L'effondrement de SVB révèle les profonds problèmes du système financier américain

Après la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) vendredi, la deuxième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis, et la reprise de la Signature Bank, basée à New York, par la Société fédérale d’assurance des dépôts (Federal Deposit Insurance Corporation – FDIC) dimanche, la troisième plus grande faillite, des questions se posent sur la stabilité de l’ensemble du système financier et bancaire américain.

Des policiers de Santa Clara sortent de la Silicon Valley Bank à Santa Clara, en Californie, le vendredi 10 mars 2023. La FDIC a saisi les actifs de la Silicon Valley Bank, marquant ainsi la plus grande faillite bancaire depuis celle de Washington Mutual au plus fort de la crise financière de 2008. [AP Photo/Jeff Chiu]

Il y a une certaine ironie dans la disparition de Signature. L’un des membres de son conseil d’administration était Barney Frank, ancien membre de la Chambre des représentants et coauteur de la loi Dodd-Frank, adoptée à la suite de la crise financière de 2008 et censée empêcher que de tels événements ne se reproduisent.

À la suite de la faillite de SVB, les déposants ont retiré 10 milliards de dollars de Signature, ce qui a conduit à sa reprise. «Nous n’avions aucune indication de problèmes jusqu’à ce que nous ayons eu une ruée sur les dépôts à la fin de la journée de vendredi. Ce phénomène était une pure contagion de SVB», a déclaré Frank à la chaîne de télévision économique CNBC.

La Réserve fédérale et la FDIC, avec le soutien total du gouvernement Biden, qui s’est engagé à faire «tout ce qui est nécessaire», ont justifié leurs actions ― la couverture totale des riches déposants non assurés de la SVB et l’augmentation des liquidités pour les banques ― en invoquant le «risque systémique».

Si tel est le cas, cela signifie que toutes les réglementations et mesures introduites après le krach de 2008, incarnées principalement par la loi Dodd-Frank, ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites.

Des divergences existent sur les marchés financiers quant aux mesures prises.

Ken Griffin, fondateur du fonds spéculatif Citadel et fervent défenseur de la «liberté des marchés», a déclaré au Financial Times que le sauvetage des déposants non assurés n'aurait pas dû avoir lieu.

«Les États-Unis sont censés être une économie capitaliste, et celle-ci est en train de s’effondrer sous nos yeux», a-t-il déclaré. Les pertes subies par les déposants auraient été minimes et auraient «fait comprendre que la gestion des risques est essentielle».

D’autres ont une position totalement opposée, notamment le renommé gestionnaire de fonds spéculatifs Bill Ackman. Ce dernier a appelé à une intervention majeure, tweetant que «notre économie ne fonctionnera pas efficacement sans notre système bancaire communautaire et régional».

Lors des réunions entre La Réserve fédérale, la FDIC et la secrétaire au Trésor Janet Yellenont, les investisseurs en capital-risque, qui constituaient une grande partie de la clientèle de SVB, sont intervenus massivement et ont joué la carte militaire.

Une source anonyme impliquée dans la campagne de lobbying, citée par le Financial Times, a déclaré que le thème de leur discours était «ceci n’est pas une banque».

«Il s’agit de l’économie de l’innovation. Il s’agit des États-Unis contre la Chine. On ne peut pas tuer ces entreprises innovantes».

Le krach de la SVB est intervenu suite à deux processus interconnectés déclenchés par les hausses de taux d’intérêt de la Réserve fédérale au cours de l’année écoulée, alors qu’elle cherche à freiner la hausse des salaires de la classe ouvrière en réponse au taux d’inflation le plus élevé depuis quarante ans.

Le secteur technologique, en particulier les domaines les plus spéculatifs où le financement des start-ups est effectué par des sociétés de capital-risque, a été fortement touché par le tarissement du flux d’argent dans les nouveaux projets. Cette situation a entraîné le retrait de l’argent qui se déversait précédemment dans la SVB, l’un des principaux conduit pour ce processus.

La SVB avait investi l’argent reçu en 2020 et 2021, lorsque la Réserve fédérale fournissait de l’argent presque gratuitement, dans des obligations du Trésor et des titres adossés à des créances hypothécaires. Cependant, en raison des hausses de taux d’intérêt, la valeur de marché de ces actifs financiers est devenue inférieure à leur valeur comptable et la SVB a subi des pertes lorsqu’elle a dû les vendre pour faire face au retrait de liquidités.

Lorsque la SVB a échoué dans sa tentative de renforcer sa base de capital par une nouvelle émission d’actions, la FDIC est intervenue.

Il ne fait aucun doute que la dépendance de la SVB à l’égard des bons du Trésor et son incapacité à couvrir ses opérations, apparemment en raison de la conviction, partagée par d’autres secteurs du marché, que la Réserve fédérale devrait commencer à réduire ses taux dans un avenir relativement proche, ont joué un rôle important dans son effondrement.

Mais le cas de la SVB, malgré ses particularités, a braqué les projecteurs sur d’autres banques dont la situation s’est dégradée avec la baisse de la valeur des bons du Trésor qu’elles détenaient.

Selon une étude menée par des économistes de cinq grandes universités et rapportée par le Financial Times sous le titre «Le système bancaire américain est plus fragile qu’on ne le pense», les problèmes qui ont frappé la SVB sont présents à grande échelle.

L’étude a révélé qu’avec la hausse des taux d’intérêt, «la valeur marchande des actifs du système bancaire américain est inférieure de 2.000 milliards de dollars à ce que suggère la valeur comptable de ses actifs».

L’étude de cas de la faillite de la SVB est révélatrice, car «10 pour cent des banques ont des pertes non reconnues plus importantes que celles de la SVB. SVB n’était pas non plus la banque la moins bien capitalisée, 10 pour cent des banques ont une capitalisation inférieure à celle de SVB».

Il était noté que: «Même si seulement la moitié des déposants non assurés décident de se retirer, près de 190 banques sont exposées à un risque potentiel de perte de valeur pour les déposants assurés, avec un risque potentiel pour 300 milliards de dollars de dépôts assurés. Si les retraits de dépôts non assurés provoquent des ventes forcées, même de faible ampleur, un nombre nettement plus élevé de banques est menacé».

«Dans l’ensemble, ces calculs suggèrent que les récentes baisses de la valeur des actifs bancaires ont très significativement augmenté la fragilité du système bancaire américain face aux retraits des déposants non assurés».

La SVB a été décrite comme un cas particulier en raison de sa forte dépendance aux obligations d’État et aux titres adossés à des créances hypothécaires, qu’elle n’a pas couverts en cas de perte de valeur.

Au-delà de ces problèmes, l'étude fait état d'un changement majeur.

«Avant les récentes baisses d’actifs, toutes les banques américaines avaient une capitalisation bancaire positive. Cependant, après la récente diminution de la valeur des actifs bancaires, 2.315 banques qui représentent 11.000 milliards de dollars d’actifs globaux ont une capitalisation négative».

Cela signifie que le solde final de ce qu’elles doivent est supérieur au capital social de l’entreprise, ce qui augmente le risque d’insolvabilité.

Les obligations d’État ne sont pas les seuls actifs qui sont touchés par les hausses de taux d’intérêt. L’immobilier, en particulier l’immobilier commercial, où les difficultés sont aggravées par la réduction de la demande d’espaces de bureaux en raison de la pandémie de grippe aviaire et de l’augmentation du travail à domicile, est également une source potentielle de turbulences.

Un article de Robert Burgess, rédacteur en chef de Bloomberg Opinion, publié hier, a attiré l’attention sur l’immobilier en tant que source de vulnérabilité pour les banques. Les prêts immobiliers commerciaux représentant près de 24 pour cent de l’ensemble de leurs prêts.

«Si les acteurs du marché se tordent les mains à propos des retombées potentielles de l’effondrement de la Silicon Valley Bank, ils n’ont qu’à attendre de voir l’exposition du secteur bancaire au secteur de l’immobilier commercial, qui s’affaiblit rapidement», écrit-il.

Selon Burgess, on en arrive à ce que chaque jour apporte son lot de nouvelles concernant la défaillance d’un groupe immobilier, notant qu’au cours des dernières semaines, «un propriétaire de bureaux […] s’est trouvé en défaut de paiement sur des obligations hypothécaires d’une valeur d’environ 1,7 milliard de dollars pour sept immeubles situés à San Francisco, Boston et New York».

Les retombées actuelles de l'effondrement de SVB ont des conséquences à la fois politiques et financières.

Sur le plan politique, cela a complètement mis en évidence que le gouvernement Biden est à la botte des riches, des super-riches et des spéculateurs financiers et qu’il est prêt à distribuer de l’argent, quelle que soit la quantité nécessaire, pour protéger leurs intérêts.

Cela a des conséquences majeures sur la politique monétaire de la Réserve fédérale, qui doit se réunir la semaine prochaine. Avant l’effondrement de la SVB, on considérait comme probable qu’au vu de ce que la Réserve fédérale qualifie continuellement de «marché du travail très tendu», elle reviendrait à une augmentation de son taux d’intérêt de 50 points de base, après être passée à une hausse plus limitée de 25 points de base en février.

Aujourd’hui, les marchés parient sur une hausse maximale de 25 points de base, certains prédisant même qu’il n’y aura pas de hausse du tout. Et la politique à plus long terme est totalement incertaine. La politique centrale de la Réserve fédérale a été de continuer à augmenter les taux, au nom de la «lutte contre l’inflation». Mais cet objectif, comme l’a révélé de façon si flagrante l’effondrement de la SVB, menace de déclencher une crise financière majeure.

(Article paru d’abord en anglais le 14 March 2023)

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