetall a annoncé l’acquisition de son concurrent espagnol Expal Systems pour 1,2 milliard d’euros. Avec un chiffre d’affaires annuel de 400 millions d’euros, Expal Systems est l’un des plus grands producteurs de munitions en Europe.

Depuis, les annonces se succèdent. Rheinmetall met actuellement en place une nouvelle installation de production de munitions pour les obus de canon dits de Mittelcaliber (20 à 35 millimètres) sur le site d’Unterlüss dans le Lüneburg Heide, une zone rurale du nord de l’Allemagne. Pour des raisons de sécurité, la capacité annuelle prévue est secrète, mais l’objectif est de «rétablir l’approvisionnement en munitions en Allemagne, indépendamment des installations de production étrangères», a déclaré un porte-parole de l’entreprise.

Le site d’Unterlüss, où des milliers de travailleurs forcés ont été employés pendant la Seconde Guerre mondiale, est déjà le plus grand site de munitions de Rheinmetall, couvrant plus de 55 kilomètres carrés. Actuellement, des munitions de gros calibre y sont produites, notamment pour le char Leopard, que la Bundeswehr (armée allemande) fournit à l’Ukraine. Les niveaux de production antérieurs font l’objet d’une augmentation massive.

Lorsque Pistorius a visité l’usine à la fin du mois de février, le PDG de Rheinmetall, Armin Papperger, s’est vanté d’avoir doublé, voire triplé la production, en particulier à Unterlüss. L’usine fonctionne «à plein régime» et augmentera encore sa production grâce à une nouvelle équipe, a-t-il ajouté. Pistorius a fait l’éloge de l’industrie de l’armement et a déclaré que la «nouvelle époque» – un euphémisme pour désigner le retour du militarisme allemand – n’était «pas possible» sans elle.

Afin de vaincre la Russie dotée de l’arme nucléaire – après les terribles crimes des deux guerres mondiales – dans une troisième tentative, l’impérialisme allemand envisage même de produire des chars de combat directement en Ukraine. «Nous sommes prêts à construire une usine pour la production du Panther en Ukraine», a récemment annoncé Papperger dans le Handelsblatt. Jusqu’à présent, les promesses de chars de combat ont augmenté le «poids» de l’Ukraine, mais ce n’est «pas suffisant». «La Russie dispose de réserves bien plus importantes. Une “aide” supplémentaire est donc nécessaire, surtout avec des chars de combat», a-t-il poursuivi.

Le coût de cette folie guerrière, qui enlève déjà la vie à des centaines de soldats russes et ukrainiens chaque jour et menace la survie de l’humanité tout entière en cas d’escalade nucléaire, retombe financièrement sur la classe ouvrière. L’année dernière déjà, lorsque le fonds spécial de 100 milliards d’euros pour l’armée allemande était mis en place, il y a eu des coupes massives dans les domaines de la santé et des affaires sociales. Pistorius réclame aujourd’hui 10 milliards d’euros supplémentaires par an pour le budget de la guerre, ce qui entraînera de nouvelles attaques.

Mais en Allemagne et dans toute l’Europe, la résistance grandit envers cette politique ultra-militariste et réactionnaire, que poursuit l’UE en son ensemble. Des dizaines de milliers de travailleurs des services publics participent actuellement à des grèves d’avertissement quotidiennes en Allemagne. Jeudi, 120.000 postiers ont voté une grève totale. En France, plusieurs millions de personnes sont descendues dans la rue mercredi contre le projet de réforme des retraites, et en Grèce, des centaines de milliers de personnes ont manifesté après la catastrophe ferroviaire meurtrière. Dans d’autres pays européens, des grèves et des manifestations de grande ampleur se développent également.

Les sentiments qui poussent des millions de travailleurs et de jeunes à lutter à travers le continent sont de plus en plus anticapitalistes, antimilitaristes et socialistes. La tâche décisive consiste à transformer ce mouvement en un mouvement conscient pour le socialisme. Cela signifie qu’il faut combiner la lutte contre la guerre avec la lutte contre sa racine, le capitalisme, et construire les sections européennes du Comité international de la Quatrième Internationale – en Allemagne, le Sozialistische Gleichheitspartei – en tant que nouveaux partis révolutionnaires de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 10 mars 2023)

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