La secrétaire d'État au Trésor américain Janet Yellen promet plus d'argent pour les grandes fortunes si nécessaire

La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen a assuré aux particuliers et investisseurs fortunés que le gouvernement interviendrait pour garantir leurs dépôts non assurés, qui atteignent parfois des dizaines de millions de dollars.

La secrétaire au Trésor, Janet Yellen, s’exprime à une conférence de presse lors de la réunion des ministres de l’Économie et des Finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 à Venise, en Italie. [AP Photo/Luca Bruno]

Dans un discours prononcé hier devant l’Association des banquiers américains Janet Yellen a indiqué le plus explicitement jusque là que le renflouement des déposants non assurés des banques en faillite Silicon Valley et Signature n’était pas une mesure ponctuelle, mais serait prolongé si cela s’avérait nécessaire.

«Les mesures que nous avons prises ne visaient pas à aider des banques ou des catégories de banques spécifiques», a déclaré Yellen. «Notre intervention était de protéger le système bancaire américain dans son ensemble. Des mesures similaires pourraient être justifiées si des établissements plus petits subissaient des retraits massifs de dépôts présentant un risque de contagion».

Les remarques de Yellen furent bien accueillies à Wall Street où les actions des banques ont augmenté, les analystes estimant qu’elles avaient rassuré les investisseurs.

Yellen a déclaré que la situation se stabilisait, que le système bancaire américain restait solide et a déclaré aux banquiers présents à la réunion: «Soyez assurés que nous resterons vigilants».

Elle a passé sous silence la question de pourquoi ces autorités «vigilantes» n’avaient absolument pas vu venir la crise de la SVB, ou avant cela l’opération de Ponzi, largement menée au vu et au su de tous, de la société de crypto-monnaie FTX de Sam Bankman-Fried. Celle-ci a fait faillite et conduit à la faillite la banque Silvergate, liée à la crypto-monnaie, il y a tout juste deux semaines.

Abordant les implications plus larges de la faillite de la SVB et les inquiétudes grandissantes que rien n’a été résolu depuis la crise financière mondiale de 2008, Yellen a déclaré que les turbulences actuelles étaient très différentes.

«À l’époque, de nombreuses institutions financières ont été mises sous pression à cause de leur détention d’actifs à risque. Nous ne voyons pas cette situation dans le système bancaire aujourd’hui», a-t-elle déclaré.

Mais c’est précisément ce qui rend cette crise bien plus grave dans ses implications que celle de 2008. Elle est née de la détention par les banques de grandes quantités d’obligations du Trésor et de titres adossés à des créances hypothécaires, censés être les actifs les plus sûrs au monde, et elle résulte de la réaction du gouvernement et de la Réserve fédérale [Banque centrale américaine] à la débâcle d’il y a 15  ans.

L’assouplissement quantitatif, dans le cadre duquel environ 9.000  milliards de dollars ont été injectés dans le système financier par la ‘‘Fed’’ (Réserve fédérale), a entraîné l’accumulation dans les bilans des banques de grandes quantités de titres supposés «sûrs».

Mais la hausse des taux d’intérêt de la Fed, commencée l’an dernier dans le but de casser la flambée des salaires ouvriers, a maintenant produit une chute brutale de la valeur de marché de ces actifs, la faisant passer sous leur valeur comptable. Cela entraîne la réalisation de pertes significatives lorsque ces actifs doivent être vendus pour répondre à la demande de liquidités des déposants.

Toutefois, selon Yellen, «notre système financier est (…) nettement plus solide qu’il ne l’était il y a 15  ans. Cela est dû en grande partie aux réformes d’après crise qui ont renforcé les normes de capital propre, entre autres améliorations importantes».

Cela soulève la question: si c’est vraiment le cas, pourquoi la Fed et la Federal Deposit Insurance Corporation (Société fédérale d’assurance des dépôts – FDIC) ont-elles alors insisté pour dire que leurs opérations de renflouement des riches déposants de la SVB et de Signature étaient nécessaires pour prévenir une «crise systémique», c’est-à-dire une crise touchant l’ensemble du système, y compris les grandes banques les plus solides?

À première vue, ces deux explications semblent s’opposer. Soit l’invocation d’une «crise systémique» n’était qu’une couverture pour renflouer les riches, alors même que le système bancaire était solide ; soit il y avait la perspective d’une véritable crise et cela signifie que toutes les prétendues «réformes» des 15  dernières années n’ont servi à rien.

En réalité, les deux processus sont en jeu. Les autorités sont bien confrontées à une «crise systémique», mais y apporter une solution provisoire, c’est donner encore plus d’argent aux ultra-riches.

La fragilité du système financier est telle que les opérations du «marché libre», par lesquelles les investissements ratés sont purgés ne peuvent continuer à fonctionner parce que le moindre problème menace de déclencher un effondrement nécessitant l’intervention de l’État et de ses agences et l’utilisation de leur capacité à créer plus d’argent.

La logique de ce processus impose que l’argent continue à être déversé jusqu’à ce qu’il produise une crise de financement de l’État et de la banque centrale.

Les conditions qui ont conduit à la faillite de la SVB – la baisse de la valeur des bons du Trésor qu’elle détenait – se développent dans d’autres secteurs de l’économie sensibles aux taux d’intérêt.

Mercredi, le directeur général de JPMorgan Asset Management, Georg Gatch, a averti que l’immobilier commercial pourrait être la prochaine cible des hausses de taux d’intérêt de la Réserve fédérale.

Il a déclaré que la faillite de la SVB et le rachat d’urgence de Crédit Suisse avaient mis en évidence «le stress lié à la hausse des taux d’intérêt».

Les investisseurs se demandaient « quel serait le prochain impact? ». « L’immobilier commercial est un sujet de préoccupation. Nous avons des taux d’intérêt plus élevés pour les promoteurs immobiliers. Quel est l’impact sur les marchés immobiliers et les prêteurs dans ce domaine», a-t-il déclaré dans des commentaires rapportés par le Financial Times.

Le FT a également fait état d’une note publiée par Goldman Sachs, selon laquelle le secteur de l’immobilier était confronté à un environnement «difficile».

«Les tensions récentes dans le secteur bancaire ont suscité des inquiétudes croissantes quant aux retombées sur le secteur de l’immobilier commercial. Plus de la moitié des 5.600 milliards de dollars de prêts commerciaux en cours figurant dans les bilans des banques, les prêts bancaires restent la principale source de financement de ce secteur. C’est particulièrement le cas pour les petites banques qui détiennent la part du lion en matière de prêts».

Dans le même temps, les inquiétudes s’intensifient quant aux effets de la reprise de Crédit Suisse, par laquelle le gouvernement suisse a réduit à zéro, du jour au lendemain, la valeur des obligations  AT1 à haut risque.

Cette décision a annulé la pratique antérieure de placer ces obligations au-dessus des actions quand il s’agit de sauver ce qui reste d’une entité en faillite. Le marché de 250  milliards de dollars de ces obligations, largement utilisées, est dans la tourmente, les investisseurs se demandant quelles règles, s’il y en a, s’appliquent désormais.

Des actions en justice pourraient être intentées. Natasha Harrison, du cabinet d’avocats Pallas, qui prépare un éventuel procès, a déclaré au Wall Street Journal: «Ce que les investisseurs recherchent lorsqu’ils investissent, c’est la certitude de la procédure et l’État de droit. La Suisse vient de nous les enlever d’un seul coup».

Dans une note de recherche, les analystes de JPMorgan ont déclaré que la décision suisse pourrait entraîner une «contagion des coûts de financement de gros dans l’ensemble du secteur», les taux d’intérêt exigés sur les obligations  AT1 pouvant atteindre les dizaines.

Un autre article du WSJ résume l’interaction entre l’aggravation de la crise et les actions des autorités financières. «Les autorités du monde entier justifient ces interventions ad hoc en invoquant la nécessité de stabiliser, de rassurer ou de calmer les marchés. Mais elles font souvent le contraire. Les actions de la SVB et de Signature ont déclenché la panique, ce qui a entraîné la chute du Crédit Suisse, et maintenant la solution d’urgence du Crédit Suisse agite le marché obligataire».

Ce constat pourrait être étendu. Les mesures d’urgence prises par la Réserve fédérale en 2008 et en mars 2020 pour soutenir les banques, les spéculateurs, la bourse et le système financier ont maintenant créé les conditions d’une crise plus profonde encore qui, comme celle de 2008, entraînera des attaques de plus en plus dures contre les travailleurs et leurs familles, car les élites dirigeantes, renflouées par l’État, chercheront à leur faire payer la note.

(Article paru d’abord en anglais le 22 mars 2023)

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